mardi 23 juin 2020

lundi 22 juin 2020

Les virus de nos amis sont nos amis – Chronique du 23 juin

Bonjour-bonjour

 

Au cinéma il est interdit de s’asseoir juste à côté de gens qu’on ne connait pas, car ils sont supposés véhiculer le virus.

Par contre on peut venir avec 25 potes, occuper un rang entier sans que ça déroge à la distanciation sociale.

Morale : les virus de nos amis sont nos amis.

 

Cette morale très étrange est pourtant vérifiable chaque jour, au moment où nous retrouvons nos amis et nos connaissances. Car le port du masque avec eux est de plus en plus problématique, comme si des gens qu’on connait si bien, qu’on a fréquentés depuis des années et qu’on a peut-être revus hier, ne pouvaient pas être contaminés. Et ce n’est même pas une nouveauté, car l’épidémie de sida du temps où elle flambait (à supposer que ce soit terminé), donnait lieu à la même réaction : pourquoi exiger un préservatif lors de relations avec des gens parfaitement clean, ni drogués ni marginaux, qui fréquentent les mêmes milieux, les mêmes fêtes etc. ? Au point qu’on fait des spots publicitaires pour dire que la pureté sanitaire n’a rien à voir avec le milieu social et que les plus sains en apparence pouvaient fort bien être contaminés. Rappelons que les pays où dominent les religieux intégristes, comme l’Iran ou Israël, ont connu et connaissent encore des flambées de contamination au covid liées à cette indifférence à l’égard des mesures-barrières, qui supposent que tout le monde peut être infecté, même ceux dont la piété est sans faille.

 

Oui, on peut l’observer, l’impur, le dangereux, c’est l’autre, celui qui porte en lui les stigmates de la non-conformité à ce que nous sommes – de la non-identité. L’exemple du cinéma (mais au restaurant c’est exactement pareil) est édifiant : l’altérité commence avec l’absence de relation, avec la « distance » sociale effective. Je tolèrerai mon voisin mais je m’éloignerai de celui qui habite un peu plus loin. S’agit-il d’un effet de la culture individualiste occidentale moderne ? Je ne le crois pas, car autrefois, quand les communautés villageoises étaient très soudées, c’était au détriment des autres villages des autres communautés. L’esprit de clocher n’a jamais été très accueillant pour ceux qui vivent à l’ombre d’un autre clocher.

dimanche 21 juin 2020

Pas de justice pas de paix – Chronique du 22 juin

Bonjour-bonjour

 

Ce n’est pas tous les jours que les récits des manifestations de la veille donnent un peu de bonheur. Oui, je dis « de bonheur » sans hésiter, tant la manifestation donnée en hommage à Steve Maia Caniço, le jeune homme tombé l’an passé dans la Loire à Nantes suite à une charge de police, a été digne et… festive. Déclaration pacifique, danses au terme du défilé, slogans qui réconcilient avec l’intelligence des manifestants – tout cela est la marque d’une protestation forte et qui mérite d’être entendue.

La haine, puisque c’est elle qui forme le fonds où s’alimentent l’indignation et la protestation ne transparait nullement dans ce qu’on rapporte de cette manifestation : « « C’est important d’être pacifique, Steve l’était… ». Voilà l’essentiel pour un hommage qui doit montrer que l’exemple donné par la victime n’est pas mort avec lui.

 

Oui, mais il ne suffisait pas de rendre hommage ; il fallait encore dénoncer les conditions dans lesquelles il est mort. « Son amie Soline n'en démord pas. Oui, l'intervention policière menée à 4h25 sur le quai Wilson, en bord de Loire, était "irresponsable", selon elle, lors de cette Fête de la musique. Et oui, c'est bien cette "absence totale de réflexion" qui aurait entraîné la mort de l'éducateur périscolaire de 24 ans, dont le corps a finalement été repêché un mois plus tard, charrié par le fleuve. » (Lu ici) Vous avez bien lu : on ne dénonce pas une police animée de la haine des manifestants et combinant toutes ses ressources pour des attaques visant à les détruire ; on dénonce l’irresponsabilité et l’absence de réflexion – la bêtise plutôt que la malveillance.

Un slogan durant le défilé a lui aussi dit l’essentiel : « Pas de justice, pas de paix ! » 

 


et encore : « Justice nulle part, police partout ! ». Remarquez la modération de ces slogans : car il était très simple de crier « Police partout, justice nulle part ! » qui aurait dénoncé un pouvoir politique despotique.

Cette dénonciation n’est pas la seule : il y a aussi la lenteur suspecte de l’instruction. Un an après ce drame, que sait-on de ses circonstances ? Et des policiers suspectés d’être impliqués dans l’affaire ? « Toute la lumière doit être faite sur les motivations et les modalités d'intervention des forces de l'ordre au cours de cette nuit tragique », déclare Johanna Rolland la maire de Nantes. L'obscurité qui règne toujours est-elle là aussi la trace de l'incompétence ou d'une machination ?

 

« Steve, c’était une bulle de joie qui s’alimentait par la musique. » confient ses amies ; qui donc a fait éclater la bulle ?

samedi 20 juin 2020

Défions-nous du sort, et prenons garde à nous / Après le gain d'une bataille – Chronique du 21 juin

Bonjour-bonjour

 

Alors les fameux « clusters » se multiplient ? Même s’ils sont en nombre réduit et localisés dans des regroupements faciles à éviter, comme des réunions de famille élargies, la méfiance qui nous avait quittés se réveille. Et si notre joie à revenir dans la foule comme on revient à la vie était une sotte prétention ? Si le covid éloigné mais pas chassé nous surveillait pour exploiter la moindre erreur ?

Je me rappelais cette morale de la fable de La Fontaine : « Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.  / Défions-nous du sort, et prenons garde à nous / Après le gain d'une bataille ».  La Fontaine – Les deux coqs (Fable) Rappelons l’argument de cette fable : deux coqs se battent pour la conquête d’une jolie poulette. Le vaincu se retire en ruminant sa défaite, pendant que le vainqueur va chanter sa gloire, battant des ailes, perché sur le toit du poulailler… où le vautour le repère et vient l’enlever. Comme on le devine le vaincu sort alors de sa retraite et revient auprès de la mignonne.

