jeudi 30 juin 2022

La perpétuité c’est long, surtout vers la fin – Chronique du 1er juillet

Bonjour-bonjour

 

La condamnation de Salah Abdeslam à la perpétuité incompressible est l’occasion de revenir sur cette peine que le droit pénal français présente comme étant le véritable substitut de la peine capitale.

Dans l’article de Libé signé de Juliette Delage, on trouve cette citation de Michel Foucault : « La véritable ligne de partage, parmi les systèmes pénaux, ne passe pas entre ceux qui comportent la peine de mort et les autres ; elle passe entre ceux qui admettent les peines définitives et ceux qui les excluent » Car si une condamnation à perpétuité laisse un espoir de sortir un jour de prison (1), en revanche la perpétuité incompressible signifie que le détenu ne sortira jamais de prison sauf après sa mort : Michel Foucault a donc raison de ranger cette peine dans une catégorie dont la condamnation à mort n’est qu’un cas particulier.


--> C’est qu’en effet, cette peine revient à nier cette faculté si extraordinaire qui fait l'essence de l’homme : celle d’espérer ; et ce n’est pas pour rien que l’Enfer de Dante commence ainsi : « Toi qui entres ici, abandonne toute espérance... » La prison à vie est bien cet enfer moderne, sans tortures, sans démons, mais aussi sans espoir d’en sortir.

 

- Il reste à dire pourquoi il est si cruel de priver un homme d’espérance en l’avenir. C’est ce que fait fort brillement Juliette Delage dans l’article cité : « L’homme ne se résume pas à ses actes : il peut changer, évoluer. La période de sûreté incompressible est un renoncement aux principes de la justice pénale, qui juge des actes avant de juger des hommes. C’est une peine qui vient confondre l’acte et son auteur. L’appliquer, c’est considérer que l’acte commis est tellement grave qu’aucun espoir ne peut être accordé au condamné, qu’il ne peut pas changer, pas évoluer. L’incompressibilité empêche de se projeter dans une dynamique favorable. Il faut un droit à l’espoir. » 

Sans faire la moindre référence philosophique Salah Abdeslam disait pour sa défense la même chose : « Les faits qui méritent cette condamnation existent ; celui qui est dans le box la mérite pas. »

 

Alors bien sûr on fera observer qu’il existe, même pour cette condamnation la possibilité de demander une mise en liberté après 30 années de prison : preuve que refuser une telle possibilité excède le pouvoir d’un homme sur un autre. Mais les modalités sont telles qu’il est à peu près impossible que quiconque a passé 30 ans derrière les barreaux puisse y satisfaire.

--------------------------------

(1) D’où l’ironie de mon titre tiré d’une citation (contestée) de Woody Allen

mercredi 29 juin 2022

D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Qu'y a-t-il d’autre ? – Chronique du 30 juin

Bonjour-bonjour

 

« D'où venons-nous ? Qu'y a-t-il d'autre ? Qui sommes-nous ? » A ces questions et à bien d’autres que nous ne nous posons pas encore, le télescope James Webb va apporter des réponses selon cet article du Figaro.

 

- Ça vous la coupe, hein mes chéris ? Toutes ces questions métaphysique que l’homme depuis qu’il est homme pose en scrutant le ciel infini : voilà qu’à grand coup de dollars les américains vont les résoudre sans coup férir. 

Comment cela ? Hé bien voyez-vous, le télescope James Webb va livrer l'image « la plus profonde » de l'univers. « Il va explorer les objets du système solaire et les atmosphères des exoplanètes en orbite autour d'autres étoiles, nous donnant des indices pour savoir si leurs atmosphères sont potentiellement similaires à la nôtre ». Nous voulons non seulement voir l’instant où l’univers a émis ses premiers photons, mais aussi voir s’il existe des mondes lointains qui seraient similaires aux nôtres comme un miroir qui nous serait tendu à des milliards d’années lumières. 


"Un univers miroir de l’autre côté du big-bang" (voir ici)

 

Car voilà l’affaire : nous espérons ne pas être seuls dans l’univers, et pour cela nous avons imaginés des extraterrestres avec qui parler. L’homme révolté de Camus crie son désespoir au ciel désespérément vide : c’est Dieu qui manque à Camus. Nous, nous sommes plus modestes : nous voudrions savoir s’il existe une autre terre – très loin dans Proxima du Centaure par exemple – une planète où il y aurait des collines et des rivières et des poules dans les champs.


Pascal nous décrivait comme une poussière dans l’infini, qui ne pourrait trouver son salut que dans la grâce divine. Mais aujourd’hui, nous qui sommes devenus des athées convaincus, nous avons trouvé autre chose à croire : nous sommes minuscules peut-être ; mais nous ne sommes plus seuls à l’être.

