dimanche 20 juin 2021

Les petits riens – Chronique du 21 juin

Bonjour-bonjour

 Ce qui frappe ces jours-ci, c’est à quel point des gens ordinairement si grognons expriment leur contentement pour des petites choses, telles qu’oublier le temps devant un verre en terrasse, faire le lézard sur les pelouses du parc avec tous ses amis, passer d’un bar à l’autre jusqu’au bout de la nuit.

On l’a compris : ces petits riens qui jalonnaient la vie quotidienne « avant » deviennent des joies sans pareil à présent que nous en avons été privés par la pandémie durant de nombreux mois. Il s’agit là de banalités que nous avons eu l’occasion de méditer quand notre grand-mère nous disait : « Toi petit, tu as besoin d’une bonne guerre ! ». Ou encore quand lycéens boutonneux, nous ricanions en entendant le prof citer Corneille : « Et le désir s'accroît quand l'effet se recule » (1). 

Banalités, oui… Mais le philosophe aime à prouver que des vérités se cachent là aussi, dans ces lieux communs, dès lors qu’on les interroge.

Car en effet :

1 – Les français si rapides à chouiner et à incriminer le Pouvoir dès qu’ils sont privés de quoique ce soit, se mettent à rire et à s’exciter dès qu’ils retrouvent leur picole avec leurs amis de sortie ; une séance de ciné et c’est le paradis ; un match le foot et c’est le nirvana !

2 – On peut en conclure que nous sommes bien dans le mécanisme du désir, conformément au principe énoncé par Corneille (ci-dessus) : nous qui ne sommes privés de rien quand il s’agit de nos besoins (Cf. le « quoiqu’il en coute » du Président), nous voilà dans la mécanique du désir : moins tu dépenses, plus le plaisir est grand. Cette vérité-là, on l’avait oublié.

3 – On constate du coup, que ce qui a disparu durant cette pandémie, c’est l’immédiateté de la satisfaction, remise à plus tard, demain, dans un mois, dans un an… (2). C’est donc le principe même de la consommation qui a été anéanti, principe qui veut qu’on satisfasse nos désirs avant même qu’ils soient ressentis, et qui cherche à grand coups de publicité à les exciter.

Or, le meilleur excitant du désir, c’est l’abstinence. Et ça, c’est invendable !

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(1) Corneille – Polyeucte, Acte I, scène 1. Bien sûr nous entendions plutôt « Le désir s’accroit quand les fessent reculent ». Notez l’innocence de nos plaisirs de l’époque…

(2) « Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous / Seigneur… » Racine Bérénice, acte IV scène 5. Après Corneille, Racine : parité oblige…

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