mercredi 3 juin 2020

Un philosophe nommé Raoult – Chronique du 4 juin

Bonjour-bonjour

Hier (3 juin) à 19 heures, BFM diffuse un entretien de Ruth Elkrief avec le professeur Raoult : me souvenant de son éclair de lucidité du 27 mai (cf. ici), je m’installe devant ma télé en espérant retrouver les mêmes lumières. 
Bien m’en a pris : ce ne fut pas un éclair mais bien des fulgurations durant une heure entière !   
Certes, ça a commencé par des remarques acerbes à l’encontre des journalistes venues l’interviewer. On se dit « Raoult mélanchonise, s’il continue je me casse ! »
Et puis on se rend compte que c’est tout autre chose qui se passe. Au lieu d’insulter bassement les intervieweuses, il leur explique qu’elles et lui vivent dans des écosystèmes de connaissance différents : la connaissance pour elles résulte des médiations dont elles ont besoin pour comprendre (« médiation », c’est-à-dire des informations reçues de l’extérieur nécessaires pour connaitre ce qui arrive avec cette pandémie) ; quant à lui, il opère de l’intérieur en procédant par découvertes scientifiques. Du coup il y a des connaissances auxquelles elles n’ont pas accès et donc la seule possibilité pour elle est de l’écouter avec attention sans l’interrompre sottement. 
Deux observations :
- Répétons-le, quand le professeur dit que ses interlocutrices ont besoin de médiations, il ne parle pas des médias genre BFM ou CNews : il parle des explications savantes sans lesquelles elles n’auraient pas accès à la connaissance.
- Notez ensuite que ce faisant Raoult est presque explicitement dans le contexte spinoziste (1). Selon Spinoza il y a en effet 3 genres de connaissance qu’on peut définir ainsi : 1° les connaissances par ouï-dire ; 2° les connaissances rationnelles ; 3° les connaissances intuitives. Dans le premier cas il faut une intervention extérieure pour accéder au vrai. Du coup la vérité n’est garantie que par l’autorité de la source. Dans le second cas, l’esprit accède à la connaissance par la réflexion et par le raisonnement : la vérité résulte alors de la rigueur avec laquelle l’esprit a par lui-même opéré cette recherche (2). Le troisième genre de connaissance procède par intuition : nous n’en parlerons pas ici.
Les journalistes sont dans le 1er cas ; le professeur dans le second. Voilà pourquoi il répète sans cesse « Vos questions n’ont de sens que dans votre écosystème, pas dans le mien qui est celui de la vérité scientifique. » 
- Et alors, l’essentiel vient maintenait : Ruth Elkref qui a bien compris l’enjeu pose  au Professeur la question suivante : « Que pensez-vous du confinement : était-il utile ? Car c’est à vous, professeur, membre des sociétés savantes, de le dire. »
Raoult se fait humble : « Les politiques ont à gérer les réactions passionnelles du peuple. Même si le confinement n’était pas médicalement indispensable, calmer les terreurs et empêcher les émeutes était indispensable et c’est aux politiques de dire si c’était là qu’était la solution. » Autrement dit, le politique est confronté aux passions populaires, pas le savant.
 - « Lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose, il est bon qu’il y ait une erreur commune qui fixe l’esprit des hommes » disait Pascal – Pensées Fragment n° 745
Après Spinoza, Pascal ! On a bien raison de dire que les Gilets jaunes devraient aller se chercher un nouveau leader ailleurs.
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(1) Alors, je sais bien que l’habitude aujourd’hui est de faire référence à Spinoza comme on fait sortir des lapins d’un chapeau : que ce soit pour les passions joyeuses ou pour les théories des sentiments, tout le monde est spinoziste : on aura compris qu'il s'agit d'un tout autre pan de la pensée spinoziste dont il s'agit ici.
(2) Pour illustrer le premier genre de connaissance, Spinoza fait appel à l’exemple de la règle de la 4ème proportionnelle : le marchant qui calcule le montant de ses achats applique la règle de 3 sans savoir exactement pourquoi – il sait simplement que c’est ça qu’il convient de faire parce qu’on lui a appris à respecter cette règle. Dans le second genre de connaissance, on fait d’abord appel à la compréhension de la règle avant de l’appliquer.

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