A quel moment pouvons-nous chanter victoire ? Les récits de fictions comme celui qu’on vient de lire sont multiples et tous exploitent cette fausse sortie du monstre qui ressuscite on ne sait comment pour terrasser le vainqueur une fois qu’il a baissé sa garde. – Mais il en va de même dans la réalité : en 1918 on disait : « Plus jamais ça ! » et 20 ans plus tard ce fut à nouveau ça. Eh bien, le covid nous permet de vérifier ce mécanisme : il n’a rien perdu de sa virulence et de sa contagiosité et les contaminés d’aujourd’hui sont tout autant malades qu’au mois de mars.

Le danger comme on le voit avec le coq de la fable est d’oublier qu’une victoire ne signifie pas la fin du danger (de même que la perte d’une bataille ne signifie pas la défaite définitive, comme on rappelait ces jours-ci). Non seulement le covid circule encore, mais quand bien même il aurait disparu, d’autres virus tout neufs contre lesquels il nous faudrait être prêt à combattre pourraient apparaitre.

Et vous, où vous en êtes de votre stock de masques ?

vendredi 19 juin 2020

Je suis très en colère – Chronique du 20 juin

Bonjour-bonjour

 

Ah, chers amis, la situation en France et ailleurs est bien éprouvante pour nos nerfs. Car nous apprenons que des « redémarrages » de l’épidémie sous la forme de foyers infectieux (1) plus ou moins nombreux se multiplient non seulement en France mais aussi à l’étranger.

Bref, nous serions très en colère si nous devions reprendre le confinement, et il n’est pas sûr que tout le monde y consentirait. Ne croyez-vous pas que les forces politiques ainsi que les réseaux sociaux s’enflammeraient contre le gouvernement accusé d’être responsable du retour de l’épidémie ? C’est que nous refusons le confinement et les règles de sécurité qui l’accompagnent comme si c’était le résultat de la volonté des dirigeants et non le fait d’une situation. Nous en faisons une question de justice et non d’état sanitaire.

On dira ce qu’on voudra contre les rigidités de la vie sociale d’antan, les longs argumentaires, les discours ampoulés, les débats qui n’en finissaient pas. La raison avec ses pesanteurs et sa froideur était assiégée par les passions et les émotions qui ne pouvaient s’exprimer.

Aujourd’hui, chacun peut se lâcher et en même temps voir les autres applaudir à ces excès. Dites un peu pour voir : « Je suis très en colère… » et vous verrez que nombreux sont les gens qui vont s’intéresser à vous avant même de savoir pourquoi vous êtes en colère.

On a déjà souligné ce fait en pointant la versatilité de l’opinion, voire même ses contradictions, tels que les sondages d’opinion les révèlent impitoyablement. Mais on ne va pas assez loin dans l’analyse. C’est qu’en laissant ainsi dominer nos émotions et nos passions, nous régressons à un stade infantile. Freud l’avait déjà dit : durant l’enfance les pulsions l’emportent sur la réalité, faisant que le petit enfant ne peut se résigner à renoncer à ses désirs. La reconnaissance du principe de réalité, qui nous impose de suspendre leur contentement durant le temps nécessaire à la satisfaction des exigences de la vie matérielle, marque le passage à la vie adulte - mais il ne détruit nullement le principe de plaisir qui nous pousse à exiger la satisfaction immédiate de nos désirs.

"Tout, tout de suite" : écrivez ça sur une banderole et allez défiler dans la rue : vous aurez du monde derrière vous

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(1) En parlant de « foyer » j’essaie d’éviter le mot « cluster » emprunté à l’anglais pour garder la pureté de notre langue. Reste que le mot cluster qui peut aussi signifier « essaim » implique l’idée de groupement, voire même de grappe, alliant le nombre à un caractère aléatoire. Une rue très fréquentée par une foule anonyme peut constituer un cluster.

Vous avez dit « dette perpétuelle ? » – Chronique du 20 juin

Bonjour-bonjour

 

Mon billet d’hier a suscité bien des interrogations. Une dette perpétuelle ? Qu’est-ce que c’est donc ? S’agit-il d’une dette dont on devrait rembourser à vie les intérêts ? Ne donne-t-on pas cet exemple comme étant celui d’une extorsion de fonds imposée aux pauvres travailleurs pour les transformer en esclaves ? Nos enfants qui viennent de naitre sont-ils déjà pris dans ce système, devront-ils, jusqu’à leur mort, rembourser leur vie durant nos abus dépensiers ? 

Reprenons le fil de l’exposition entamée hier. 

- Le contexte : il s’agit pour l’État de trouver de l’argent, beaucoup d’argent mais de ne pas financer le remboursement par les impôts laissant ainsi aux gens de l’argent pour consommer et ainsi faire tourner la machine.

Rien de bien nouveau ici, vous l’avouerez : le pouvoir n’est pas vraiment soucieux de votre bonheur, mais principalement de l’expansion de l’économie : cette banalité est gage d’authenticité.

- La dette perpétuelle maintenant : il s’agit d’un système déjà ancien, qu’on appelait « rente », puisque la somme prêtée ne revenait au préteur que sous forme d’intérêt, appelé « rendement », le capital n’étant remboursé que très tardivement alors que l’inflation en avait largement allégé le coût. A l’heure où des prêts sont consentis aux États à taux négatif, on peut penser qu’une telle formule pourrait tenter les créanciers.

- Bien sûr en matière de finance rien n’est absolument garanti, c’est même là sa marque distinctive : les taux d’intérêts peuvent varier au cours du temps, la rente peut voir son rendement augmenter ou au contraire s’effondrer, et les emprunteurs ruinés. Raison pour laquelle les Etats européens préfèreraient voir la BCE prendre le relai en consentant des subventions (par définition non remboursables) ou des rachats de dette souveraine, qui en allège la charge en impliquant la création de monnaie.

