mercredi 30 juin 2021

Rêvons un peu – Chronique du 1er juillet

Bonjour-bonjour

 

Délaissant pour une fois l’actualité et ses méandres obscurs, je vous invite aujourd’hui à faire une incursion dans le monde de la physique quantique.

Alors que le monde de Newton est barbant avec ses lois tirées au cordeau et son déterminisme qui rend la nature d’une prévisibilité assommante, voici que le monde de l’infiniment petit avec ses phénomènes bizarres, contre-intuitifs et surprenants nous saisit. Pourtant la difficulté mathématique de ses calculs, la complexité de ses expériences devrait nous décourager – nous autres gens ordinaires avec nos pauvres cerveaux juste capables de réfléchir aux choses de la vie quotidienne…Si la physique quantique nous fait rêver, c’est qu’elle est diffusée par des vulgarisateurs qui ont su, grâce à des analogies bien pensées, nous donner à vivre le quotidien comme s’il était régi par les lois qui gouvernent les particules élémentaires. 

En voici quelques exemples puisés dans cet article bien documenté du site « The conversation ».

1 – Premièrement, les propriétés des particules (telles que leur position et vitesse) ne peuvent parfois prendre que certaines valeurs (= des quantas) bien précises. Tout se passe comme si, quand nous nous déplaçons sur une ligne droite, nous ne pouvions nous déplacer que par sauts de puces d’un mètre, sans ne jamais pouvoir avoir de position intermédiaire.

2 – Ensuite, deux entités semblent pouvoir s’influencer à très grande distance, à des vitesses supérieures à celles de la lumière. C’est l’intrication qu’on peut prendre comme image de la fusion amoureuse.

3 – Enfin, certains objets ont des propriétés (telles que leur positon, ou vitesse) qui se trouvent dans des « superpositions quantiques » de plusieurs valeurs. On pense bien sûr à la « superposition d’état » avec le chat de Schrödinger, mais on peut aussi envisager une « superposition de position » : est-ce que l’objet n’est nulle part ? Partout à la fois ? Les illusionnistes nous font rêver avec ça

4 – Lorsque deux événements se produisent dans le monde quantique, l’ordre temporel entre ces événements est parfois indéfini (voir la description de cette expérience dans l’article cité). Or, l’ordre temporel entre différents événements est lié aux relations de causalité : une cause doit toujours précéder son effet. Mais, si l’ordre temporel entre différents événements est indéfini, il pourrait en être de même pour leur ordre causal

À notre échelle, il est toujours possible de dire si une personne a d’abord éternué avant de s’excuser, mais si l’inverse arrivait, alors on serait dans un monde de fous. Or, la physique quantique non seulement valide cette éventualité, mais elle va plus loin : il semble qu’à petite échelle, il se pourrait parfois qu’aucune de ces deux possibilités ne soit la bonne.

 

- Et là, nos rêves eux-mêmes sont dépassés, impuissants qu’ils sont à mettre en scène un monde où le temps peut s’inverser. Car si la dame qui a éternué à coté de vous s’est excusée avant, alors l’ordre temporel est bouleversé. Or c’est le temps qui porte notre être et notre pensée. Et pour cela, il suit l’ordre causal : la cause précède l’effet. Que l’effet précède la cause et c’est comme si on passait le film à l’envers : la tasse brisée remonte sur la table en se reconstituant. On ne parviendrait pas à en trouver un équivalent dans nos rêves.

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N.B. On remarquera que je ne reprends pas sous forme d’exemple tiré de l’environnent ordinaire cette annulation de la relation causale, et donc cette disparition de la cause et de l’effet. Car même le hasard ne conviendrait sans doute pas.

mardi 29 juin 2021

En 2022, votez Hegel – Chronique du 30 juin

Bonjour-bonjour

 

Automobile : « l'arrêt des fonderies va malheureusement dans le sens de l'histoire », a déclaré Luca de Meo, directeur général de Renault après la liquidation la semaine dernière de la fonderie automobile de MBF de Saint-Claude (Jura). Les 300 ouvriers licenciés sont donc priés de s’incliner devant l’Histoire qui passe, et s’ils croient qu’on peut lui faire rebrousser chemin, ils n’ont qu’à relire Hegel, ils seront convaincus qu’ils font erreur. 

Car le concept de « sens de l’histoire », c’est Hegel : selon lui, le monde dans son ensemble suit une suite rationnelle d’évènements qui s’engendrent les uns les autres. Le point de départ a été lancé par une impulsion universelle (cf. infra note 1) que nous appelons histoire et qui n’est rien d’autre que cette suite nécessaire d’évènements qui contient chacun en lui les germes de l’avenir. De même qu’un effet ne peut ré-engendrer sa cause, on ne peut, renversant le cours du temps, à partir d’un moment présent revenir à son origine passée.

- Évidemment pas de « cours de l’histoire » sans « fin de l’histoire » c’est-à-dire de terme de l’évolution non réalisé mais déjà connaissable : le philosophe hégélien est ce petit malin qui est déjà installé dans le terme historique de l’évolution humaine et qui depuis sa fenêtre voir monter les époques jusqu’à lui. Ce que les gens ne savent pas, englués qu’ils sont dans leur présent, lui il en connait la vérité.

 

Ce que confirme Luca de Meo : « On ne peut pas d'un côté souhaiter arrêter les voitures à combustion dans 10 ans et de l'autre côté, se plaindre qu'il y ait certaines conséquences sur le système » (article référencé). Autrement les sacrifices d’aujourd’hui sont la condition du progrès de demain, c’est même lui qui leur donne une signification : les ouvriers licenciés aujourd’hui le sont pour permettre aux automobiles de continuer à rouler demain sans asphyxier la planète.

Bien sûr les syndicats ouvriers ne l’entendent pas de cette oreille : Pourquoi y aurait-il nécessairement des victimes ? S’il faut sacrifier les moteurs thermiques, faut-il pour autant sacrifier aussi les fonderies qui les fabriquent ? Pourquoi ne pourrait-on en même temps passer au moteur électrique sans licencier les ouvriers qui fabriquent les moteurs thermiques ? Notre Président-philosophe ne nous a-t-il pas enseigné qu’on pouvait en même temps faire ce progrès et éviter de sacrifier quiconque ?

C’est là que le philosophe regimbe : notre Président nous cache la vérité qu’il connait pourtant : pas de synthèse sans antithèse ; pas de positif sans travail du négatif. On ne fait pas évoluer les hommes sans crises, sans guerres, sans morts. Le sens de ces crises ne peut pas être compris par ceux qui s’y débattent mais seulement par ceux qui prenant du recul en mesurent les conséquences à l’aune de l’histoire universelle. 

