dimanche 28 février 2021

Chronique du 1er mars

Voici en quelques titres les chroniques auxquelles mon absence vous a permis d’échapper.

 

Science-porc : autrefois le patron sautait la bonne ; aujourd’hui le futur patron saute aussi la future patronne.

- Gladstone : « Ma femme et moi, nous ne faisons qu’une seule personne : moi. »

- Animaux, méfiez-vous du bien-être animal : vous finirez de toute façon dans la casserole.

- Ah, que je t'aime, toi mon amour, mon intriquée ! Du temps de Goethe, on imaginait l’amour comme une liaison comparable à celle des affinités électives, présentes dans les réactions chimiques. Aujourd’hui on recourt à la physique quantique avec ces particules intriquées qui co-réagissent exactement de la même façon, quelle que soit la distance qui les sépare.

Le covid et nous, c’est comme ces vieux couples qui se disputent tout le temps : on se sépare, et puis on finit toujours par revenir et se réunir.

mardi 23 février 2021

lundi 22 février 2021

Un débat préhistorique – Chronique du 23 février

Bonjour-bonjour

 

Retour sur la polémique à propos des menus de cantine scolaire avec ou sans viande.

Hier je pensais en avoir terminé avec ce débat mais l’actualité en a décidé autrement, avec ces élus dont la verve est sans limite en pareille occasion. 

Alors que Pascal Girin, président de la FDSEA du Rhône déclarait « L’argument du protocole sanitaire, c’est un prétexte derrière lequel ils se cachent pour mettre en œuvre leur promesse électorale d’un menu végétarien », Barbara Pompili allait jusqu’à dénoncer un « débat préhistorique ».


« Toi, homme, pas toucher mon auroch » grognait l’homme de la Chapelle-aux-Saints devant la dépouille de l’animal que ses congénères convoitaient. 

 


  
Vous avez vu la puissante carcasse de cet homme ? Comment a-t-il pu se développer ? En mangeant des choux et des navets, ou en se bâfrant de viande crue ? Il y a peu, un manifestant pro-élevage brandissait  une pancarte où on pouvait lire : « Pour combattre la covid, mangez de la viande ! »


Mais en réalité on imagine que notre lointain ancêtre ne se posait pas de telles questions, parce qu'il s’inquiétait plutôt de trouver une pitance, n'importe la quelle, dans un milieu parfois généreux, parfois avare en ressources : tantôt chasseur, tantôt cueilleur. Ne jamais refuser l’un et n’accepter que l’autre, au risque de disparaitre victime de la famine récurrente. Et d’ailleurs, aujourd’hui, croyez-vous que beaucoup d’êtres humains pourraient se demander quoi choisir ? Si la famine a reculé sur la planète, elle n’a pas disparu : on reproche aux chinois de consommer des animaux sauvages porteurs de virus ; mais pendant des millénaires ils n’ont pu survivre qu'à condition de manger à peu près tout ce qui bouge, vers de terre et pangolins compris.


Madame Pompili se trompe quand elle dit que nous avons-là un débat préhistorique. Car tout au contraire, ce débat est celui que tiennent les enfants gâtés du progrès, bourrés de vitamines et de calories.

Ne discutez pas la bouche pleine !

dimanche 21 février 2021

L’idéologie est dans l’assiette – Chronique du 22 février

Bonjour-bonjour

 

Pas plus tard qu’hier j'annonçais la mort des idéologies. Oui-oui… mais quand même : pas si mortes que ça les idéologies, puisqu’aujourd’hui même on dénonce leur retour dans les cantines scolaires.

Des exemples ? Il y en a à foison, voyez plutôt :

- En décembre, refus de Pierre Hurmic, maire de Bordeaux, d'installer un sapin, « arbre mort de Noël », devant la mairie (pas dans les cantines, mais presque).

- Hier : choix du maire de Lyon d'imposer temporairement des menus uniques sans viande - mais avec œufs et poisson - dans les cantines scolaires

- Et a contrario, il y a quelques semaines, en Alsace on va introduire de la viande de gibier dans les menus des collèges 

 

Tout cela sur fond de polémique entre responsables locaux, les uns dénonçant des décisions idéologiques, les autres vantant l’échelon local, incarné par les cantines scolaires, pour servir de « fer de lance de la transformation écologique»  

Car il s’agit pour les partis écologistes de réaliser la « transition alimentaire » vers une consommation plus végétale... Autrement dit, on veut nous inciter à devenir végétarien, sachant que l’élevage d’animaux de boucherie absorbe des ressources alimentaires précieuses et pollue la terre, l’air et l’eau. Quant aux Alsaciens, c’est de la même façon qu’ils veulent valoriser leur tradition cynégétique avec l’inscription de sanglier dans les menus des écoles.

 

En dénonçant cette évolution comme étant guidée par une idéologie, que veut-on dire ?

L’idéologie est un système d’idées ou de représentations soutenant une « vision du monde ». Pour les philosophes, une vision du monde est une Weltanschauung définie par Kant comme « l'intuition d'un tout, ouvrant sur une idée du monde à laquelle ne correspond aucune connaissance théorique ». (Critique de la faculté de juger § 26) Rien dans la réalité ne correspond donc à cette pseudo connaissance et les décisions qui sont prises en rapport avec elle ne sont que des choix qui n'ont aucune nécessité objective. 

Si vous vous étonnez de voir cet attirail conceptuel mobilisé pour justifier des menus de cantines, c’est que vous avez oublié que la nourriture est l’objet de tabous très strictes édictés autrefois par les religions et maintenant par les idéologies – par exemple naturalistes. La puissance des tabous alimentaires (comme notre refus de manger du chien ou pour les musulmans du porc) montre combien l’éducation est déterminante pour l’acceptation ou le refus des aliments. On pourrait bien imposer ces menus ciblés dans les restaurants d’entreprise, ce serait diététiquement aussi valable ; mais c’est quand même chez nos petits enfants qu’on le fait.