- Et nous ? Qu’en pensons-nous ? Quelle formule souhaiterions-nous ? En vérité nous n’avons pas grand-chose à dire, car de tels choix concernent essentiellement les bailleurs de fonds : c’est leur accord orienté par leur intérêt qui le détermine. Ce qui est sûr c’est que les pays emprunteurs vont jouer à fond la carte du remboursement annulé ou différé pour sauver leur économie : ont-ils une chance d’être entendus ?

Peut-être car la crise qu’on nous annonce risque d’être gravissime si la consommation s’écroule. Or l’intérêt des préteurs est que l’emprunteur vive assez longtemps en état de produire de quoi rembourser – et donc de consentir des conditions facilitant le bon fonctionnement des économies endettées.

Et pour nous ? Oui, pour nous, qu’est-ce qu’un emprunt perpétuel signifie ?

Rembourser le plus tard possible = travailler le plus longtemps possible en consommant le plus possible.

Finalement il n’y a rien de très nouveau là-dedans : c’est ce qu’on a toujours fait.

jeudi 18 juin 2020

Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons – Chronique du 19 juin

Bonjour-bonjour

 

 

Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons : vous reconnaissez peut-être la formule de Paul Valéry, prise dans Regards sur le monde actuel. On comprend que l’État doit être dans l’équilibre entre l’exercice de la force (violence légitime) et en même temps que son pouvoir doit être limité de façon constitutionnelle (séparation des pouvoirs). Que l’État ait le pouvoir sans avoir tous les pouvoirs. Bref : débattre de cet équilibre a rempli des volumes entiers, de Hobbes à Rousseau ; et notre 20ème siècle féru de totalitarisme a encore enrichi les références. On sait que la 5ème République voulue par le Général de Gaulle a penché pour l’autorité de l’État qui avait été affaibli par le parlementarisme de la 4ème

- Mais ce n’est pas pour vous proposer un corrigé de dissertation de philo-politique que je reviens sur cette question. C’est plutôt que la période que nous venons de vivre nous montre une autre façon de croiser la force de l’État avec sa faiblesse : alors que d’innombrables citoyens de jaune vêtus allaient protestant contre la violence illégitime à travers des charges policières, les voici à présent réclamant le secours financier du même État, jugé trop avare dans le versement des prébendes allouées aux chômeurs du covid. À côté des coups de matraque, l’État se doit de déployer une puissance souveraine et tutélaire qui veille sur les citoyens comme un père attentif et généreux sur ses enfants. Les quels enfants quoiqu’affaiblis par la misère, restent forts pour réclamer à manger.

 

 

 

Constatons que nous ne sommes pas prêts à devenir anarchistes, et même les plus enragés des indépendantistes ont prudemment renoncé à leur combat contre l’État français pour réclamer simplement plus d’autonomie (la liberté avec les sous). Au lieu de mépriser une telle attitude, reconnaissons au contraire un mécanisme aussi vieux que celui de l’État. Rappelons-nous en effet notre lointain passé historique : les monarques d’Ancien régime étaient supposés apporter la prospérité à leur peuple en attirant la miraculeuse providence divine sur le royaume.

Aujourd’hui, nos monarques républicains ont une capacité extraordinaire : celle de trouver l’argent nécessaire pour gaver les pauvres citoyens affamés, et ne jamais rembourser la dette. Ça s’appelle « dette perpétuelle » et c’est un miracle laïque.

mercredi 17 juin 2020

Covid – et nous aussi nous allons mourir ! – Chronique du 18 juin

Bonjour-bonjour

 

Vado mori (je vais mourir) est une chanson datant du début du XIVème siècle qui aurait été inspirée par les épidémies qui ont accompagné la Grande peste noire.

Cette période prolifique pour la Camarde a été célébrée comme on le sait par les fameuses danses macabres, fresques peintes sur les murs des cimetières ou des églises où on peut encore en voir.

 

 

Vu ici

Les danses macabres sont remarquables parce qu’on y voit la mort entrainant vers la tombe toutes les classes sociales : les mendiants aussi bien que les seigneurs, les bourgeois aussi bien que les évêques. Jeunes et vieux, riches et pauvres, tous sont emportés par cette farandole vers la tombe. (1)

S’il est quelque chose dans ces fresques qui nous remue, qui, par-delà les siècles nous fait « goûter » aux émotions du XIVème siècle, c’est bien ce caractère égalitaire de la mort. Aujourd’hui comme autrefois, la mort devient du fait de l’épidémie une menace qui pèse autant sur tout un chacun, qu’il vive dans le confort des milliardaires ou dans un bidon ville en Asie ou ailleurs. Aujourd'hui comme autrefois, la maladie menace chacun de mourir quelque soient les moyens mis à sa disposition pour le sauver. Certains ont voulu croire que seuls les plus vieux étaient menacées. Et puis voilà des cas assez nombreux de jeunes gens en pleine floraison de l’âge, hospitalisés et puis décédés. C’est là sans doute qu’est né ce mouvement extraordinaire consistant à dire : « Nous sauverons les plus de gens possible, quoiqu’il en coûte. La vie est au-dessus de la finance ! »

Pour se persuader de la réalité de ce principe, certains économistes n’ont pas hésité à calculer le ratio entre le nombre de morts évités et les milliards dépensés (ou non gagnés) : le prix de chaque vie est exorbitant ! Ces économistes se sont frotté les yeux : oui, c’est bien ça – chaque vie sauvée a couté un prix incroyable, mais cela a été imposé parce que cette vie sauvée, c’était la vie de n’importe qui : celle du PDG du CAC-40 aussi bien que celle du smicard qui galère dans ses usines. Celle du grand-père en Ehpad comme celle du petit-fils. 