 

- Alors, camarades fondeurs, écoutez ce qu’un véritable Président hégélien devrait vous dire : « Vous autres, ouvriers fondeurs, vous ne pouvez pas aller contre la fermeture de vos usines, et même vous devez la souhaiter. Oui, vous devriez vous réjouir de voir vos fonderies fermées, car elles incarnent un passé définitivement révolu. Et, heureux de ce licenciement, vous allez pouvoir vous recycler en fabriquant des moteurs électriques, des batteries, des ordinateurs de bord. »

 Dans les garages de demain, plus de clefs anglaises, plus de cambouis, plus de postes à souder – mais des techniciens jeans-baskets, qui tapotent sur leur clavier tout en mâchonnant leur pizza.

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(1) « Mais pourquoi l’Histoire a-t-elle un sens ? Parce qu’il y a une volonté des peuples. Je dirais une tendance, voir une pulsion des peuples vers l’auto-développement. Une volonté qui est initialement obscure elle-même, qui aura bien du mal à se déployer, à se réaliser, mais les peuples aspirent à la liberté. C’est cela qui fait démarrer l’Histoire puis qui la fait avancer. » Gilles Marmasse (lire ici)

lundi 28 juin 2021

Des élus de poids – Chronique du 29 juin

Bonjour-bonjour

La télévision nord-coréenne a récemment diffusé un commentaire inhabituel d’un habitant sur le physique « amaigri » de Kim Jong-un, une remarque étonnante dans un pays où toute évocation de la vie privée et de l’état de santé du dirigeant est interdite. Selon des analystes, cette remarque traduit la volonté des autorités de mettre à profit la perte de poids du leader nord-coréen pour renforcer la fidélité au régime, en proie à des difficultés. (Lu ici)

Suit un photo-montage :

 


 A gauche, Kim en janvier ; à droite en juin.

 

La télévision d'État a expliqué que l'apparence "décharnée" du dirigeant nord-coréen avait rendu les habitants très "inquiets", au point d'avoir "le cœur brisé".  Pyongyang a rassuré les habitants : « Kim Jong-un est un dirigeant qui travaille très dur pour son peuple, au point de sauter des repas et de perdre du poids »

Ça, c’est une idée ! Si nous voulons évaluer la qualité du travail fourni par nos élus, faisons-les monter sur la balance. Ceux qui perdent du poids, c’est bon : ils bossent dur et c’est pour nous qu’ils sautent des repas faute de temps. Par contre ceux qui sont grassouillets, au point d’avoir de la difficulté à se mouvoir, alors virons-les : ils ne pensent qu’à bouffer et ils ont sûrement leurs tiroirs de bureau remplis de m&m’s.

dimanche 27 juin 2021

On est là ! – Chronique du 28 juin (2)

Bonjour-bonjour

Qu’est-ce que j’entends depuis tout à l’heure ! Oui, depuis la publication de ma chronique sur le petit-fils de Pou-Pou, tout le monde m’invective, me traitant de gros nul, de philosophe des caniveaux, incapable d’être un peu sérieux quand la situation le réclame parce que la France va mal.

Oui, 66% d’abstention, ce n’est pas le fait des pécheurs à la ligne ni des supporters de foot – et pas plus d’amateurs de bbq-rosé. Non, à ce niveau l’abstention est active, elle est l’effet d’une volonté de montrer combien la classe politique est nulle et combien on leur c*** dessus.

Excusez mes chères lectrices et mes chers lecteurs, cet écart de vocabulaire : c’est qu’il m’a été imposé pour signifier de qui venait ce boycott – vous les aurez reconnus ce sont eux, les Gilets-jaunes. Car ce sont eux qui ont vidé les isoloirs et qui ont propagé cette rumeur : les politiciens sont des minables qui promettent tout et qui ne lâchent rien. Ils nous l’avaient montré en ridiculisant les hommes et les femmes politiques qui se risquaient dans leurs manifestations du samedi ; et aussi en menaçant des pires sévices les gilets qui prétendaient se présenter à des élections. Non le vrai Gilet jaune ne vote pas, il s’empare des symboles du pouvoir, avant de s’en emparer directement – à grand coup de pelleteuse.

On les croyait morts, mais hier ils se sont rappelés à nous. Et Xavier Bertrand ne s’y est pas trompé : dans un discours à l’anaphore hollandienne il interpelle les gilets – les traine misères, les sans grades et les loqueteux – pour leur dire : l’espoir commence ce soir. 

Eh bien non, monsieur Bertrand : si vous avez raison de voir la main des gilets dans le vide des urnes (sic), vous avez par contre entièrement tort de croire qu’ils vont vous demander de capter le pouvoir pour eux. Car pour eux, justement, vous êtes un de ces politiques, amateur de cabinets ministériel et de bureaux au plafonds dorés : tout ce qu’ils abominent. Si vous étiez chauffeur poids-lourd ou intermittent du spectacle vous auriez vos chances. Mais pas comme ça.

Écoutez plutôt leur chanson : « On est là ! / Même si Macron ne le veut pas, / Nous on est là !

Pour l'honneur des travailleurs, / Et pour un monde meilleur, / Même si Macron ne le veut pas, / Nous on est là ! » (Lire et visionner la video ici)

Trahison !... – Chronique du 28 juin

Bonjour-bonjour

 

Vous avez cru, chers amis, que la trahison annoncée en titre était celle que dénonçaient les candidats aux élections territoriales à l’encontre de ces électeurs qui hier ont déserté les urnes ? Que nenni ! Voyez plutôt :

« La presse unanime titre aujourd’hui sur le fait que le petit-fils de Raymond Poulidor venait d’endosser le maillot jaune, accomplissant la mission trans-générationnelle qui avait uni son grand-père au Tour de France, sans jamais lui accorder ce maillot mythique. D’ailleurs ce jeune homme ne s’appelle-t-il pas Mathieu Vander Poule – « poule » : comme Poulidor ? »

 


 Poulidor, grand-père et petit-fils


Hélas ! Trois fois hélas… On a découvert que ce nom qu’on croyait bien français s’écrit « van der Poel » et que son porteur est… néerlandais. Oui, mesdames et messieurs, le petit fils du grand Raymond, le héros des routes française, l’homme dans qui tout français de souche se reconnait – est hollandais… 

N’attendez pas de moi que je vous donne plus d’explication sur cette mutation délétère : d’abord parce que je n’en sais rien ; en suite parce que, de toute façon, elle est impossible. Des gènes tricolores ne peuvent muter ainsi : la France n’est pas un virus, la Hollande n’en est pas une variante. Un français né français, reste français et lorsqu'il passe sous un autre pavillon, c'est qu'il a trahi sa patrie.