Faut-il s’en scandaliser ? Oui, mais en n’oubliant pas que d’autres manipulateurs opèrent en douce sans même qu’on le remarque.

Vous voyez de qui je veux parler ? 




samedi 20 février 2021

No future – Chronique du 21 février


 



Bansky – “No future” – SOUTHAMPTON, ENGLAND

 

Bonjour-bonjour

 

Comme vous le savez, je tiens à conserver une note de légèreté et d’optimisme le dimanche. Or, nous sommes dimanche et choisir comme thème la formule « No future », qui plus est illustrée du graffiti de Bansky, voilà qui peut paraitre paradoxal. 

Et si nous vivions sans futur, ou plutôt sans nous projeter dans le futur ? J’entends bien que cette projection est la preuve d’un véritable optimisme, comme d’acheter des tongs et un bermuda quand il neige encore ou – pire ! – quand l’épidémie menace de nous confiner une fois de plus. Mais ce futur rêvé n’est-il pas comme le ballon de la petite fille du graffiti de Bansky quelque chose de léger, certes, mais qui risque de crever à l’instant même ? Se projeter ainsi n’est-il pas la preuve que ce n’est pas dans la joie que nous sommes, mais dans la promesse d’une joie ?

 

Méfions-nous de ceux qui nous promettent un « Avenir radieux », car ils nous le feront payer de sacrifices et de souffrances bien réelles. Si les idéologies n’ont plus cours aujourd’hui, c’est que nous avons payé très cher la croyance en leur victoire prochaine : la promesse de la société sans classe, comme celle où les richesses ruissellent d’elles-mêmes, nous en avons été désabusés : ce n’étaient que promesses de totalitarisme. Tâchons alors de voir le présent comme le temps de la joie, ou plutôt de la béatitude, pour parler comme Spinoza.

En effet, si la joie n'est pour Spinoza qu’un moment très bref, la béatitude quant à elle nous installe dans une éternité atemporelle.

 

Lisons ce commentaire de l’Éthique par Julie Henry (voir ici)

« La béatitude n’est pas la récompense de la vertu mais la vertu même : la fin n’est pas quelque chose qui était au loin devant nous, qu’on espérerait atteindre… mais quelque chose qui nous avait accompagnés, et c’est peut-être ça le premier lien entre la joie et la béatitude, si la joie est le passage à une perfection supérieure, justement, elle nous a accompagnés tout au long du chemin avec l’idée que la béatitude n’est pas ce dans quoi on va s’arrêter, comme si nous allions nous poser et qu’après nous serions en repos éternel, mais quelque chose qui nous avait guidés, qui nous guide encore tout au long de l’Ethique… La fin de l’Ethique c’est presque un début, qui nous invite à continuer.  »  

Le futur espéré, nous l'avons déjà aujourd'hui, et la fin recherchée, nous la possédions depuis le début.


Ça, c’est le message du 8ème dimanche de 2021.

vendredi 19 février 2021

Découpe de la 1ère tôle d’un futur sous-marin nucléaire – Chronique du 20 février

Bonjour-bonjour

 

Ce matin, je lis : « D’ici 2035 Naval Group et Technic Atom leaders européens du naval militaire construiront pour la Marine Nationale 4 sous-marins lanceurs d’engins, à la cadence d’un tous les cinq ans. D'ici à 2023, Naval Group procédera à la première découpe de tôle du tout premier exemplaire du SNLE 3G. » (Lu ici)

Voilà l’info : la plus proche action dans le délicat processus de fabrication de ces sous-marins lanceurs d’engins nucléaires est … la découpe de la première tôle. Il est vrai que ce n'est qu'un symbole, mais justement que vaut ce symbole ?

Il parait calqué sur la cérémonie de la pose de la première pierre : alors pourquoi pas la première tôle ?

Voyons ceci :

 



Mercredi 4 septembre 2019 à Parc Fetan, avait lieu la pose de la première pierre de logements sociaux, surface commerciale et cabinet infirmier, en présence de Norbert Métairie, président de Lorient Agglomération. L’inauguration est prévue en juin 2020. Vu ici

 

Ce qui saute aux yeux, c’est que la première pierre semble bien être au moins… la douzième, si l’on en croit le mur déjà construit où l’élu place un énorme parpaing. Ensuite on se demande si un bâtiment va se construire autour de ce pan de mur : et si c’était une maçonnerie postiche, édifiée juste pour la cérémonie et destiné à la démolition avant que le mortier soit sec ? 

Stop aux critiques mesquines ! Quand les élus se font constructeurs on comprend qu’ils ne le sont que par comparaison avec le travail véritable du maçon qui, quant à lui, doit se coltiner les vrais parpaings, ceux qui pèsent entre 15 et 20 kilos (vérifié ici), à cimenter tous les jours, qu’il pleuve qu’il vente qu’il neige ou qu’il fasse 40° au soleil. Au premier coup d’œil on voit sur la photo que le Président de l’Agglomération lorientaise n’a pas les mêmes contraintes. Mais qu’importe ? Le symbole repose ici sur une analogie assez transparente :  ce que le travail du maçon est à l'édification de l'immeuble, celui de Président l’est à la construction de ces logements sociaux.

Reste quand même à vérifier que ce symbole soit pertinent. Dans le cas de la construction d’un immeuble, on admet que la maçonnerie soit essentielle pour son existence. Mais la tôle représente-t-elle bien le sous-marin ? Certes, pas de sous-marin sans une coque d’acier faite de tôles ajustées – dont forcément une première qui lance le début des travaux. Mais un sous-marin nucléaire, fierté de la Nation peut-il être symbolisé par des tôles, comme un simple chalutier ? L’article cité explique qu’il faudra intégrer « plus d'un million de composants, équipements et systèmes et poser des centaines de KMS de câbles au cœur des bateaux, qui  en font les objets technologiques les plus complexes au monde » : on peut penser que la pose du premier mètre de câble ou du premier composant électronique serait plus pertinent.

jeudi 18 février 2021

L’esprit et la lettre – Chronique du 19 février

Bonjour-bonjour

 

Nous lisons un article publié originellement par le site vice (traduit ici) : « Nous sommes à Beverly Hills en Californie. Alors que le militant filme en direct sa discussion avec un policier, ce dernier demande combien de personnes regardent le live, puis sort son téléphone et lance le morceau Santeria, du groupe de musique californien Sublime. L’homme, identifié comme étant le sergent Bill Fair, “augmente le volume” et “reste silencieux pendant près d’une minute” tandis que la musique se poursuit. » relate le site vice.