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(1) Plusieurs thématiques sont évoquées par ces fresques : je me contenterai de renvoyer à cet article qui est assez complet. 

mardi 16 juin 2020

Épurite mémorielle : ses causes et ses effets – Chronique du 17 juin

Bonjour-bonjour

 

Ah… Chers amis !... Je vous vois avec votre clé à molette à la main, feuilletant fiévreusement les pages Wiki de votre smartphone à la recherche de nouvelles statues à déboulonner. Christophe Colomb, c’est déjà fait ; Colbert, Schoelcher, Faidherbe : idem. Qui donc renverser ? Louis XIV ? Bof... Napoléon ? Oui, bien sûr ! Ce salopard qui a rétabli l’esclavage dans les colonies françaises : au feu ! Et l’Empire ? Et ses victoires militaires ? Et le Code civil ? Pareil !

 

La sueur perle sur votre front, vos mains tremblent, vous avez perdu le goût du bonheur et vous pensez que rien d’autre que le saccage du Panthéon ne pourra vous le rendre ?

Vous faites un accès d’épurite la fièvre de l’épuration mémorielle. Impossible pour vous de voir une statue de héros du temps jadis sans vous saisir de sa biographie afin de vérifier si, par hasard, il n’aurait pas dit ou fait quelque chose de répréhensible, comme d’avoir possédé des esclaves, de mépriser les femmes ou de battre ses enfants. On pourrait ajouter la cruauté envers les animaux et le mépris des pauvres.

 

Mais au lieu d’énumérer, cherchons plutôt comment fonctionne cette maladie. 

L’épurite mémorielle suppose que le passé n’existe pas, du moins que nos catégories morales, nos valeurs et leur échelle soient identiques d’un bout à l’autre de l’histoire. Et comme cette pathologie ne fonctionne pas avec une continuité qui irait du passé vers le présent, c’est bien l’inverse qui arrive : le passé doit être jugé à l’aune des valeurs des Droits de l’homme. C’est dont une inflammation d’universalite dont souffrent ces malades : ils sentent que non seulement leurs valeurs s’étendent dans l'espace à l’univers entier, mais aussi qu’elles valent à travers le temps, du passé le plus lointain jusqu’au futur le plus éloigné.

L’étiologie de cette maladie ne saurait être complète sans la découverte de son origine première : l’absolupathie, excroissance tumorale du dogmatisme qui métastase rapidement entrainant la perte du sens des limites et la vulnérabilité au populisme. Les malades entrent alors très facilement dans des accès de fureur à l’idée d’une relativité des prescriptions morales, ce qui dégénère dans le négationnisme historique associé au refus de toute analyse scientifique du passé humain.

 

Après ce tableau clinique on attend avec impatience la découverte d’un traitement : trépanation ou vaccin ?

lundi 15 juin 2020

À Nantes la sculpture "pissante" est-elle la version féministe du Manneken-Pis ?

A Nantes, les fontaines de la place Royale, en centre-ville accueilleront une sculpture sobrement baptisée "Fontaine". Œuvre de l’artiste française Elsa Sahal, elle a été installée pour la première fois lors de la Fiac 2012, dans le Jardin des Tuileries à Paris. On a également pu la voir à l'Hôtel Dieu à Toulouse et à la Maison Rouge à Paris.

Cette œuvre en grès de 3 mètres de haut, imaginée par l’artiste Elsa Sahal, est constituée d’un assemblage de coraux, d’oursins et de coquillages au-dessus desquels trônent deux jambes… et un sexe féminin qui se soulage dans le bassin en contrebas. (Lu ici)

                           


 

Les amateurs se rappelleront à cette occasion qu’à Bruxelles (à quelques mètres du Manneken-pis) se trouve une autre statue baptisée « Jeanneke-pis » montrant une fillette exactement dans la même attitude.





Le philosophe de la vie quotidienne se trouve un peu désarmé ici. Quel sens faire jaillir de cette banalisation nantaise des tabous ? À quoi peut donc servir cette mise en image de la miction qu’on cache habituellement et qu'on n’évoque uniquement, comme on le voit à Bruxelles, avec des petits enfants ?

Sauf qu’à Nantes, avec l’œuvre d’Elsa Sahal, et avec le découpage du corps que figue sa statue, on a affaire à une représentation qui focalise le regard sur l’organe mis en action, soulignant le sexe par une protubérance exagérée.

Et alors ? La question revient plus que jamais : à quoi bon ? Et principalement : en quoi s’agirait-il d’une œuvre féministe ?

- On notera d’abord que cette statue est une réplique au Manneken-Pis, du genre « Les filles aussi méritent qu’on les montre ».

- Ensuite alors que Jeanneke, la petite sœur du Manneken est accroupie, comme n’importe quelle fillette, la pisseuse de Nantes est debout et produit un jet majestueux exactement comme si elle était un homme. Le message féministe est évident.

-  Enfin on peut voir cette statue comme une représentation de la femme destinée à désarmer la libido des hommes. Car en sur-représentant le sexe féminin mais en insistant en même temps sur sa fonction « excrémentielle », on montre que cet organe n’existe pas seulement (comme le voudraient les hommes) pour la jouissance, mais aussi pour un soulagement organique. Imaginerait-on un homme adulte statufié comme le petit Manneken ? Non, bien sûr, car cette fonction exclut désir sexuel – comme le rappelle le chapitre que Freud consacre au « Petit Hans » dont le petit pénis est appelé par sa nourrice le « fait-pipi » (Wiwimacher). Un pénis, tantôt ça fait boum-boum avec les dames, tantôt ça fait pipi – mais pas les deux en même temps.

 

A Nantes, une dame va nous montrer son Wiwimacher pour nous montrer que nous, les hommes, nous comptons pour rien.

dimanche 14 juin 2020

Après la guerre mondiale, la paix mondiale ? – Chronique du 15 juin

Bonjour-bonjour

 

Hier, on voyait la mondialisation comme étant un effet du capitalisme, triple débauche de concentration, de profits financiers, de  consommation et de pillage de la planète. Même du temps de la Bible les péchés cumulés des habitants de Sodome et Gomorrhe n’en faisaient pas autant.

 

Mais ça, c’était hier. Que constatons-nous aujourd’hui, suite à la pandémie (qui n’est d’ailleurs toujours pas terminée) ?