Et monsieur van der Poel a trahi, mesdames et messieurs, la preuve en est qu’il a, lors de la première étape, honteusement dissimulé la vérité, en arborant le maillot que son grand-père portait durant ses glorieuses chevauchées…

o-o-o

Je sens chers lecteurs un trouble qui vous saisit : « Comment un philosophe peut-il réfléchir sur des fictions venues des années 60, alors que dans le même temps la démocratie française est entrain de sombrer dans une débâcle électorale qui emporte non pas les candidats, mais le régime lui-même ? Un philosophe ça ? Tout juste bon à aller trainer sur les plateaux de télé »

Et vous aurez raison – je bats ma coulpe et j’écris illico le billet auquel vous vous attendez légitimement. Mais avant je veux quand même me disculper, car imaginer qu’un coureur cycliste débutant puisse se faire connaitre du grand public en se réclamant des exploits de son aïeul que personne n’a vraiment connu, à part les grands-pères justement, voilà qui fait réfléchir. Pouvoir influer sur l’imagination de tout un peuple même après sa disparition, c’est le propre des icônes, ou pour mieux dire des héros mythiques. Autant dire que nous, les français, nous allons chercher nos héros légendaires dans le sport – et qui plus est nous choisissons un sportif qui n’a jamais porté le maillot de son épreuve fétiche – un loser !

samedi 26 juin 2021

Souriez, vous êtes filmé – Chronique du 27 juin

Bonjour-bonjour

 

On apprend aujourd’hui que Matt Hancock, le ministre de la santé britannique, démissionne après avoir enfreint les règles sanitaires. Explication : « Il s’agit d’une capture d’écran prise par une caméra de surveillance des locaux du ministère de la santé et datée du 6 mai, sur laquelle le ministre de la santé embrasse à bouche que veux-tu une femme, à savoir sa collaboratrice Gina Coladangelo, 43 ans. » (Lire ici)

 


 « Je n’ai pas respecté les règles de distanciation sociale » a regretté le ministre qui par ailleurs appelait récemment ses compatriotes à une grande prudence dans les contacts rapprochés avec quiconque « ne faisait pas partie de leur bulle quotidienne ou de leur foyer » (Réf. ci-dessus)

Là le scandale sanitaire rejoint le scandale moral, car madame Coladangelo ne fait pas partie du foyer légitime de monsieur Hancock (par ailleurs marié et père de 3 enfants) ; et quoiqu'étant sa collaboratrice, elle ne devrait pas non plus faire partie de la « bulle quotidienne » évoquée ci-dessus. Alors certes la démission de monsieur Hancock n’aurait sans doute jamais eu lieu s’il s’était agi seulement d’un fait d’adultère, et cette séquence n’a été publiée (par le Sun) qu’en raison de sa contradiction avec les règles sanitaires dictées par le ministre lui-même. Mais c’est quand même l’occasion de dire combien la vidéo-surveillance comporte de risques pour la vie privée. Lorsque ces caméras ont été installées un peu partout, on nous a rassurés en nous disant que leurs images seraient réservées aux services de sécurités assermentés, et que seules les vidéos mettant en jeu cette dernière seraient exploitées. Or cette séquence a été publiée par le Sun et jusqu’à preuve du contraire un french-kiss n’a jamais mis en danger la sécurité du pays – sauf à mettre en cause la sécurité sanitaire, argument qui nous parait bien fallacieux. 

 

Mais cette mésaventure de monsieur Hancock nous rappelle combien la notion de contrôle de nos images est illusoire ; on croyait que seules les images postées volontairement sur Facebook ou autre réseau constituaient un risque de désappropriation. Mais on le voit chacun en tout lieu et presque à chaque instant, peut être filmé et son image récupérée à des fins qui échappent totalement.

vendredi 25 juin 2021

Black and white : la réconciliation – Chronique du 26 juin

Bonjour-bonjour

 

On apprend la condamnation à 22 ans et demi de prison de Derek Chauvin, le policier responsable de la mort de Georges Floyd.

Ben Crump, l'avocat de la famille de la victime a déclaré : « Cette condamnation historique fait franchir à la famille Floyd et à notre nation un pas de plus vers la réconciliation en leur permettant de tourner la page et en désignant des responsables. » (Lire ici)

 

Ainsi ce crime raciste est reconnu comme un acte individuel, dont l’auteur doit être incriminé de façon personnelle, et sa condamnation, en soulignant sa responsabilité exclusive permet d’écarter l’hypothèse d’un acte structurellement lié à la société américaine. La condamnation de Derek Chauvin, seul coupable de l’horreur commise, laverait la société américaine de la responsabilité du racisme qui se révèle dans cet acte. Puisque le policier est coupable, l’administration de la police ne l’est pas. En le condamnant on décharge la police américaine de la responsabilité de la faute. La tranquillité dont Chauvin a fait preuve alors qu’il étranglait un homme en se sachant filmé ne viendrait donc pas de l’habitude des policiers d’être couverts par leur hiérarchie en cas de violence.

On songe alors au rite du pharmakos venu de la Grèce ancienne (voir ici) dont le rôle était de laver la société des fautes qu’elle avait commises en condamnant un homme même innocent chargé de payer les crimes commis par la population. L’idée est alors que pour calmer les Dieux outragés par ces crimes il suffit de leur sacrifier un homme, coupable ou non, peu importe. La réalité de la responsabilité ne compte pas ; seule son imputation importe. On est proche de la notion de victime sacrificielle qui ferait de Jésus le pharmakos de Dieu.

Les 22 ans de prison infligés au policier suffiront-ils ? Et d’abord, qui donc est le destinataire de cette sanction ? Les minorités ethniques cibles privilégiées de la police – ou bien le peuple américain dans son ensemble dont les principes démocratiques et républicains ont été outragés par ces violences et l’indifférence dans lesquelles elles ont eu lieu ?

jeudi 24 juin 2021

La liberté par la prison – Chronique du 25 juin

Bonjour-bonjour

 

Les faits divers passent pour être du divertissement : des informations qui occupent l’esprit en suscitant des émotions, mais qui seront oubliés demain et remplacés par d’autres tout aussi inessentiels.

Pourtant certains de ces faits méritent un peu plus d’attention tant ils comportent de situations surprenantes et révélatrices.

Ainsi de cette femme, Valérie Bacot qu’on juge ces jours-ci pour avoir assassiné son mari d’une balle dans la nuque après avoir subi durant plus de 20 années des viols et des mauvais traitements.

Sans doute avons-nous affaire encore à un cas de femme battue qui ne trouve le courage de se défendre qu’après des dizaines d’années de soumission : c’est hélas presque classique… Mais demandons-nous quand même quelles pressions a-t-elle dû subir pour supporter l’insupportable si longtemps ? Quel fut le déclic qui l’a fait passer à l’acte ? Que révèlent tous ces faits relativement à des situations moins extrêmes mais tout aussi cruelles subies par beaucoup d’autres femmes ?

--> C’est lorsqu'on se documente sur ces questions que le fait divers révèle des mécanismes de la vie psychologiques très répandus mais souvent dissimulés par les circonstances de la vie quotidienne ; c’est alors qu’il devient exemplaire.