Alors, les policiers tentent-ils de désamorcer la contestation par la diffusion de musique supposée sinon adoucir les mœurs, du moins détourner l’attention contestatrice vers des horizons musicaux ? Bien sûr que non : « pour éviter d’être filmés, des policiers américains diffusent de la musique sous copyright. C’est tout simple et il semble qu’il s’agisse d’une tactique délibérée (bien que malavisée) pour éviter de se faire filmer en s’appuyant sur la protection des droits d’auteur en vigueur sur les réseaux sociaux. » poursuit notre informateur.

 

- C’est peut-être une violation de la liberté d’expression, mais elle est conforme à la loi, en l’occurrence la loi sur les copyrights. Peut-on faire condamner cet usage de la loi sur les droits d’auteurs manifestement détournée de son but ? Non, car la loi en question ne comporte pas ce genre d’exclusion : il faudrait donc, avant de pouvoir condamner, la réécrire. Cet usage de la loi, même pervers, n’en est pas moins très courant, parce que la loi, tout en étant générale ne peut prévoir tous les cas possibles existant dans la réalité.

Tel était déjà au 4ème siècle av. J-C l’avis d’Aristote (dans l’Ethique à Nicomaque, ch. 5, § 14) : « L’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale. La raison en est que la loi est toujours quelque chose de général, et qu’il y a des cas d’espèce pour lesquels il n’est pas possible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude. (…) Quand, par suite, la loi pose une règle générale, et que là-dessus survient un cas en dehors de la règle générale, on est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplification, de corriger l’omission et de se faire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment, et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question. » Aristote, Éthique à Nicomaque V, 14

Bref, la jurisprudence est une nécessité liée au décalage entre l’universel, qui n’existe pas en dehors de la sphère des idées et le réel toujours irrégulier et changeant. C’est l’infériorité de notre monde par rapport au monde idéal qui explique la nécessité d’adapter en permanence la loi au réel. Et donc de distinguer l’esprit de la loi et sa lettre.

La notion moderne de "faille de sécurité" servait déjà au 4ème siècle av. j-c à rendre compte des contournements possibles de la loi.

mercredi 17 février 2021

La jaguar ne rugira plus – Chronique du 18 février



 

 Bonjour-bonjour

 

Non, cette formule n’est pas un message codé de Radio-Londres. C’est un simple constat qui fait suite à l’information suivante : la Jaguar deviendra 100% électrique dès 2025.

Un moteur électrique, ça signifie des démarrages dans un léger bruissement, des accélérations sans bruit caverneux de cylindres, des passages tellement silencieux qu’ils en deviennent dangereux pour les piétons. Certains applaudiront cette nouveauté ; d’autres la regretteront : une Jaguar, c’est d’abord le son caractéristique de son moteur – et on en dirait autant de Ferrari, de Lotus etc. autres voitures de rêve vouées au basculement vers l’électrique,  au risque d’être confondues avec les véhicules des postes.

Mais en dehors cette perte d’identité, ce qui se perd ici c’est le signe de la puissance, le symbole du pouvoir non seulement sur la route mais aussi sur la société.

Bien sûr, le luxe inimaginable de ces belles voitures devrait suffire à afficher la valeur sociale de leur propriétaire. Mais justement : si les moteurs cessent de clamer l’extraordinaire puissance de ces voitures, les personnes qui restent à l’extérieur ne peuvent avoir la moindre l’idée de leur luxe.

Mais surtout, ces coups d’accélérateurs qui déclenchent le tonnerre ne sont pas des signes abstraits : ce sont des manifestations concrètes de la puissance. Quel sentiment de puissance quand le plus petit appui du pied sur la pédale de l’accélérateur déchaine le rugissement des cylindres amplifié par le pot d’échappement en bruit rageur et profond à la fois ! C’est que la puissance se mesure à l’écart entre la faiblesse de l’effort rapporté au gigantisme de son effet.

 

Un exemple ? Voici : dans la Création, l’oratorio de Haydn (à 9m15 de la vidéo à écouter ici) on est dans le premier numéro du livret : la terre est encore plongée dans l’obscurité. C’est alors que Dieu dit : « Es werde Licht ! Und es ward Licht » (Que la lumière soit / Et la lumière fut) : le chœur murmure les mots und es ward, et se déchaine dans une clameur soutenue par l’orchestre avec timbales et trompettes quand vient le mot LICHT. Ce fortissimo qui succède au pianissimo fait ressortir la modicité de l’effort déployé par le Créateur pour produire ce déferlement de la lumière. C'est une formidable leçon de théologie qui nous donne une idée de la puissance divine : Jaguar devrait bien s’en inspirer !

mardi 16 février 2021

Mon second organe préféré – Chronique du 17 février

Les personnes qui se sentent seules ont un cerveau différent de celui des autres, leur « réseau cérébral par défaut » présente des connexions plus intenses et contient plus de substance grise, ce qui pourrait s'expliquer par une plus grande tendance à l'introspection… En clair, la solitude renforcerait l'imagination. (Lire ici)

 

Bonjour-bonjour

 

Vous me connaissez, chers amis : je ne suis pas du genre à vous communiquer des infos seulement parce qu’elles font bling-bling – quitte à faire pschitt l’instant d’après. Il faut des nouvelles qui ouvrent aussi des perspectives sur des réflexions métaphysiques. La nouvelle selon laquelle la solitude ferait grossir le cerveau est de celles-là : non seulement parce que pour nous autres sapiens-sapiens la taille de notre cerveau est un objet de fierté (« Mon cerveau ? C'est mon second organe préféré. » disait Woody Allen). Mais encore parce qu’en situation d’absence, c’est la zone où se situe l’imagination qui grossit dans le cerveau. 