Et ça change tout...  du moins pour les Narcisses que nous sommes.

mardi 28 juin 2022

Comment faire pour interdire d’interdire le droit à l’avortement ? – Chronique du 29 juin

Bonjour-bonjour

 

Trois réflexions à propos de l’abrogation du droit à l’avortement aux Etats-Unis (1)

1 – D’abord cela pourrait-il arriver chez nous ? Peut-être mais il faut d’abord noter que notre système est très différent de celui des américains – à savoir que chez eux le droit à l’avortement n’était pas une loi mais une jurisprudence entérinée précédemment par la Cour suprême. N’ayant pas force de loi, cette mesure était donc à la portée d’un nouvel arrêt, ce qui ne serait pas le cas si elle avait été votée par la représentation nationale  comme chez nous.


Le fait qu’une majorité d’américains soit favorable à l’autorisation de l’avortement devrait donc devenir une loi, votée par le Congrès – ce qui ne parait pas évident du fait de l’emprise des religieux sur le parti républicain.

2 – Les chrétiens évangéliques blancs représentent aujourd'hui l'un des groupes démographiques les plus unifiés et mobilisés des États-Unis, formant une force politique unique. (Art. cité)

On a vu combien certains américains lient leur citoyenneté à la pratique religieuse, faisant de leur mouvement social un véritable culte. Leur accord porte sur une politique anti-féministe, anti-LGBT+ et pro-armes.

3 – Est-ce là une preuve que la démocratie américaine est malade ? Peut-être – surtout si on considère le droit des femmes comme un marqueur de sa santé. Toutefois il est bien présomptueux de juger d’une telle chose à partir d’un groupe peut-être isolé.

Pour mémoire, le fait que Hitler ait été à la tête d’un groupuscule doit être corrélé à la foule qui l’acclamait dans les rues de Nuremberg quelques années plus tard.

------------------------

(1)  Ces remarques sont tirées d’un article publié par The Conversation (Lire ici cet article)

On pourra lire égalant mon précédent post

lundi 27 juin 2022

Le placard aux idées à la c*** – Chronique du 28 juin

Bonjour-bonjour

 

La bêtise est-elle une affaire d’homme ou de situation ? Selon que vous soyez misanthrope ou non, votre réponse sera différente.

Aujourd’hui je viens vous rassurer, cher amis : c’est bel et bien une affaire de situation, comme en témoigne cette proposition de monsieur Ndiaye, ministre chargé de l’éducation nationale : « Le nouveau ministre de l'Éducation nationale s'est prononcé pour qu'un professeur puisse s'emparer des heures d'un collègue absent et qu'à son retour, celui-ci compense en rattrapant le temps perdu sur l'emploi du temps du premier.

« Nous voulons faire en sorte qu'une absence du professeur d'histoire-géographie par exemple soit compensée par, disons, son collègue de français. Mais attention, pas pour que le professeur de français fasse de l'histoire-géographie ! Il utilisera ces heures pour faire une double dose de français, et quand le collègue d'histoire-géo reviendra, il compensera en prenant sur les heures de français. » (Lu ici)

Bien sûr on ne tient pas ici compte du miracle que constituerait le fait que les heures non faites correspondraient à des libertés dans l’emploi du temps du collège (p.ex. de français) de la même classe et disposé, notez-le, à réaliser une telle opération.

Monsieur Ndiaye est lui-même professeur, et même si c’est à autre niveau, il ne peut ignorer qu’une telle coïncidence est quasi-impossible – mais surtout, il devrait savoir que les enseignants reçoivent cette proposition avec amertume comme une humiliation : "Si quelqu'un est malade en France, quel que soit son travail, personne ne lui demande de rattraper ses heures..." a déclaré Françoise Cahen, professeure de lettres à Alfortville.


--> Comment une idée si stupide a-t-elle pu germer dans un cerveau aussi fécond que celui de monsieur Ndiaye ?

 

J’ai un début de réponse, ayant moi-même vu passer cette proposition du temps où j’étais en activité – c’était au temps où Claude Allègre était ministre de Lionel Jospin - le quel cohabitait avec Jacques Chirac. Je ne me rappelle plus de la procédure exacte, mais elle correspondait assez bien à celle qui est proposée aujourd'hui ; en tout cas,  elle a bien fait rire (sauf ceux qui comme moi étaient dans le dégoût d’être sous la férule d’un tel homme). 

- Alors je suppose qu’il y a au ministère de l'Education nationale une salle où on archive tous les projets avortés, collationnés ministres après ministres, et que monsieur Ndiaye a dû, en arrivant s’enfermer dans ces archives pour les compulser histoire de trouver des idées à avancer de suite.

Malheureusement ce qu’il trouve dans ce placard, ce sont des idées à ne surtout pas proposer. 