- D’abord que tous les habitants, de tous pays du monde, sont affectés de la même manière, avec les mêmes symptômes et les mêmes conséquences physiologiques. Il y a peu, je disais ici même qu’il fallait être attentifs aux différences de réaction d’un pays à l’autre – certes, mais cela ne signifiait pas qu’il n’y ait pas des convergences tout aussi révélatrices. L’espèce humaine est homogène, et ce qui affecte les hommes ici les affectera également là. Politiquement parlant cela veut dire qu’on ne peut justifier des inégalités par une différence de constitution. Il y a donc une exigence de justice qui est partout la même et dont les revendications universelles se nomment nourriture et sécurité.

-  Et il y a aussi une mondialisation à laquelle nous n’étions pas très attentifs qui est l’enchainement des causes et des effets d’un bout à l’autre du monde. La misère des uns associée à l’appât du gain des autres a entrainé un regroupement des spécialités (si l’on peut dire !) : d’un côté les producteurs, de l’autre les consommateurs. C’est ainsi que nous avons vu la maladie entrainer le reflux de la consommation d’un côté et la misère dans les pays producteurs de l’autre. Les quels ne pouvant secourir les peuples laissaient le champ libre à la maladie. Qui nous dira le nombre de morts aux Indes ? 

 

--> Du coup, si le monde entier est parcouru par des forces qui unissent les peuples et produisent une humanité solidarisée par la souffrance, pourquoi n’aurions-nous pas une union des gouvernements pour éradiquer ces phénomènes ? Oui, mais : pourquoi le ferions-nous ? Ceux qui y croient ne sont-ils pas des naïfs ridicules ?


Quoique… Notre époque, friande d’efficacité et de rationalité, pourrait estimer qu’un gouvernement mondial seul pourrait affronter la pandémie et l’éradiquer. 

Il y a certes une mode des dystopies, comme 1984 le roman de Georges Orwell, où l’on voit 3 blocs s’affronter dans une guerre interminable ; nous sommes ainsi invités à renoncer à un effort de mondialisation de la paix : l’ONU seule institution destinée à prendre des décisions allant dans ce sens, nous parait incapable de faire face à la pandémie.

Mais si la guerre fragmente ainsi le monde (et comment se faire la guerre sans cela ?) pourquoi la paix pourrait-elle pas l’unir ?

Croire en cela n’est-ce pas sombrer dans la niaiserie, en faisant du « Bisounoursisme » ?


Et alors ?

samedi 13 juin 2020

À vos ciseaux, messieurs les censeurs ! – Chronique du 14 juin

Bonjour-bonjour

Je sens, chers amis que certains d’entre vous sont impatients – très impatients.

Oui, vous voilà empressés de découvrir de nouvelles statues à déboulonner, de nouveaux personnages à honnir, de nouvelles rues à débaptiser.

Alors il suffit de regarder un peu attentivement autour de soi.

- D’abord on pourrait taguer les rues qui portent des noms de colonialistes honnis, comme les avenues du général Bugeaud. Pour ceux qui n’auraient pas reçu une instruction républicaine, voici un récit de ses hauts faits lors de la conquête de l’Algérie, rapporté par son fidèle disciple le Maréchal de Saint-Arnaud (voir ici)

À la poubelle, Bugeaud !

- Et puis il y a un p*** de philosophe qui a été un s*** de machiste : il s’agit de Rousseau auteur d’Émile ou de l’éducation, en particulier du livre 5 consacré à Sophie, la future madame Émile. Si les femmes sont nécessaires aux hommes c’est pour combler leurs désirs ; les hommes quant à eux sont nécessaires aux femmes pour leur survie. La nature les a dotées d’une autre fonction qui est de perpétuer l’espèce, mais c’est là une fonction secondaire pour l’homme qui a abandonné à l’assistance publique tous les enfants que sa compagne lui a donnés.

Allez, hop ! Au feu.

- Et quoi d’autre ? N’y aurait-il pas des livres encore plus sacrés à mettre au bûcher ?

Mais, oui ! La Bible, qui explique que le peuple élu doit recevoir une « terre promise ». Et c’est le Deutéronome (11, 11-12) qui explique ça : Canaan est la terre promise à Israël, mais voilà : elle est déjà occupée. Qu’à cela ne tienne : Dieu chassera les Cananéens, à moins qu’Il ne laisse les Israélites le faire eux-mêmes – en effet, selon le récit du livre de Josué, ce sont les enfants d’Israël qui doivent combattre eux-mêmes pour entrer en possession de l’héritage promis. 

Et qu’est-ce que les Palestiniens qui ont vécu pendant 2000 ans sur une terre qui ne leur appartenait pas, viennent réclamer maintenant ?

Au bûcher la Bible ! – et les juifs avec ?

vendredi 12 juin 2020

Du passé, faisons table rase – Chronique du 13 juin

« Une des conséquences, en Europe, des manifestations américaines est l’apparition d’un mouvement « des statues », qui veut effacer de l’espace public les monuments à l’effigie de colonisateurs ou d’esclavagistes. » (Lu ici)

Que veulent donc les manifestants anti-esclavage lorsqu’ils déboulonnent les statues qui depuis plusieurs siècles meublent les places et les rues de certaines villes célébrant des hommes qui ont été admirés de leur temps tout en ayant été des négociants négriers.

Si c’est là le moyen le plus évident de montrer qu’on a l’esclavage en horreur, soit – mais alors on se demande pourquoi ces statues ont traversé les siècles sans être déboulonnées ? 

Il est vrai qu’on est habitués à ces déboulonnages de statues ; on n’a pas encore oublié celle de Saddam Hussein ; mais il s’agissait alors de détruire une preuve du culte rendu à cet homme qu’on était entrain de pourchasser dans le pays. Il ne s’agissait pas de purifier le passé, mais le présent.

 

  

Statue de Saddam Hussein en 2003

 

Voilà donc en quoi consisterait le mouvement actuel : détruire le souvenir du passé colonial ou esclavagiste en se désolidarisant de lui ? Pas essentiellement, car personne ne songeait à applaudir les négriers.