 

- L’article cité en référence nous explique en effet « qu’en l'absence d'expériences sociales désirées, les personnes qui se sentent seules ont tendance à intérioriser leurs pensées, notamment en se rappelant des événements ou en imaginant des interactions sociales fictives, stimulant du même coup notre imagination. » Autrement dit, tantôt je songe à ce qui n’est plus ou pas encore ; tantôt je suis présent au réel parce que les autres m’y appellent. Pour mon cerveau, autrui est l’interface entre moi-même et la réalité ; en son absence je flotte au-dessus du temps, mais aussi au-dessus de la réalité. 

C’est ce flottement qui a constitué la trame du roman de Michel Tournier Vendredi ou les limbes du Pacifique. Le Robinson de Tournier traverse une crise de déréalisation : son île lui parait irréelle, sorte de décor sans épaisseur parce que nul regard étranger au sien ne vient lui donner de la consistance. Comme au cinéma, il faut toujours deux caméras pour filmer la scène : en champ et contre-champ.

Voilà confortée l’image du poète maudit qui brame son malheur dans la solitude d’un clair de lune. Mais voici également clarifié le rôle des relations humaines et de la société pour les êtres humains.

lundi 15 février 2021

L’esclavage et la Mama – Chronique du 16 février

Bonjour-bonjour

 

Vous vous rappelez de Hattie Mc Daniel ? Cette célèbre actrice noire qui interpréta le rôle de « Mama » dans le film Autant en emporte le vent et qui fut oscarisée pour cela ?

 



 À sa sortie en 1940 le film rendit manifeste la ségrégation raciale dont les noirs étaient victimes : « Hattie McDaniel n'a pas pu assister à la première de « Autant en emporte le vent » à Atlanta parce qu'elle se tenait dans un théâtre réservé aux Blancs. Lors de la cérémonie des Oscars à Los Angeles, elle s'est assise à une table séparée sur le côté de la salle ; l'hôtel Ambassador où se tenait la cérémonie était réservé aux Blancs, mais lui a fait la faveur d’y assister. » peut-on lire dans l’article que Wiki lui a consacré. Mais plus tard, lors de sa mort en 1952, l’apartheid existait bel et bien encore : « Lorsqu'elle mourut en 1952, son dernier souhait - être enterrée dans le cimetière d'Hollywood - fut refusé parce que le cimetière était réservé aux seuls blancs ».

On voudrait croire que ce rappel n’a d’intérêt qu’historique et que les États-Unis ont tourné la page ; que les suprématistes venus au premier plan grâce au Président Trump ne sont qu’une minorité insignifiante. Avec le temps, on voudrait croire que les symptômes de l’esclavage ont disparu et que si les noirs restent plus pauvres que les blancs, cette inégalité tend à disparaitre. Oui, on voudrait le croire…

Mais en fait, ce en quoi nous croyons, c’est qu’il est normal que, par nature, des communautés restent en bas de l’échelle sociale, loin, très loin derrière les classes moyennes. Si l'existence de cette idée était avérée, ne constituerait-elle pas une survivance de l’esclavage (ou du colonialisme) ? S’il est juste que certains soient plus pauvres que d’autres ; s’il est normal qu’on leur refuse d’habiter dans les mêmes quartiers que les nôtres ; si leur nom suffit à les disqualifier pour être embauchés : ne leur attribue-t-on pas d'une certaine façon le même statut qu’aux esclaves d’autrefois ? Pour que tout cela soit compatible avec la justice, ne faut-il pas les regarder comme étant radicalement différents de nous ?

- En effet, avant même que s’instaure l’idée d’égalité, c’est la représentation d’une identité avec autrui qui doit exister. Comment comparer la condition des autres à la mienne s’ils sont radicalement différents – je veux dire si on ne peut pas « faire société » avec eux ? La ségrégation raciale est la conséquence de cette situation et si la notion de race est désormais rejetée, l’ostracisme qu’elle entrainait se porte quant à lui très bien.

Si l’on analyse l’esclavage en le réduisant à ses facteurs communs dans ses différents manifestations historiques ou géographiques, on voit qu’il ne consiste pas essentiellement dans le rejet de l’esclave hors de l’humanité, ni en la privation de sa liberté, mais dans le déni de son existence sociale.  L’esclave ne peut pas faire partie de la société des hommes libres, parce que toutes les attaches qui unissent ceux-ci ne les concernent pas. Comme le montre Aurélia Michel dans son récent livre (1), l’esclave ne dépend que de son maitre, nulle loi commune ne le concerne, et le célèbre Code noir de Colbert a été créé pour mettre quelques règles là où il ne pouvait exister aucune loi. 

Et nous ? Nous qui avons fait la révolution pour mettre en œuvre les valeurs républicaines qui font encore aujourd’hui partie du préambule de notre constitution : nul déni de justice, nul refus de faire société avec l’ensemble de nos concitoyens (et pour nous, fils des Lumières, tout homme n’est-il pas notre concitoyen ?) ne pourrait plus exister chez nous ?

Mais si ce déni commençait avec la tolérance des quartiers ghetto des banlieues que nous avons désertées ? Si notre indulgence vis-à-vis des contrôles au faciès ou des sélections d’embauche au patronyme avait quelque chose à voir avec cette idée que – vraiment nous ne vivons pas dans le même monde ?