L’avocate de Valérie Bacot explique : « Elle arrive en maison d’arrêt, et c’est là où elle retrouve la liberté et surtout des gens qui lui parlent. C’est à partir de là qu’elle a commencé à réfléchir. » 

La liberté par la prison : voilà ce qui nous fait réfléchir !  Ce qu’on découvre alors c’est que l’aliénation de la peur constitue une telle camisole qui paralyse la victime et l’engage dans des comportements de soumission, que si la prison protège de ces menaces alors elle permet aussi un certain épanouissement.

Oui, voilà ce que révèle ce fait divers : les mécanismes psychiques créés par la violence subie et par la menace de sa réitération engendrent non seulement un comportement de soumission mais encore un attachement décrit par le passé sous le terme de « syndrome de Stockholm ». Les dictateurs le savent bien : il est plus facile de soumettre un peuple par la cruauté que par l’amour. 

« Il est plus sûr d’être craint que d’être aimé » C’est déjà ce que disait Machiavel dans le Prince – c’était au 16ème siècle.

Et parfois on peut même cumuler les deux lorsque c’est par la violence qu’on parvient à se faire aimer.

mercredi 23 juin 2021

Le vieux monde est devant nous – Chronique du 24 juin

Bonjour-bonjour

 

Devant les catastrophes climatiques quotidiennes (canicule, sècheresse, orages, tempêtes, inondations…) beaucoup s’interrogent : à supposer qu’on sache quoi faire pour arrêter ce dérèglement climatique, aurons-nous la sagesse de renoncer à ce qui dans notre vie quotidienne en est la cause ? Renoncerons-nous à la consommation de viande, de voyages, de fringues changées tous les 6 mois (heu... 4 mois plutôt) ? Le génie humain saura-t-il inventer des substituts en tout genre pour nous épargner la purge promise par les décroissants ? On a déjà remplacé les carburants de nos voitures par l’électricité (à produire avec des éoliennes devenues transparentes et par des panneaux solaires ultraperformants) – maintenant à nous la viande de culture et les tissus en soie d’araignées…

 

En réalité tout cela est accessoire, la question n’est en réalité que celle-ci : saurons-nous faire des profits avec ça ? Non pas « combien de millions de milliards de dollars faudra-t-il investir dans le développement durable », mais plutôt « combien de milliers de milliards de dollars ça va produire comme profit ? ».

Autant on peut croire dans le génie humain capable de comprendre la nature et d’inventer des solutions ingénieuses et durables, autant on peut être certain qu’on n’y mettra l’argent nécessaire que lorsqu’on aura compris de quelle façon on pourra en tirer profit. Il ne s’agit pas de cynisme dans la mesure où cette attitude ne reflète pas un manque de foi en l’humanité ; il s’agit bel et bien du constat qu’en suivant sa nature chaque être vivant va vers ce qu’elle lui impose, quitte à y perdre finalement la vie (1). Ce qu’on observe dans le comportement humain tel que l’histoire nous le décrit c’est que le comportement qui produit du profit est toujours préféré à tout autre.

On me dira : et la générosité, et l’amour (que ce soit de l’humanité ou de la nature) : ça n’existerait donc pas ? Quand on dit que ça pourrait soulever des montagnes, est-on dans la fiction et la naïveté ?

Pour reprendre l’analogie avec le virus (cf. note infra) je dirai que ces actes altruistes ne sont que des variantes du comportement habituel, et que comme pour les virus, il est en compétition avec les autres modes d’action (tels que la prédation) – les quels l’emportent régulièrement.

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(1) Rappelons que dans la lutte des variants du coronavirus pour envahir le maximum d’organisme les plus délétères périssent avec les organismes qu’ils parasitent.

mardi 22 juin 2021

Pour en finir – ou pas – avec l’écriture inclusive – Chronique du 23 juin

Bonjour-bonjour

 

L’écriture inclusive (encore elle !) vient de s’inviter de nouveau dans l’actualité avec les sujets du brevets où l’écriture « vivant.e » a pu se trouver dans un texte donné au Liban.

Laissant de côté le rejet méprisant des linguistes qui observent qu’il ne faut pas confondre sexe et genre et que si en français la chaise est du féminin, ça ne veut pas dire qu’elle est plus « féminine » que le fauteuil – qui du reste n’est pas plus « masculin » qu’elle. Car le genre est bien proche du sexe dès lors qu’on a affaire à des êtres humains ; c’est ainsi que, revenant au sujet du brevet, nous lisons à propos du sujet incriminé : « pour le sujet dit d'imagination de l'épreuve de français, les candidats au brevet devaient rédiger un « texte poétique » en s'inspirant du poème d'Abdellatif Laâbi L'Arbre à poèmes. La consigne était de commencer par Je suis et de finir par Je suis vivant•e. » (Lu ici)

L’usage de l’écriture inclusive est ici un peu superflu : car l’auteur de la copie est ou bien un garçon – auquel cas il est « vivant » ; ou bien une fille, et alors elle est « vivante ».

Mais quand rien n’est spécifié ou bien quand il s’agit d’un groupe mixe, alors cet exemple révèle la caractéristique de ce type d’écriture. Car on est dans le cas de ce que la physique quantique appelle la  superposition d’état » : de même que le célèbre chat de Schrödinger est à la fois vivant et mort, le groupe mixte est «garçon-fille ». Banalité ? Pas tant que ça : 

1 – dans l’état actuel (non quantique) de la grammaire, on estimera que cet état binaire n’existe pas et donc (c’est là le point) qu’il faut absolument que le masculin ou le féminin l’emporte pour qualifier la totalité. 

2. – et donc puisqu’il faut choisir ce sera masculin et basta !

… Et pourquoi pas féminin ? La revendication féministe qui se traduit par l’écriture inclusive se borne à ce second point. Il faudrait pourtant considérer aussi le premier point, qui évoque le refus de la fusion des individus dans une identité unique. Il ne s'agit certes pas d'une exigence féministe ni d'un un principe calqué sur la physique des particules, mais de la volonté des individus de conserver leur identité dans le groupe.

L'écriture inclusive n'est ni féministe ni quantique ; et si elle était une écriture anarchisante ?

lundi 21 juin 2021

Mauvaise foi électorale – Chronique du 22 juin

Bonjour-bonjour

 

Après les élections régionales la surprise est venue du chiffre historiquement élevé des abstentions. Et à chaque fois, c’est la même chose : les candidats déçus s’en prennent aux sondeurs qui n’auraient pas fait correctement leur travail ; le Rassemblement National quant à lui, est allé jusqu’à accuser le gouvernement d’avoir organisé ces défections.  