Ou alors dire combien cet évènement était déterminant dans la vie d’un héros, au point que sa vie entière serait contaminée par cette horreur  et qu’on ne devrait plus lui rendre d'hommages ? Certains songent ainsi à réviser leur appréciation de la vie de Georges Washington, propriétaire d’esclaves et qui, en 1793 signa le Fugitive Act Slave qui autorisait la capture dans n'importe quel État d'un esclave en fuite.

Peut-être, mais l’essentiel n’est toujours pas là. Il est dans ce désir d’effacer les traces du passé en les faisant disparaitre matériellement du présent et en espérant qu'elles vont aussi disparaitre du passé. Oui, du passé il faut faire table rase, comme le dit l’Internationale : non pas seulement en détruisant ce qui survit de ce passé (comme les lois scélérates qui privent les anciens esclaves de leurs droits civiques), mais en remontant le cours du temps, en sorte de faire comme si ces évènements n’avaient jamais eu lieu.

Nous voilà devant une difficulté radicale de la vie morale - par exemple, j’ai trahi mon ami, et mon repentir est tel que je voudrais faire que cette faute je ne l’aie jamais commise. Le mécanisme du pardon est sollicité dans de pareils cas : le pardon qu’on m’accorde signifie que je vais pouvoir continuer à vivre comme si je n’avais rien fait de mal, raccorder notre vie commune à ce qu’elle était avant cette faute.

- Alors, avant de dénoncer l'illusion des foules qui abattent les statues des négriers pour tenter de faire oublier leur passé colonial, songeons à ces contradictions de la vie morale : il ne s’agit pas de mauvaise foi mais de mauvaise conscience.

jeudi 11 juin 2020

La technique purifie tout – Chronique du 12 juin


 

Bonjour-bonjour

 

La mort par strangulation de Georges Floyd exemple de violence raciste la police aux États-Unis, est devenue en France un cas de plus des « violences policières » qui reviennent ainsi dans le débat national. Honte d’un pouvoir aux abois, ces violences sont récusées par les « forces de l’ordre » pour lesquelles ne s’agit pas à proprement parler de violence mais de gestes techniques mesurés et appris lors de la formation des futurs gardiens de la paix.

- L’étranglement auquel a succombé Georges Floyd est une technique de combat qui consiste à bloquer le passage du sang dans le cerveau et/ou celui de l’oxygène. Les articles spécialisés (ici) listent pas moins de sept gestes différents d’étranglement – dont le redoutable « étranglement en guillotine »

- Le gouvernement propose d’utiliser le Taser pour remplacer ce procédé de neutralisation. Cette arme est alors présentée comme « outil » pour le maintien de l’ordre et décrit comme appareil d’auto-défense électrique « incapacitant ».

- Vu en vidéo, un policier infligeant à un jeune récalcitrant des coups de poings en plein sur le nez a entrainé de vives protestations : là où le public non averti voyait une brutalité injustifiable, les spécialistes voyaient un geste technique qui fait partie, là encore, de la formation des forces de l’ordres. 

 

Pourquoi convoquer ainsi la technique pour justifier des gestes tout aussi violents que ceux de l’adversaire ? Comment la technique serait-elle capable de neutraliser non plus l’adversaire, mais bien la violence du combattant de l’ordre ? 

--> La réponse explique que ces techniques sont des gestes mesurés, employés selon des procédures approuvées par les spécialistes et dont les effets sont réputés réversibles, sans conséquence grave. Mais il y a plus : face à la sauvagerie de la violence pure, qui n’a d’autres limites que celles de la force nécessaire à son déchainement, la technique est rationnelle, ce qui dans le cas des forces de l’ordre signifie qu’elle s’arrête dès lors que l’ordre est rétabli. On le voit à propos du Taser : non pas arme destructrice mais outils – ou mieux : appareil – destiné à obtenir la tranquillité de l’homme appréhendé.

 

L’étranglement, l’électrocution et même le bourre-pif sont ainsi sauvés : au lieu d’être des brutalités sauvages, comme ils le seraient si les voyous les utilisaient, les voici force rationnelle et mesurée au service du citoyen. Si la police n’était pas là chers amis-citoyens c’est nous tous qui devrions apprendre les techniques d’étranglement. 

mercredi 10 juin 2020

Donnez-nous des symboles ! – Chronique du 11 juin

Je hais les symboles – du moins ceux dont le cours est « forcé » comme celui de certaines monnaies, ceux devant lesquels on est contraint de se prosterner (comme au pied de la croix) ; ou qu’il faut suivre, quoiqu’il en coûte (comme le drapeau sur le champ de bataille). Mais rien n’y fait : en cette période un peu bouleversée, on ne renonce pas aux symboles, bien au contraire ; le premier qui passe, hop ! Embarqué !
Oui – pour marquer le début de ce confinement, une image est restée : celle de ces caddies de supermarché qui débordent de marchandises à commencer– bien visibles – par des montagnes de rouleaux de PQ. 
Et quand nous fûmes sortis de cette éprouvante période, nous n’avons pas eu besoin de chercher bien loin : les verres de vin rosé qui trinquent entre amis est l’image qui nous vint facilement.



Quelle différence fait-on entre le signe et le symbole ? Le fait que le signe peut être totalement arbitraire (= immotivé), alors que le symbole représente toujours quelque chose : il y a entre le symbolisant et le symbolisé un rapport tel qu’on ne peut modifier le premier sans perdre quelque chose du second. 
Quel rapport y a-t-il donc entre nos symboles de confinement et le confinement lui-même ?
- Déjà observons que le rouleau de papier hygiénique fait référence à la sphère de l’intime, alors que, si les verres de rosé évoquent bien la vie privée, celle-ci n’a plus rien d’intime.
- Ajoutons aussi qu’il existe entre ces deux images une opposition totale, la première rappelant le repliement sur soi-même alors que l’autre évoque plutôt l’ouverture, voire même le déploiement vers les autres.
Du coup, ces images-symboles résument assez clairement ces mouvements contraires, sans qu’il soit besoin de les analyser plus en détail.
- Sauf peut-être de noter que le retour sur soi est évoqué par le fonctionnement de notre intestin, dont le sens originaire désigne ce « qui est, se produit à l'intérieur de quelqu'un, de quelque chose ». (CNRTL) Qu’importe que ce soient des excréments qui signifient notre intériorité ?
- Et quand on veut évoquer l’extériorité heureuse, la rencontre d’autrui, l’ouverture à la vie… c’est la picole qui est mobilisée. 
Et voilà !