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(1) Aurélia Michel – Un monde en nègre et blanc - Enquête historique sur l'ordre racial. Édité en Point Seuil ; en ebook ici


dimanche 14 février 2021

La junte birmane ouvre les prisons – Chronique du 15 février

Bonjour-bonjour

 

La junte birmane coupe Internet, lance les blindés de l’armée dans les rues de Rangoun et… libère 23000 prisonniers. Là on sursaute : ça parait plutôt incohérent, puisqu’on s’attendrait plutôt à des arrestations massives : pourquoi les militaires videraient-ils les prisons alors que d’habitude ils les remplissent ?

Lisons l’information : « Certains Birmans craignent aussi que la libération massive cette semaine de plus de 23000 prisonniers par l’armée n’ait été orchestrée pour semer le trouble en relâchant des individus peu recommandables, tout en faisant de la place dans les prisons pour les détenus politiques ». (Lu ici)

 

- Bien sûr la répression soulève toujours le même problème : que faire des prisonniers qu’on vient de rafler dans les manifestations tant qu’on n’a pas encore construits les camps pour les retenir ? Les stades comme à Santiago ou en Argentine, ça peut se concevoir, mais seulement pour peu de temps – Et puis de toute façon, il faut encore arrêter les gens et les amener là.

Mais déstabiliser la population avec cette libération qui, du même coup fait de la place pour emprisonner les manifestants, voilà qui est habile… et cruel en même temps.

En effet, l’hostilité manifestée par une telle mesure saute aux yeux : il s’agit pour les militaires d’affaiblir le peuple et pour cela on le déstabilise en lâchant des asociaux qui vont voler, piller, assassiner. On aurait lancé une guerre bactériologique, en empoisonnant l’eau ou en diffusant des virus pestiférés on n’aurait pas fait mieux. C’est même plus malin de libérer des criminels dont on sait se protéger quand on a des casernes et des fusils d’assaut, alors que les virus peuvent revenir à leur source et là, nulle arme ne pourrait les arrêter.

Mais quand même : on voit que le pouvoir s’est allié avec la pègre et que si les honnêtes gens sont dans les prisons, ça veut dire que ceux qui sont dehors, ce sont les criminels.

samedi 13 février 2021

Les oiseaux amoureux – Chronique du 14 février

Bonjour les amoureux !

 

Pour la saint valentin, je vous dédie ces vers de Guillaume Apollinaire :

De Chine sont venus les pihis longs et souples / Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples. (Guillaume Apollinaire – Alcools (1913), Zone)

 


 

 

Selon la légende chinoise, les pihis sont des oiseaux fantastiques qui n’ont qu’une seule aile et qui sont donc obligés pour voler de se mettre en couple – de convoler au sens propre.

 

On dira peut-être que ce n’est là qu’une variante du mythe des androgynes de Platon, qui ont été coupés en deux, devenant ainsi des moitiés d’hommes et de femmes, et qui cherchent à s’unir amoureusement pour reconstituer leur « antique nature » ? Il y a ici pourtant une différence qui n’est pas mince : les oiseaux chinois ne s’assemblent pas pour « se réparer », ni pour surmonter un handicap ; chez eux l’union du couple permet de s’élever au-dessus de la condition rampante qui est la leur, de dépasser leurs limites. Cette vision chinoise est nettement plus stimulante, moins culpabilisante, moins misérable que la nôtre.

 

En tout cas elle illustre l’importance accordée au couple, et sans doute aussi à sa stabilité ; car qu’adviendrait-il de nos oiseaux si l’un d’eux décidait de suivre un chemin différent ? Au lieu d’un oiseau on aurait deux pierres tombant lourdement. Cela nous renvoie à l’article cité en note (1) : aujourd’hui, le couple se défait mais il se refait ailleurs ; il se « recompose ».  Ne nous laissant pas troubler par l’indice sans cesse croissant de « divorcialité » nous considérerons plutôt le taux de cohabitation sans mariage.

Au fond ce qui a changé, ce n’est pas le couple, c’est sa stabilité. Alors que nos pihis paraissaient unis à vie, voilà que nos époux d’aujourd’hui rejettent la notion d’un engagement à vie. Loin de refuser l’union, c’est le parchemin qu’on signe pour toujours qu’ils ne veulent plus : Ne gravons pas / Nos noms au bas / D'un parchemin dit Brassens dans La non-demande en mariage 

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(1) Cf.l’article de Gérard Salem et Francine Ferguson-Aebi : La fin des pihis – Le divorce comme rite de passage.

vendredi 12 février 2021

Le refus de savoir – Chronique du 13 février

Bonjour-bonjour

 

Je voudrais revenir un petit instant sur l’incroyable crédulité dont font preuve les pratiquants des « réseaux sociaux » si prompts à dénoncer les complots et encore plus prompts à croire les « nouvelles fausses nouvelles » préférées aux informations précédentes. Sans chercher à fustiger encore une fois les amateurs de « fakenews » je voudrais insister sur leur multiplication : nous n’avons jamais eu autant de propagateurs de fausses nouvelles, sans doute parce que nous n’avons jamais eu autant de nouvelles. Car les dénonciateurs de complots sont d’abord des gens qui refusent de croire à ces informations qu’on diffuse 24h sur 24 – plus exactement ce sont des gens qui refusent de savoir.

Ce refus de savoir a été d’abord repéré dans les diagnostics médicaux : les médecins savent très bien que certains de leurs patients sont dans le déni de leur maladie avant d’en être véritablement informés. Ces patients qui ne questionnent jamais leur médecin sur les conséquences de leur pathologie (« C’est grave Docteur ? »), et qui parfois préfèrent ne même pas consulter pour pouvoir nier plus longtemps la maladie, sont des gens qui ont la réalité en horreur. Oui, la phobie de la réalité factuelle, ça existe ! Certains préfèrent comme on vient de le dire la nier tout simplement en niant par exemple la gravité de l’épidémie (qui fait si peu de victimes) ; d’autres en cherchant à en faire un mal résultant de la volonté mauvaise d’ennemis du peuple (qui ont trafiqué le virus avant de nous en infester) ; d’autres enfin en niant en bloc les acquis de la science.

