vendredi 12 juin 2020

Du passé, faisons table rase – Chronique du 13 juin

« Une des conséquences, en Europe, des manifestations américaines est l’apparition d’un mouvement « des statues », qui veut effacer de l’espace public les monuments à l’effigie de colonisateurs ou d’esclavagistes. » (Lu ici)

Que veulent donc les manifestants anti-esclavage lorsqu’ils déboulonnent les statues qui depuis plusieurs siècles meublent les places et les rues de certaines villes célébrant des hommes qui ont été admirés de leur temps tout en ayant été des négociants négriers.

Si c’est là le moyen le plus évident de montrer qu’on a l’esclavage en horreur, soit – mais alors on se demande pourquoi ces statues ont traversé les siècles sans être déboulonnées ? 

Il est vrai qu’on est habitués à ces déboulonnages de statues ; on n’a pas encore oublié celle de Saddam Hussein ; mais il s’agissait alors de détruire une preuve du culte rendu à cet homme qu’on était entrain de pourchasser dans le pays. Il ne s’agissait pas de purifier le passé, mais le présent.

 

  

Statue de Saddam Hussein en 2003

 

Voilà donc en quoi consisterait le mouvement actuel : détruire le souvenir du passé colonial ou esclavagiste en se désolidarisant de lui ? Pas essentiellement, car personne ne songeait à applaudir les négriers.

Ou alors dire combien cet évènement était déterminant dans la vie d’un héros, au point que sa vie entière serait contaminée par cette horreur  et qu’on ne devrait plus lui rendre d'hommages ? Certains songent ainsi à réviser leur appréciation de la vie de Georges Washington, propriétaire d’esclaves et qui, en 1793 signa le Fugitive Act Slave qui autorisait la capture dans n'importe quel État d'un esclave en fuite.

Peut-être, mais l’essentiel n’est toujours pas là. Il est dans ce désir d’effacer les traces du passé en les faisant disparaitre matériellement du présent et en espérant qu'elles vont aussi disparaitre du passé. Oui, du passé il faut faire table rase, comme le dit l’Internationale : non pas seulement en détruisant ce qui survit de ce passé (comme les lois scélérates qui privent les anciens esclaves de leurs droits civiques), mais en remontant le cours du temps, en sorte de faire comme si ces évènements n’avaient jamais eu lieu.

Nous voilà devant une difficulté radicale de la vie morale - par exemple, j’ai trahi mon ami, et mon repentir est tel que je voudrais faire que cette faute je ne l’aie jamais commise. Le mécanisme du pardon est sollicité dans de pareils cas : le pardon qu’on m’accorde signifie que je vais pouvoir continuer à vivre comme si je n’avais rien fait de mal, raccorder notre vie commune à ce qu’elle était avant cette faute.

- Alors, avant de dénoncer l'illusion des foules qui abattent les statues des négriers pour tenter de faire oublier leur passé colonial, songeons à ces contradictions de la vie morale : il ne s’agit pas de mauvaise foi mais de mauvaise conscience.

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