mardi 9 juin 2020

Édouard Philippe, le nouveau Cincinnatus ? – Chronique du 10 juin

Bonjour-bonjour

Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de citer un exemple tiré de l’histoire de Rome – et c’est Édouard Philippe qui nous la donne.
En effet le Premier ministre, alors qu’il se trouve placé par les sondages en tête des élections municipales pour devenir le maire du Havre, se dit prêt à imiter Cincinnatus, en revenant « s’occuper de ce qui lui plaît, […] de sa ville et de ceux qui lui font confiance ». Il faisait allusion aux rumeurs qui affirment que le Président Macrons serait prêt à le remplacer pour relancer son quinquennat.

Rappel : plusieurs fois placé à la tête de la république romaine troublée par des guerres civiles, Cincinnatus, illustre général, sauva Rome, ne lui réclama rien et retourna à sa charrue devenant ainsi un modèle de sobriété et de vertu civique.

Chercher dans l’histoire romaine une exemplarité qui éclaire le présent, cela nous renvoie à deux siècles en arrière, lorsque l’histoire apparaissait non comme un récit du temps passé mais comme un répertoire d’évènement mémorables et pour cela susceptibles d’éclairer le présent. A cette époque on croyait encore aux vertus civiques et leur rareté invitait à chercher loin de nous des exemples significatifs. Quoiqu’il en soit, voilà un cas exceptionnel puisqu’on trouve un homme politique doté du plus haut pouvoir y renoncer en pleine gloire et retourner à des travaux obscurs quoiqu’indispensables. Nous serions à l’inverse plutôt habitués à des hommes qui s’accrochent à leur place et qui s’efforçent de faire oublier leurs manquements.
- Reste qu’Édouard Philippe ne manque pas d’aplomb en demandant qu’on évalue son mandat à l’aune de l'exemple de Cincinnatus. Car l'histoire ne s'arrête pas à son départ du pouvoir. Ecoutez plutôt la suite : alors qu'il était occupé à pousser sa charrue voilà que des responsables politiques, dépassés par la crise, viennent le chercher pour retourner à Rome.
Edouard Philippe se verrait-il comme Cincinnatus "obligé" de retourner à Matignon ? Car là est le rôle de cet exemple : il ne s’agit pas seulement d’interpréter un passé mais aussi d’annoncer le futur.
Malin cet Édouard !


lundi 8 juin 2020

Le covid19 est-il un fait social total ? – Chronique du 9 juin

Bonjour-bonjour

Bilan de l’épidémie : les chroniqueurs passent leur temps à comparer – les allemands ont eu moins de décès, les suédois moins de confinement, les brésiliens ont plein de morts … Et de chercher pourquoi les uns ont plus, les autres moins – et si les décisions de la chancelière auraient pu s’appliquer en France, et si on peut dire qu’un Président est à lui tout seul responsable, etc.
Moi je dis : Bla-bla-bla. Tout ça non seulement ne sert à rien, mais surtout ça nous cache l’essentiel. Car le coronavirus est le même partout et ces différences s’expliquent moins par des décisions locales que par des différences organiques dans la constitution des sociétés.  

- Autrement dit, le covid19 est un fait social total.
Expliquons : voici une citation de Marcel Mauss (qui n’a pas seulement inventé le potlatch, mais aussi ce concept) : « Les faits que nous avons étudiés sont tous, qu’on nous permette l’expression, des faits sociaux totaux ou, si l’on veut — mais nous aimons moins le mot —, généraux : c’est-à-dire qu’ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions (potlatch, clans affrontés, tribus se visitant, etc.) et dans d’autres cas seulement un très grand nombre d’institutions, en particulier lorsque ces échanges et ces contrats concernent plutôt des individus. » - Marcel Mauss, Essai sur le don
Ainsi, à l’occasion de certains évènements c’est la société entière qui réagit, révélant par là sa nature profonde. On admet habituellement que dans les pays capitalistes tout ce qui se produit ait un effet sur l’évolution des marchés ; et bien, de même, quand on considère la société dans sa totalité, c’est aussi sa culture, ses traditions, les échanges entre les familles ou les pays – mais aussi le taux de contrainte supporté, la famine subie, etc., qui réagissent à l’évènement. 
On observe que les sociologues politiques se demandent aujourd’hui si pour lutter contre le virus il valait mieux une dictature ou une démocratie. Mais c’est l’ensemble de la société qui doit se révéler à travers les effets de l'épidémie, y compris la structure des familles, mais aussi l’éducation reçue dans la petite enfance et puis le degré de religiosité, ou le montant du salaire moyen. 
Du coup, tant qu’à comparer les pays face au corona-virus, renonçons à juger de l’efficacité des politiques choisies, et cherchons plutôt à découvrir les spécificités qui se révèlent ainsi.
Par exemple ? On croyait que jamais les français ne supporteraient le confinement, estimant qu’il fallait avoir reçu une éducation chinoise pour ça. On a vu ce qu’il en est, et ont doit maintenant s’interroger : pourquoi nos concitoyens ont-ils supporté ça, et jusqu’où iront-ils dans la voie de la soumission ?
Encore que parler de soumission soit peut-être abusif : la peur de la mort n’est-elle pas, dans une société matérialiste et athée comme la nôtre suffisante pour rester sans murmurer bloqué chez soi ?

dimanche 7 juin 2020

L’argent peut tout – Chronique du 8 juin

Bonjour-bonjour

Je sais que mon titre d’aujourd’hui paraitra choquant et qu’on va le considérer même comme une contre vérité : ne dit-on pas en effet que « l’argent ne peut pas tout » ?
Toutefois, on pourrait mettre bout à bout quelques-uns de noms des personnages qui ont contribué à faire l’histoire actuelle : 
- Elon Musk, qui est le premier entrepreneur indépendant à être capable d’envoyer dans l’espace des cosmonautes avant sans doute de proposer des vols spatiaux à des simples touristes.
- Bill Gates dont l’immense fortune permet de financer des fondations qui opèrent dans le monde entier dans le domaine de la santé et de l’acquisition des connaissances.
- Marc Zuckerberg, PdG de Facebook, créateur de Libra, l’actuel projet de monnaie numérique susceptible de jouer un rôle mondial dans la finance.
- Donald Trump, multimilliardaire, actuel Président des États-Unis d’Amérique.