C’est ainsi que plus nous sommes informés plus nous détournons ces informations pour les remplacer par des fausses nouvelles. Que faire ? Comment soigner ces phobies déclenchées par l’affrontement avec la réalité ? Les spécialistes ont conçu une thérapie baptisée pompeusement « thérapie comportementale cognitive » qui permet avec l’usage d’un casque de réalité virtuelle de rencontrer progressivement la réalité de façon à dominer peu à peu la peur qu’elle suscite. Comme ici avec la peur en avion : 



Tout ce qu’on espère, c’est que le pilote ne porte pas le même casque.

jeudi 11 février 2021

La vie sexuelle des virus – Chronique du 12 février

Bonjour-bonjour

 

On relie parfois la dépression psychique à la disparition de la dopamine secrétée par le cerveau. Alors que d’habitude la simple évocation des situations qui nous procurent du plaisir (1) suffisent à déclencher la sécrétion de cette « hormone du plaisir » il arrive que des contextes ou des évènements particuliers nous privent de cette bienfaisante substance (d’où l’usage de drogues destinées à en augmenter la concentration dans le cerveau). Selon les spécialistes, cette production est considérée comme une récompense, liée à l’effectuation de fonctions qui garantissent notre survie comme consommer des aliments à haute teneur en calories, ou assurer la survie de l’espèce.

« La survie de l’espèce… » : on devine que la dopamine se trouve impliquée dans la sexualité. Sans elle qui se soucierait de copuler et donc de propager l’espèce humaine ? Nous avons besoin récompenses pour nous accoupler et nous admirons que la nature, outre un cocktails de d'hormones euphorisantes diffusées lors de l'orgasme,  nous ait doté d’organes dont la seule fonction soit de donner du plaisir dans l’acte sexuel.


Mystère de la nature : si on admet que la nature ait voulu que le plaisir sexuel soit intimement lié à la réunion des semences on s’étonne que chez les femmes le clitoris soit placé en dehors du vagin alors que, situé à l'intérieur de celui-ci, la femme ne pourrait obtenir sa récompense qu'à la condition de se faire pénétrer jusqu'à l'obtention de l'orgasme. Les paléo-physiologistes estiment que dans un lointain passé il en fut ainsi et que c’est au cours de l’évolution que cet organe migra vers l'extérieur. Dans certaines espèces qui ont encore cette disposition, l’ovulation elle-même est déclenchée par l’orgasme issu mécaniquement de l’accouplement - façon de définir le rôle de l’orgasme qui a tant préoccupé W. Reich : tous les coups sont gagnants !

 

Arrivons à l’essentiel : il y aurait deux sortes d’êtres : ceux qui ont besoin d’une récompense personnelle pour se reproduire, comme nous ; et ceux qui n’en ont pas besoin, comme les virus.

Car en effet, qui donc supposerait le coronavirus poussant un gémissent orgasmique lorsqu’il pénètre nos cellules au moment de s’y développer ?

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(1) Liste de ces situations (trouvée ici) :

- Manger de la nourriture présentant une haute teneur en calories.

- Avoir des relations sexuelles.

- Écouter de la musique.

- Faire du sport.

- Consommer certaines drogues.

- Aider les autres.

- Avoir une estime positive pour les autres.

mercredi 10 février 2021

Évolution de l’épidémie : prévision ou prédiction ? – Chronique du 11 février

Bonjour-bonjour

 

Depuis la décision du Président Macron de ne pas reconfiner les français et cela contre l’avis de certains membres du comité scientifique on a célébré le retour des décisions politiques qui auraient pris le pas sur l’avis des scientifiques.

Qui a raison ? Faute de savoir comment arbitrer ce match savant contre politique, pourrions-nous mieux comprendre pourquoi il peut avoir lieu ?

 

Depuis un an maintenant la science par l’intermédiaire de la médecine est sur le devant de la scène. On lui demande d’agir avec efficacité contre l’épidémie et de nous dire avec exactitude le cours futur de son évolution. Bref : grâce à leur science les médecins doivent prévoir l’avenir faute de quoi ils perdront aux yeux de la nation leur qualité de spécialistes scientifiques.

On connait la suite : devant le galimatias qu’ont constitué les controverses scientifiques incapables d’expliquer unanimement la progression de la maladie dont nous sommes affligés, nous nous sommes tournés vers des influenceurs d’opinion, certes incapables de prévoir l’avenir mais qui prétendent avec toute l’autorité imaginable pouvoir le prédire.

D’un côté la science pour laquelle le passé et l’avenir sont tous deux produits par le déploiement des mêmes lois, et donc identiquement connaissables. De l’autre, les affirmations qui puisent leur conviction dans les désirs et l’imagination. Les premiers prévoient l’avenir ; les seconds le prédisent.

On veut croire que le match est fini avant de commencer et que la science l’emporte sur l’opinion. Mais c’est oublier une chose : pour gagner la science doit avoir la même force de conviction que l’opinion. Or, quand on voit des scientifiques les plus honnêtes déclarer qu’on ne sait pas tout et que certaines connaissances sont encore hypothétiques et en attente de vérification, alors on peut être tenté de se tourner vers les charlatans qui exploitent la crédulité du public – car le public, vous et moi, sommes souvent plus intéressés par la certitude que par sa vérification.

Car il y a une incertitude savante, fondée sur la démarche scientifique elle-même. Et c’est celle-ci qui engage le politique, en tant qu’il est un décideur, à faire des choix sans y être déterminé par l'exactitude scientifique. Et c’est là que nous retrouvons l’origine de la décision de ne pas reconfiner le pays : cette décision s’est insinuée dans l’infime espace d’incertitude laissé par les épidémiologistes dans l’appréciation du cours des contaminations à venir.