Les responsables des instituts de sondages évoquent une autre raison : les sondés ne répondraient pas avec sincérité quand on les interroge sur leurs intentions de participer ou non à l’élection. Ce phénomène est bien connu puisqu’il a été observé jadis pour expliquer les chiffres surprenants obtenus aux élections par le parti de Jean-Marie Le Pen. On disait alors que les électeurs du Front National refusaient de révéler leur préférence pour ce parti ; aujourd’hui ce serait donc le même phénomène concernant le refus de participer au scrutin. Mais dans un cas comme dans l’autre, on est surpris de constater que des personnes, dans l’anonymat des réponses au sondage, se sentent obligées de mentir comme si elles avaient honte – honte devant elles-mêmes puisque le sondeur ne les connait pas. 

- Ce mensonge à soi-même agit donc comme un procédé visant à me sortir du piège de la honte qui m’identifie à mes actes : je suis celui qui fuit sa responsabilité de citoyen, mais je refuse de me reconnaitre dans ce personnage et du coup je retrouve ma liberté. En effet, comme le montre Jean-Paul Sartre dans son analyse de la mauvaise foi (dans l’Être et le néant), ce refus de s’identifier à soi-même en étant à la fois le trompeur et le trompé n’est pas seulement la trace de la duplicité de la conscience, c’est aussi la preuve de la liberté humaine puisqu’en niant ma situation je me libère de cet engluement dans cet être que je suis pour les autres.

- Du point de vue social tout se passe comme si je disais : « Oui, je suis un bon citoyen et j’irai donc voter dimanche. » Et je serai sincère en disant cela. Mais dans le secret de ma conscience je penserai aussi « Mais je reste libre de ne pas y aller, parce que je ne suis pas une marionnette manipulée par les élites politiques ». L’avenir n’est pas écrit ; comme le dit la boutade : « Le pire n’est pas certain il n’est que probable. »

Et vous, dimanche prochain – vous allez voter ?

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(1) Dans l’Être et le néant.

dimanche 20 juin 2021

Des sous !!! – Chronique du 21 juin (2)

Re-bonjour

 

Me revoilà, après une chronique pourtant décisive sur les menus plaisirs (publiée ici)

Et pourquoi cette réitération ? Parce que je sens bien que les élections départementales et régionales ont donné des résultats que le public désespère de comprendre, sauf si les philosophes s’en mêlent. On me dira : « Mais nous avons déjà un Président-philosophe : n’est pas assez ? » Eh bien non, ce n’est pas assez. C’est même déjà trop, voyez-vous parce que les philosophes-rois, depuis Platon on a appris à s’en méfier.

Bref – décryptons :

1 – L’abstention. C’est là le fait essentiel qui s’explique selon nous par le fait que les régionales et départementales ça ne paye pas. Ce que le citoyen veut, c’est la clef du tiroir-caisse : les Gilets-jaunes nous l’ont bien expliqué : nous sommes le peuple souverain, donnez-nous les clefs de Bercy et on se servira sans déranger personne. 

Par contre, le département et la région : ça ne paye pas ; on reste chez soi. Si on se dérange pour les municipales, c'est pour voter pour le candidat maire qui promet d’augmenter les effectifs de la police municipale sans augmenter les impôts ; et pour les Présidentielles selon l’annonce par le candidat de profits pour les citoyens/actifs/retraités/etc.

2 – L’échec relatif du RN ne veut donc rien dire par rapport aux présidentielles. On aurait en effet grand tort d’oublier que comme candidate à la Présidence, Marine Le Pen affiche d’excellents sondages : si elle ne peut rien nous offrir par les régions, en revanche, devenue présidente elle saura nous ouvrir les coffres de Bercy – sous réserves que nous soyons de vrais-bons français.

3 – La résistance relative du PS et le succès relatif de LR semble contredire le point précédent. C'est que, si ces élections sont délaissées par les électeurs amateurs de clientélisme, par contre ceux qui votent selon des repères plus traditionnels continuent de faire ce qu’ils considèrent comme leur devoir, et cherchent sur les bulletins de vote la mention droite/gauche. Je sais : c’est ringard, et seuls les papis-mamies qui ont connu le mur de Berlin et la fête de la rose peuvent réagir comme ça. Mais voilà : ce n’est pas parce qu’ils deviennent rares qu’ils n’existent plus.

Les petits riens – Chronique du 21 juin

Bonjour-bonjour

 Ce qui frappe ces jours-ci, c’est à quel point des gens ordinairement si grognons expriment leur contentement pour des petites choses, telles qu’oublier le temps devant un verre en terrasse, faire le lézard sur les pelouses du parc avec tous ses amis, passer d’un bar à l’autre jusqu’au bout de la nuit.

On l’a compris : ces petits riens qui jalonnaient la vie quotidienne « avant » deviennent des joies sans pareil à présent que nous en avons été privés par la pandémie durant de nombreux mois. Il s’agit là de banalités que nous avons eu l’occasion de méditer quand notre grand-mère nous disait : « Toi petit, tu as besoin d’une bonne guerre ! ». Ou encore quand lycéens boutonneux, nous ricanions en entendant le prof citer Corneille : « Et le désir s'accroît quand l'effet se recule » (1). 

Banalités, oui… Mais le philosophe aime à prouver que des vérités se cachent là aussi, dans ces lieux communs, dès lors qu’on les interroge.

Car en effet :

1 – Les français si rapides à chouiner et à incriminer le Pouvoir dès qu’ils sont privés de quoique ce soit, se mettent à rire et à s’exciter dès qu’ils retrouvent leur picole avec leurs amis de sortie ; une séance de ciné et c’est le paradis ; un match le foot et c’est le nirvana !

2 – On peut en conclure que nous sommes bien dans le mécanisme du désir, conformément au principe énoncé par Corneille (ci-dessus) : nous qui ne sommes privés de rien quand il s’agit de nos besoins (Cf. le « quoiqu’il en coute » du Président), nous voilà dans la mécanique du désir : moins tu dépenses, plus le plaisir est grand. Cette vérité-là, on l’avait oublié.

3 – On constate du coup, que ce qui a disparu durant cette pandémie, c’est l’immédiateté de la satisfaction, remise à plus tard, demain, dans un mois, dans un an… (2). C’est donc le principe même de la consommation qui a été anéanti, principe qui veut qu’on satisfasse nos désirs avant même qu’ils soient ressentis, et qui cherche à grand coups de publicité à les exciter.

Or, le meilleur excitant du désir, c’est l’abstinence. Et ça, c’est invendable !