Bien sûr beaucoup d’autres noms pourraient s’ajouter à ceux-ci, mais l’idée est claire : l’argent a permis à certains hommes de prendre des responsabilités régaliennes telles que la création de monnaie, la promotion de la santé mondiale ou même l’exercice du pouvoir politique. (Autrefois seuls les seigneurs de la guerre, possesseurs de puissantes armées, faisaient le lien entre la richesse et le pouvoir. Bien sûr, si ce dernier cas n’est pas avéré dans les exemples cités, il ne faut pourtant pas douter que c’est là un domaine vers lequel les capitaux s’écoulent facilement).

La question qui nous préoccupe aujourd’hui est la suivante : comment comprendre que l’argent puisse tant de choses ?
Question naïve ? Oui, dans la mesure où la richesse exprimée sous quelque forme que ce soit a toujours été la marque de la puissance et donc de la capacité à transformer la société. Il ne resterait qu’à remarquer que la concentration des capitaux s’accélère (Cf. Thomas Piketty – Capital et idéologie) pour discerner la continuité dans laquelle se place l’évènement auquel nous faisons allusion.
Mais en même temps, c’est l’occasion de dire que le monde dans lequel nous vivons est issu du capitalisme et qu’il continue d’en porter la marque essentielle : tout ce qui mérite d’être entrepris est de nature matérielle et peut se monnayer. Les choses qui nous arrivent, comme l’épidémie actuelle perd ainsi toute valeur symbolique pour devenir l’expression de ce que peuvent les hommes lorsqu’ils ont – ou n’ont pas – d’argent.
Autrefois le covid’19 aurait suscité des pèlerinages dont la puissance du clergé serait sortie renforcée. Aujourd’hui un consortium de laboratoires pharmaceutiques est en passe de surmonter la maladie – et de gagner beaucoup d’argent.

samedi 6 juin 2020

Scarlett Johansson, même à poil elle est mystérieuse – Chronique du 7 juin

(Il y a quelques jours nous comparions ici-même le masque chirurgical et le lou de carnaval : l’un cachant le haut du visage, l’autre le bas. Quelle différence ? Que peut-on cacher avec ces masques ? Et plus généralement que cachent les vêtements qui se révèlerait en les enlevant ?) 

Bonjour-bonjour

« Scarlett Johansson, même poil elle est mystérieuse » On me permettra cette citation de Virginie Despentes (Vernon Subutex), car étant de longue date un fan absolu de Scarlett Johansson, je suis capable de confirmer la puissance de l’étrange mystère que dégage de son visage.




Mais d’abord, pourquoi le cinéma s’obstine-t-il à dénuder les vedettes féminines devant la caméra ? S’agit-il seulement de stimuler les entrées, en promettant aux messieurs une occasion de se rincer l’œil et de stimuler leur libido ? On rappellera la scène-culte de Bardot-Piccoli dans le Mépris (« Et mes fesses… ? ») qui aurait été rajoutée par Godard alors que le film était terminé parce que le producteur se désolait qu’on n’y voie pas la star nue comme chacun s’y attendait. 
Du cul – et c’est tout ? 
Le philosophe se cabre : la nudité est un état sur lequel on ne s’interroge pas assez ; que révèle-t-elle ? Suppose-t-elle un état (être sans vêtements) ou une situation (présence ou non d’autrui) ? Et donc : existe-t-elle lorsqu’on est seul ? Ou faut-il pour la révéler un regard étranger ? Bref – que nous montre le corps « à poil » de Scarlett Johansson et que nous cache-t-il ?
Ce corps que l’on suppose nu est l’objet du désir érotique, ou du dégoût devant cette animalité, ou encore appelle un regard anatomique, etc. Dans tous les cas il est le corrélat d’un désir, d’une attente ; le corps est quelque chose qui se livre après coup et dans ces limites.
Maintenant, songeons aux analyses de Levinas : il y a quelque chose dans la perception de l’autre qui apparait avant toute attente, comme un surgissement qui nous interpelle : c’est son visage et plus particulièrement son regard. 
« Le visage n'est pas l'assemblage d'un nez, d'un front, d'yeux, etc., il est tout cela certes, mais il prend la signification d'un visage par la dimension nouvelle qu'il ouvre dans la perception d'un être. Par le visage, l'être n'est pas seulement enfermé dans sa forme et offert à la main — il est ouvert, s'installe en profondeur et, dans cette ouverture, se présente en quelque manière personnellement. Le visage est un mode irréductible selon lequel l'être peut se présenter dans son identité » écrit Levinas.
Le corps qui se révèle après le désir, qui se construit détail après détail en fonction de nos pulsions, c’est un objet que nous posons comme tel parce que nous sommes le sujet qui le construit. En revanche le visage qui surgit et qui nous interpelle, qui ne saurait se réduire à des détails juxtaposés (tels yeux de telle couleur, tel nez de telle forme, telle bouche grande/petite…), c’est un sujet qui s’ouvre à nous qui sommes également sujet. 
Tel est le mystère du regard sur autrui, et si la nudité y change quelque chose, c’est qu’elle nous le fait oublier. Disons-le brutalement : les messieurs vont mater le cul des dames et du coup ils ne verront plus le mystère de leur visage.
Mais alors… Mais alors ?... Le voile islamique, qui cache tout le reste sauf cela, serait donc moralement justifié ?