On dit que « gouverner c’est choisir » ; il n’est pas sûr que le politique ait toujours le choix : entre la santé et la maladie, on ne choisit pas, on suit mécaniquement la voie qui mène à la santé. En revanche quand la certitude du résultat n’existe pas, le choix réapparait. 

On va croire qu’on ne gouverne jamais aussi bien qu’en tirant à pile ou face. Ce ne serait vrai que s’il n’y avait pas mille degrés de probabilités intercalés entre la certitude scientifique et la prédiction délirante.

mardi 9 février 2021

En-deçà du bien et du mal – Chronique du 10 février

Bonjour-bonjour

 

De même que le délai de prescription des délits sexuels ne cesse pas de rallonger, passant de 20 à 30 ans à compter de la majorité de la victime pour les crimes de viols sur mineur; il peut également arriver que le crime prenne une gravité qu’il n’avait pas aux yeux de la loi au moment de son accomplissement.

A-t-on affaire à un abus de rétroaction de la loi ? La constitutionnalité des projets de loi a été vérifiée par les instances compétentes je n’y reviens donc pas. Par contre je veux mettre en cause l’évaluation des crimes d’abus sexuels par l’opinion publique : ce que nous révulse aujourd’hui était-il condamné avec la même force au moment de son accomplissement ? On a déjà évoqué la question pour un autre sujet lors de l’épisode « déboulonnage » de statues : Colbert était-il coupable d’avoir rédigé le Code Noir ? Georges Washington, le Père fondateur de la nation américaine qui possédait près de 200 esclaves, doit-il être déchu des hommages qui lui sont rendus ?

--> Autrement dit : a-t-on le droit de réviser le jugement historique porté sur ces personnalités en usant des valeurs qui sont les nôtres aujourd’hui et non à l’époque où elles vécurent ? Notre « Bien » et notre « Mal » sont-ils universels au point de s’imposer, non seulement partout, mais aussi en tout temps ?

Ces questions intéressent au plus haut point les philosophes et déjà Nietzsche y consacra une grande partie de son œuvre, par exemple dans son ouvrage « Par-delà le bien et le mal » où il évoque la généalogie des valeurs, seul fondement possible de leur existence.

Du coup, si l’on se place dans une perspective historique, impliquant que chaque acte soit apprécié uniquement avec les valeurs qui dominaient à l’époque où il fut commis, alors on doit s’interdire de réviser le jugement qu’on porte sur lui avec les valeurs actuelles et non avec celles du moment où il fut accompli.


- Mais alors finie l’universalité des valeurs : je dois accepter que mon jugement soit relatif à l’époque et ne relève pas d’une éthique universelle. Inutile de préciser que, vu du côté de l’opinion publique qui juge avec ses affects et non avec la science historique, penser que ceux qui accomplirent ces actes abjects sans états d’âme sont innocents des crimes qu’on leur impute ça révulse.

lundi 8 février 2021

L’ère de la complexité – Chronique du 9 février

Bonjour-bonjour

 

« Je ne cherche pas, je trouve » C’est à cette formule de Picasso que je pensais hier alors qu’un conseiller ministériel affirmait sans ciller : « Plus on pense au problème, moins on pense à la solution ». Car nous voilà, face au grincheries des réseaux, acculés à renoncer à des mesures réalisables au profit de mesures irréalistes prises au nom de revendications multiples et contradictoires.

Pour désinhiber le moment de la décision, soutenir la décision qui tranche, certains songeront au « droit à l’erreur », lot inévitable de la condition humaine. On oppose toutefois à ce droit l’obligation de résultat qui fait état de la responsabilité accrue de certains acteurs : on n’a pas d’excuses pour une négligence quand on est chirurgien ou pilote de ligne.

Mais alors, pour avancer dans la complexité des difficultés à résoudre, faut-il faire appel au flair du chef, à son l’intuition souveraine et jeter aux orties le moment de la démocratie, celui où le débat joue son rôle politique ? On a vu avec les gilets jaunes que la contestation du pouvoir exécutif ne débouchait que sur l’inaction liée à des revendications contradictoires : on peut vouloir détruire la misère, éradiquer le virus, apporter de la chaleur humaine à ceux qui sont abandonnés, et tout cela sans augmenter les impôts ; mais les sentiments se heurtent à l’inflexible réalité.

Peut-on se contenter de ce fatalisme qui oblitère la responsabilité de l’élu ? Que doit-il faire ? Agir sans attendre d’avoir fini de poser le problème comme le suggère notre conseiller ministériel ? Ou alors faire confiance au « En même temps » d’Emmanuel Macron : façon en effet de contourner les difficultés du réel pour englober sa complexité dans une vue surplombante. Mais autant vouloir résoudre les problèmes des centrales nucléaire avec les recettes du Thermomix : ça ne marche pas.

C’est à cette erreur que répond la théorie de la complexité d’Edgar Morin. Sans vouloir résumer de façon exagérément simplifiée cette théorie, remarquons avec Edgar Morin que le réel n’est pas fait d’une seule pièce : chacun de ses éléments obéit à une logique particulière irréductible à la logique des autres éléments. C’est ainsi que les mesures de confinement qui obéissent à la logique sanitaire se heurtent à celle de l’économie, ou à celle de la sociologie, ou encore à celle de la psychologie. Inutile de vouloir négliger l’un et privilégier l’autre : le réel est inflexible, il ne se laisse pas mutiler (ce qu’on voit aux Pays-Bas avec les émeutes de la liberté opposées au risque du covid. Mais le covid n’en a que faire).

Oui, que faire justement ? suivre Morin et mettre en place une pensée dialogique (cf. ici) qui conserve les logiques de chaque élément, non pour les réduire mais pour les relier, pour en penser l’articulation. Du temps du marxisme, ça allait tout seul : le schéma de la synthèse était déjà fourni, deux ou trois arguments et hop ! les fourberies de la bourgeoisie affamée de profits étaient démasquées. Fastoche !