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(1) Corneille – Polyeucte, Acte I, scène 1. Bien sûr nous entendions plutôt « Le désir s’accroit quand les fessent reculent ». Notez l’innocence de nos plaisirs de l’époque…

(2) « Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous / Seigneur… » Racine Bérénice, acte IV scène 5. Après Corneille, Racine : parité oblige…

samedi 19 juin 2021

Le don n'est qu'un échange suspendu

(Je reproduis ici un dialogue imaginaire publié dans la Citation du jour de décembre 2017 - époque où le très jeune Président Macron usait de leçons ultra-libérales pour instruire le peuple qui venait de l'élire.
Il me semble que ce texte édifiant sera une occasion de méditer les changements intervenus depuis cette année 2017)


Veux-tu vivre heureux ? Voyage avec deux sacs, l’un pour donner, l’autre pour recevoir.
Goethe

- La charité mon bon seigneur !
- Dis-moi, Gueux, qu’est-ce que tu as à me donner pour mériter que je te fasse la charité ?
- Mais mon bon Seigneur, je n’ai rien à donner moi ! Je suis en enfant de Dieu et c’est pour cela que je sollicite votre bonté charitable.
- Sais-tu bien, pauvre déchet, que dans la société nul n’existe s’il ne donne quelque chose aux autres ?
- Mais oui, Seigneur : donnez-moi un liard et vous aurez mérité de vivre au milieu de mon peuple de pouilleux. 
- Ah ! Tu dis que grâce à toi je vais gagner ma place dans ce pays en étant mieux considéré, et tu crois que je vais gober ça ? 
- Mais, Gracieux seigneur, regardez les monastères comme ils distribuent généreusement la soupe aux nécessiteux : c’est pour donner l’exemple de la charité universelle.
- Eh bien, va sonner à la porte du couvent : il y en a justement un à côté.
- Mais il est fermé pour cause de conflit dans la hiérarchie. Voilà pour quoi je suis à la sortie de cette boulangerie à demander l’aumône.
- C’est juste, et je suis pris de compassion pour toi, pauvre traine-misère. Aussi voilà ce que je vais te donner : c’est un conseil. Va donc sonner à la porte de Pôle-emploi, eux ils vont te donner un travail et avec cela tu auras de quoi donner de l’argent au boulanger pour ne plus crever de faim.
- Mais alors, Noble seigneur, il n’y a donc plus personne pour donner aux pauvres ? 
- N’as-tu pas entendu Notre-Jeune-Président ? Lui il l'a dit - et très clairement encore : dans la société d’aujourd’hui, pour exister il faut échanger. Le don n’existe pas, il n’est qu’un échange suspendu : si on te donne donc aujourd’hui, c'est pour recevoir quelque chose demain.

vendredi 18 juin 2021

Quand c’est fini / N.i-nini / Ça recommence – Chronique du 19 juin

Bonjour-bonjour

 

« Quand c’est fini / n.i-nini / Ça recommence » : on connait la chanson de Léo Ferré : il pourrait la reprendre aujourd’hui et l’adapter à la pandémie qui, à peine éteinte ici, repart là, menaçant d’embraser à nouveau toute la planète.

C’est bien ce qui se passe en Russie confrontée ces jours-ci à une flambée de nouveaux cas, dans le sillage de l’arrivée du variant « delta » – situation à mettre en aussi rapport avec la faiblesse de la vaccination due à la méfiance des citoyens russes en l’exactitudes des statistiques officielles concernant son efficacité ; et aussi à un respect limité des gestes barrières et au refus de nombreux Russes de porter le masque dans les transports ou les lieux publics. Bref : ce retour de l’épidémie est un révélateur de l’état non pas seulement sanitaire, mais aussi politique et même sociologique du pays.

 

Et nous, européens, où en sommes-nous ? Lisons la presse : « Vendredi 18 juin, le président de la République française et la chancelière allemande ont appelé à la vigilance, dans l'organisation de l'événement sportif, face au variant Delta, particulièrement contagieux. » (Lu ici)

Il ne s’agit donc pas de prendre des mesures contraignantes, mais d’appeler à la vigilance, essentiellement à propos des manifestations telles que l’Euro de foot. Appel lancé par le bi-moteur de l’Europe que sont Angela Merkel et Emanuel Macron – qui ont donc confiance dans l’esprit de solidarité des citoyens censés être soucieux non seulement de leur santé mais aussi de celle des autres. On croit donc qu’ils vont spontanément faire taire leurs élans de supporters pour s’imposer des restrictions telles que port du masque et gestes barrière :

« - Et voilà que Pogba passe à Benzema, qui prend son temps pour contrôler le ballon, et … OUI !!!! La France vient de marquer son 3ème but contre la Hongrie ! »

Et là : pas d’embrassades ; pas de cris éructant des aérosols avec des milliards de choses pas propres – tout reste dans le masque – et tout se passe à 3 mètres des voisins.

Oui, mais, c’est un rêve… Mais il semble que nos dirigeants bien-aimés l’ont fait eux aussi : alors, pourquoi pas nous ?

jeudi 17 juin 2021

Lire, c’est relire – Chronique du 18 juin

Bonjour-bonjour

 

La lecture est déclarée grande cause nationale pour la période allant de 2021 à l’été 2022, et plus particulièrement la lecture « à voix haute ». Lire ici.

En effet selon le Président Macron, la lecture à haute voix est incontournable pour « découvrir la beauté littéraire, le rythme et la vérité de la langue française ». On sait que Flaubert écrivait « à voix haute » – entendez qu’il déclamait ses textes en même temps qu’il les écrivait, les faisant passer comme il le disait « par son gueuloir », seul moyen pour lui de vérifier leur équilibre, leur rythme et leur musicalité – ce que la lecture silencieuse ne parvient pas à faire.

Reste que cette lecture apporte aussi une expérience étonnante : on peut en effet lire un texte auquel on ne comprend à peu près rien de façon intelligible pour les autres (expérience que j’ai vécue personnellement au cours de l’enseignement de la philosophie avec des textes confiés à la lecture à voix haute à des élèves qui avouaient ne pas l’avoir compris). 

 

- C’est donc l’occasion de revenir sur un phénomène bien connu, mais généralement oublié : on peut lire intelligemment un texte que l’on ne comprend pas. Et c’est même une règle lorsqu’on lit à haute voix un texte pour la première fois, car on doit à la fois le déchiffrer, le lire et en même temps en comprendre le sens. Que se passe-t-il dans la lecture à haute voix ?

La méthode globale d’apprentissage de la lecture nous a montré que notre cerveau recherchait d’abord des groupes de lettres, donc des mots, et que l’analyse lettre après lettre (le b-a/ba) n’intervenait qu’ensuite. Il parait donc logique de penser que la lecture à haute voix rend perceptible ce phénomène de reconnaissance sans lequel elle ne produirait rien d’intelligible (d’ailleurs la lecture automatique générée par ordinateur prend appui sur des repères déjà mémorisés, ponctuation, groupement de mots, césure des phrases). La découverte d’un texte n’est jamais que la reconnaissance de mots, de phrases déjà présentes dans la mémoire.

On devrait donc admettre que la lecture d’un texte auquel on ne comprend strictement rien ne peut être faite de façon fluide (c’est à dire sans recourir à une analyse mot à mot) qu’à la condition d’être conçu comme s’il s’agissait d’une relecture. Bien sûr ce procédé a ses limites : certains textes (par exemple philosophiques) sont hermétiques à la lecture – à voix haute ou pas. 