Mais nous, dans notre monde post-moderne, on est obligés de tout faire nous-mêmes. 

Pas fastoche.

dimanche 7 février 2021

Il n’y a pas que le sexe dans l’amour – Chronique du 8 février

Bonjour-bonjour

 

Dans une petite semaine, c’est la saint Valentin ! Si vous l’aviez oublié, soyez sûr que les commerces ne manqueront pas de vous le rappeler : les occasions de dépenses un peu facultatives, comme une jolie paire de boucles d’oreille ou un très patriotique « Slip français »



 Que ça plaise, pourquoi pas ? Mais que ça puisse contenter des amoureux, je ne le crois pas.

- Que leur proposer alors pour exprimer leur amour ? Je séchais lamentablement quand je suis tombé sur le site fabuleuse au foyer qui nous propose de « faire l’amour avec le yeux ».

Oh bien sûr j’en connais quelques un(e)s qui vont ricaner : « L’amour le matin à mater le/la copain/copine sous la douche, merci du conseil mais on n’en avait pas besoin. » Je vous laisse juge de ce qu’il faut en penser, mais selon moi aucun doute : les amoureux qui en sont là sont bien près de la porte de sortie.

L’autrice de ce blog n’y va pas par quatre chemins : qu’est-ce que l’amour qui ne se résume pas à « faire » l’amour ? « Chère fabuleuse, aujourd’hui, j’ai envie de te parler du regard comme piste d’exploration. Il n’y a pas que le sexe dans la vie, et c’est une bonne nouvelle. »

Moi, quand je lis ça, je me carapate vite fait : encore ce sentimentalisme fleur-bleue qui oublie tout simplement que quand on aime on aime tout de l’aimé(e) y compris son corps, y compris ses poils. 

Mais notre coach en amour ne nous a pas encore tout dit. Voici la suite : « Je vous souhaite de vous contempler et de vous laisser contempler l’un-l’autre comme une œuvre d’art, d’étudier les courbes de vos cœurs et de vos corps nus afin de vous connaître sans faute et d’en dessiner une cartographie secrète, intime, sensuelle : la vôtre. »

Ça, c’est l’amour complet, celui que ne vient pas absorber la consommation de l’autre, cette union qui se consume dans la fusion des corps, si instable, si fragile, qu’un rien vient interrompre ou empêcher. C’est pour cela qu’il n’y a pas que le sexe dans la vie – ou plutôt : dans l’amour. Aimer c’est aussi garder la distance, celle du regard, celle de l’admiration, celle de la contemplation. Et c’est dans cette distance que nait le plus intime rapprochement, lorsque l’autre cesse d’être un objet pour devenir sujet – un sujet qui est totalement autonome, mais en même temps complètement uni à moi. Les philosophies du regard n’ont pas vraiment saisi l’importance de cette contemplation : Sartre parce qu’il y voit un affrontement qui me disqualifie d’emblée ; Levinas parce que chez lui c’est l’intuition fulgurante de la présence d’autrui qui s’opère dans cette vision.

Contemplation inépuisable dit notre autrice : bien entendu ! Mais contemplation où l’essentiel est donné dans le premier instant : Je t’aime.

samedi 6 février 2021

Malheur aux messagers ! – Chronique du 7 février

Bonjour-bonjour

 

Comme moi vous vous êtes peut-être demandé « Pourquoi les vaccins Moderna et Pfizer sont-ils fragiles au point qu’on doive les conserver à -70° ? » La réponse a été donnée par l’Inserm et elle passe par les propriétés générales de l’ARN-messager.

Petit cours de biologie cellulaire : « Lorsqu’une cellule a besoin d’une protéine, le plan de fabrication de cette dernière est "photocopié" – les scientifiques disent que son "gène" est "transcrit". La copie ainsi générée – un ARN messager – est ensuite exportée hors du noyau et rejoint les ribosomes où elle permet la synthèse de la protéine demandée. Très instable et fragile, cette copie est ensuite rapidement détruite. » (Lire ici) On comprend que si la copie se conservait après que son message ait été reçu, elle pourrait répéter indéfiniment son ordre, comme une photocopieuse que serait bloquée à reproduire le même original. La fragilité de l’ARN-messager est donc un bienfait de la nature et c’est très normalement qu’il faut congeler le vaccin qui le contient tant qu’il est hors de l’organisme humain.

 

- Mais on peut fort bien généraliser cette particularité des messagers. Bien entendu on pense immédiatement au coureur de Marathon. 

Petit cours d’histoire antique : « En 490 avant Jésus-Christ, juste après la bataille de Marathon Phidippidès est envoyé par Miltiade pour annoncer la victoire à la ville d’Athènes. Partant de la plaine où les hoplites viennent de déferler sur les Mèdes, il court tout le long du trajet (une quarantaine de kilomètres) et s’effondre dans la ville en proclamant dans un dernier souffle : nenikekamen, « nous avons gagné ». » (Lu ici)



Si la prouesse du coureur de Marathon reste dans les mémoires, c’est davantage comme exploit sportif que pour déplorer son triste sort et il en irait de même pour les innombrables messagers qui ont été trucidés après avoir délivré leur message. On dira que c’est généralement parce qu’ils ont apporté une mauvaise nouvelle ; mais c’est aussi parce que, le message délivré, le messager n’a plus aucun intérêt.


- Et on peut encore le vérifier en lisant Freud

Petit cours de psychanalyse : Feud considère en effet les symptômes de la pathologie psychique comme constituant un signe exprimant un désir refoulé parce qu’insupportable. Dès lors que l’analyse a révélé ce secret, le symptôme doit disparaitre après avoir joué son rôle de signifiant : c’est ainsi que la psychanalyse peut guérir les souffrances psychiques.

 

- Qu’on soit en biologie cellulaire, dans l’histoire des peuples ou dans celle du psychisme de l’individu, la conclusion reste la même : malheur aux messagers.