Application : lisons à haute voix ce texte de Heidegger qu’on est censé découvrir dans le même temps :

« Ce n'est que parce que — et dans la mesure où — l'homme est devenu, de façon insigne et essentielle sujet, que par la suite doit se poser pour lui la question expresse de savoir s'il veut, et doit, être un moi réduit à sa gratuité et lâché dans son arbitraire, ou bien un nous de la société. Ce n'est que là où l'homme est déjà paraissant sujet qu'est donné la possibilité de l'aberration dans l'inessentiel du subjectivisme au sens de l'individualisme mais, ce n'est également que là où l'homme reste sujet que la lutte expresse contre l'individualisme et pour la communauté — en tant que champ et but de tout effort et de toute espèce d'utilité — a seulement un sens. » (1938 – Lire ici)

On admettra que ce texte ne comporte pas trop de termes techniques et qu’à condition de ne pas chercher à le comprendre dans sa totalité on peut néanmoins le lire en prenant appui sur sa structure syntaxique – comme s’il s’agissait d’un « texte à trous » - et donc le rendre intelligible – à condition toutefois de s’entendre sur ce qu’on dit par là. Si l’on veut dire qu’à une première lecture le sens du texte surgit d’un coup, comme la vérité sortant du puits, on fait fausse route. Car en réalité nous ne comprenons un texte que peu à peu en prenant appui sur une compréhension lacunaire, voire fautive. Et du coup, quand je découvre un texte nouveau, la seule chose dont je sois certain c’est que je ne l’ai pas compris, et que là où ça grippe, là où les mots attendus ne sont pas présents, alors c’est qu’un autre sens est en train d’apparaitre. 

Si je veux comprendre je ne peux lire sans relire : d’abord comme s’il s’agissait d’un texte ancien déjà connu ; ensuite comme un texte nouveau qui émerge des relectures qui s’enchainent.

mercredi 16 juin 2021

Tout désordre n’est qu’un ordre différent – Chronique du 17 juin

Bonjour-bonjour

 

Devant les risques de débordement des mesures de distance sociales et des précautions sanitaires, en raison de la canicule, de l'arrivée de l’été, de la fête de la musique – et n’oublions pas les matchs de foot – le gouvernement a décrété la suppression de l’obligation de porter le masque en extérieur ainsi que du couvre-feu. Certains y voient une mesure électorale ; d’autres y verront une mesure de prudence d’un exécutif impuissant devant les submersions observées ces jours-ci.

Oui, l’impuissance de l’exécutif saute aux yeux : depuis que les mesures barrières ont été imposées, impossible de les faire respecter lorsque qu'une foule entière décide d’y contrevenir. Un pauvre type qui traine après 23 heures un peu éméché, vous le coincez et il est bon pour raquer : 135 euros, cash ! Mais quand c’est toute une communauté (jeunes, supporters, fêtards, rockers, etc.) – et quand en plus on vote dans 3 jours (et aussi dans un an), alors on se méfie des retombées.

Toutefois, on certains parleront (et l’opposition n’y manquera pas) de reculade, de capitulation, de faiblesse indigne. Comment sauver ce « pragmatisme » qui a bien du mal à justifier ces décisions prises à la hâte ?

--> Consultons le philosophe de service pour savoir ce qu’il en pense ; sitôt questionné, vous l’entendrez, levant les yeux au ciel comme s’il écoutait les muses, dire en paraphrasant Cocteau : « Puisque ce chaos nous dépasse, feignons d’en être les organisateurs ». Autrement dit, ces désordres redoutés n’en seront plus dès lors que les règles qu’ils violent auront elles-mêmes disparu.

Mais alors cette mesure serait simplement cosmétique, poudre aux yeux pour faire oublier que, quand même, il y en a un qui se frotte les mains en apprenant la suppression de ces gestes barrières : c’est le virus (sic) ?

Avec un peu de chance, notre philosophe, s’il est dans un bon jour ajoutera : « Et alors ? Les stoïciens ne disaient-ils pas qu’il fallait suivre la nature ? Et que dit la nature ?  Qu’elle a tout prévu, et les virus et les anticorps : intervenir là-dedans c’est perturber la marche normale des choses.

Et puis, rappelez-vous Bergson pour qui la nature et l’intelligence ont deux façons différentes d’organiser le monde. L’ordre voulu par l’une est désordre en fonction des attentes de l’autre.

Et il ajoutait : « Tout désordre n’est qu’un ordre différent »

mardi 15 juin 2021

Le retour des jours heureux – Chronique du 16 juin

Bonjour-bonjour

 

« Les Bleus sont lancés ! Pour leur entrée en lice dans l'Euro de football, les Tricolores se sont imposés 1-0 face à l'Allemagne à l'Allianz Arena de Munich. » (Lu ici) : telle est l’information qui s’étale à la une de la presse ce mercredi matin. 

 

… Ouf ! Moi qui pensais faire ma chronique sur le port du masque, de plus en plus difficile à supporter – avec un titre genre « Masque ou muselière ? » – me voilà réorienté vers « la vie d’avant », celle où le souci essentiel était de savoir si on rentrerait dans son maillot de l’an dernier (heu… plutôt de 2019), ou si les Bleus allaient faire mentir les pronostics favorables à la Mannschaft. C’est donc que pour être normal il faut en passer par quelques repères bien précis et auxquels on ne songeait plus ces temps-ci.

Mais comment caractériser les préoccupations qui se révèlent ainsi ? Ou, pour être plus précis : quand le Président nous a promis le retour des jours heureux, que nous a-t-il promis ? A quelles joies pensait-il ?

Si, pour être heureux il faut ne se préoccuper que des performances de l’équipe nationale de football ou de notre poids sur la balance de la salle de bain, admettons que nous ne nous préoccupons que de l’accessoire, de l’inessentiel. On conclut alors que, lorsque l’essentiel est assuré, nous ne nous sentons pas automatiquement satisfaits : simplement nous investissons nos soucis dans l’inessentiel. Voilà.


- Ne nous nous soucier que des performances de Kylian Mbappé ou de Paul Pogba : c’est ça le bonheur !

Et donc, que demain les bleus soient humiliés 3-0 par une obscure équipe, ou que notre balance nous taxe de 3 kilos de trop malgré nos efforts (plus de sucre dans le thé ; 2 Kriprolls-confiture maximum) alors nous voilà très malheureux – prêts à nous jeter par la fenêtre ! 

Du coup, qu’est-ce qui a changé ?

Comme le disait un philosophe hégélien (dont j’ai perdu le nom), lorsque Marx nous promettait qu’à la fin de l’histoire les aliénations dont nous souffrons aujourd’hui auront disparu, il ne voulait pas dire qu’il n’y aura plus d’amoureux trahis ni d’enfants mal aimés. Mais seulement que les malheurs ne viendront pas de l’État, mais seulement des personnes elles-mêmes.

lundi 14 juin 2021

Embrassez qui vous voudrez – Chronique du 15 juin (2021)

Bonjour-bonjour

 

En avons-nous fini avec le coronavirus ? Pouvons-nous revenir à nos habitudes de la vie d’avant ? Nous frotti-frotter avec qui nous plait ? Pratiquer de nouveau ces baiser profonds qu’on appelle « french kiss » qui mélangent hardiment nos tissus salivaires ?

 


  

Qu’en pense donc la Faculté ?

Hélas ! Les professeurs de virologie sont formels : le virus continue de circuler sous des déguisements qui risquent de tromper nos vaccins, de sorte qu’il va falloir soit continuer à nous faire piquer, soit garder les gestes barrières, les quels comme vous vous en doutez ne tolèrent pas de telles familiarités.

Sauf qu’on oublie que notre système immunitaire est naturellement développé par ces échanges de flores bactériennes buccales qui s’opèrent lors de ces bisous un peu appuyés.

Vous ne me croyez pas ? Lisez alors ceci :

« Colonisation bactérienne, cavité buccale... Sachant qu'une bouche renferme près de 700 types de bactéries, embrasser son partenaire 10 secondes avec la langue favoriserait l'échange de quelques 80 millions de bactéries, d'après cette étude hollandaise. »

L’article conclue hardiment que « le baiser, c'est bon pour la santé : les chercheurs ont démontré que ces bactéries préservaient de certaines maladies. Ces scientifiques des Pays-Bas ont appuyé leur analyse en prélevant la salive de 21 volontaires en couple, avant et après un échange de baiser.

Cette pratique du french kiss, universelle et fortement usitée dans nos cultures, serait de ce fait bénéfique pour la santé de l'Homme. De quoi mettre à jour de potentielles thérapies bactériennes futures... en s'embrassant ! »

Voilà le message du jour, chers amis : au lieu de courir partout pour vous faire vacciner encore et encore, trouver-vous de gentilles partenaires et roulez des patins tant que vous pourrez.

dimanche 13 juin 2021

La guerre des saucisses – Chronique du 14 juin

Bonjour-bonjour


Ce titre accrocheur (qui n'est pas de moi mais de BFMTV)  désigne la polémique entre Emmanuel Macron et B­oris Johnson à propos du contrôle des marchandises entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du nord qui bloque les produits périssables comme les saucisses. Boris Johnson estime que cela revient à interdire la vente de saucisses de Toulouse à Paris. A quoi le Président français a rétorqué que "Paris et Toulouse font partie du même pays", ce qui, selon les britanniques laisse entendre que l'Irlande du Nord ne ferait pas partie du Royaume-Uni.  L'entourage du président français a cherché à désamorcer la polémique en assurant que le Président avait employé non pas le terme de « pays » mais celui de « territoire ». Bref, tout cela tournerait autour d'une subtilité qui aurait échappé au traducteur anglais : il n'y aurait pas lieu de se faire la guerre, en tout cas pas pour des saucisses.

Reste quand même que cet imbroglio est plus sérieux que cela - et même qu'il relève d'une contradiction qui consiste à établir une frontière entre le Royaume-Uni et l'Europe-Unie sans couper l'Irlande du nord ni de l'île de Grande-Bretagne ni de la République d'Irlande.

Cette complication ne résulte pas seulement des tractations qui ont abouti au traité du Brexit ; elle souligne aussi - et principalement - le paradoxe inhérent au concept de frontière, tel que résumé par cet article du CNRTL : « Frontière : toute espèce de barrage, défense, obstacle que l'on peut ou doit franchir. »

A la fois obstacle et point de passage, la frontière est nécessairement l'aboutissement de négociations entre les deux Etats qu'elle sépare. Elle peut certes être fermée et constituer une barrière sans aucun point de passage ; mais dans ce cas elle n'est justement plus une frontière puisqu'elle exclut les relations entre les deux pays qui la bordent.

Voyons le cas qui nous préoccupe aujourd'hui : il n'y aurait théoriquement aucun inconvénient pour l'Europe à imposer une frontière terrestre stricte entre l'Irlande du Nord et celle du Sud ; sauf que dans ce cas la guerre entre les deux Irlandes se rallumerait aussitôt. L'Union Européenne qui souhaite protéger ses Etats membres ne peut imposer une telle situation qui serait désastreuse pour un des Etats qui la compose. Il faut donc que la frontière soit poreuse sans cesser d’exister : là est le dilemme que les diplomates n'ont pas encore réussi à trancher.

samedi 12 juin 2021

La tardigrade est l'avenir de l'homme – Chronique du 13 juin

Bonjour-bonjour,

À force de se priver de tout pour préserver notre santé ainsi que les ressources de la planète, on se demande quel modèle suivre pour y parvenir : avoir sobriété du chameau du désert, la résistance aux polluants comme les rats d'égouts, la capacité reproductive du lapin de garenne ?

Eh bien non : tous ces bestiaux sont en effet bien résistants, mais ils sont largement battus par le tardigrade. Ecoutez plutôt : des tardigrades congelés durant 24000 ans dans le permafrost ont été retrouvés toujours en vie. Avec ça ils ont la capacité de résister à tout, aux températures sibériennes comme aux radiations, à la déshydratation, au manque d 'oxygène, etc (lire ici).

Voici le portrait de ce champion de la survie en milieu hostile :



Ce petit animal mesure 1 millimètre de long  et il se compose d'un tube digestif : d'un côté, une bouche ; de l'autre, un anus. Plus un petit paquet de cellules gliales – et c'est tout.

Voilà ce que nous dit la vie, à nous autres hommes assoiffés d'idéaux : "Si vous voulez entendre mon commandement, contentez-vous de vous conserver et de vous reproduire." Pas de fonctions cérébrales ; pas d'idéaux spirituels ; par de créations artistiques : tout ça, hop ! par-dessus bord. Juste une bouche, un anus et ce qu'il faut entre les deux. Soyons comme le nourrisson qui vient juste de naitre et qui ne sait d'instinct qu'une chose : téter le sein de sa mère.

Ai-je tout récapitulé ? Non en effet, il manque quelque chose : le moyen de se reproduire, car la conservation de l'individu se fait avec l'obligation de la propagation de l’espèce.

Ah, je vous vois venir : « Oui-oui, le tardigrade doit avoir lui aussi un zizi. Et s'il s'en sert, tout microbe qu'il est, c'est qu'il doit ressentir ce que nous ressentons le samedi soir en lutinant notre bien-aimée. Bonne bouffe et bon lit : si c'est ça que le tardigrade nous donne comme modèle, j'en veux bien – à condition que les limites en soient repoussées. »

Partis sur la piste du minimum vital, nous voici d'un coup en compagnie de Nietzsche et de Sade! Quel retournement de situation ! C'est que voyez-vous, ce qui fait l'homme, c'est la démesure.