Il s’emble qu’il n’en soit pas averti.

dimanche 26 juin 2022

Embrassons-nous Folleville ! – Chronique du 27 juin

 

Hier 26 juin au sommet du G7


Bonjour-bonjour

 

Enfin ! Une bonne nouvelle : Boris Johnson et Emmanuel Macron ont affiché leur réconciliation suite à la crise des sous-marin australiens qui traine depuis septembre 2021.

S’y étaient ajoutés, ne l'oublions pas, les droits de pêche refusés aux français et puis le statut de l’Ireland du Nord post-brexit. Ça fait beaucoup mais on voit combien nos hommes politiques sont résilients : quelques déboires électoraux associés à la guerre d’Ukraine, et les voilà réconciliés. Embrassons-nous Folleville ! comme on disait autrefois sur les scènes de théâtre (1).


On pourra rétorquer que, même joué, cet affichage de la réconciliation franco-britannique répond à une intention sans laquelle il ne serait pas là. Toutefois une bonne intention ne peut empêcher que s’infiltre dans ce procédé un venin qui ruine la démocratie. Et voici comment :

- Depuis bien des semaines je maudis l’habitude des citoyens de voter pour des personnes plus que pour des programmes. Monsieur Macron c’est le beau gosse avec qui on partirait volontiers en vacances – alors pourquoi ne pas voter pour lui puisqu’il incarne, voyez-vous, le gendre idéal. Monsieur Johnson ? Il nous rappelle Ronald (le clown qui fit la joie de nos petits chez Mac’Do) ; c’est un joyeux drille qu’on inviterait volontiers à l’apéro-saucisse de samedi prochain – alors pourquoi ne pas l’héberger au 10 Downing Street ?

Seulement voilà : les dirigeants politiques ne sont pas fous : pourquoi iraient-ils  lutter contre cette tendance en affirmant qu'il faut voter pour des idées et non pour des hommes ? Il est bien plus facile de surfer sur cette tendance à incarner des icônes de la vie heureuse et amusante voulue par le peuple-électeur. 


Nous ne rencontrons nos dirigeants qu'au travers d'images qui les représente qu'ils le veuillent ou pas, devenant ainsi des produits qu'on nous "vend", conformément à la thèse de Guy Debord (2) . Ce spectacle est mis en scène non pas seulement sur la base du divertissement, mais bien plus profondément sur celle des rapports sociaux : « Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images » comme l'écrit Guy Debord

 

Oui, les dirigeants de nos démocraties jouent (et même sur-jouent) le jeu de la société du spectacle. Quand nos hommes politiques pastichent les héros des médias qui branchent les jeunes, on se dit que la démocratie est déjà morte et enterrée sans même qu’on s’en soit aperçu.

----------------------------

(1) Embrassons-nous, Folleville ! est une comédie-vaudeville d'Eugène Labiche et Auguste Lefranc, représentée pour la première fois à Paris au théâtre du Palais-Royal le 6 mars 1850. 

« Embrassons-nous, Folleville ! » est devenu par extension une expression ironique désignant des démonstrations d'amitié ou de joie qui permettent d'oublier les différends ou qui occultent les problèmes. Voir ici

(2) Pour Guy Debord, dans la société de consommation, tout est manipulé pour devenir consommable c’est-à-dire in fine vendable

samedi 25 juin 2022

C’est Dieu qui l’emporte – Chronique du 26 juin

Bonjour-bonjour

 

Retour de l’interdiction de l’avortement aux USA : on a déjà tout dit sur le droit des femmes à pratiquer un avortement, sur le fait que la souveraineté qu’elles ont sur leur corps impliquait leur droit à détruire l’embryon, et – pour finir – sur la non-présence d’une personne humaine dans ce germe de quelques centaines de cellules.

 

Oui, tout ça on l’a déjà dit, mais nous n’avons peut-être pas suffisamment insisté sur l’importance du fait religieux dans cet arbitrage de la Cour Suprême des Etats-Unis.

Apprenant cette décision, Donald Trump, se souvenant peut-être (sic) d’Antigone, a déclaré : « C’est Dieu qui l’emporte » ; quant aux partisans de l’interdiction de l’avortement ils ont dit en sanglotant d’émotion combien ils étaient bouleversés de voir leurs prières exaucées.

 

De quelle façon la religion est-elle impliquée là-dedans ? Si l’on en croit les débats médiévaux il faut une action divine pour unir cette nouvelle âme avec ce corps qui va se former. À notre époque, l’Église se contente de souligner que l’embryon est une personne qui comme telle est l’objet de la sollicitude divine. (1) On est plus dans l’éthique que dans la théologie, mais de tout façon c’est la femme qui est la grande absente de ce processus, sauf à recourir au devoir pour toute femme de satisfaire la plus haute fonction qui lui a été conférée par Dieu. 


Mais quoiqu’il en soit, et puisque la science refuse de se prononcer là-dessus, c’est à un décret divin qu’il revient de garantir la présence de la personne humaine dans l’embryon. Et c’est là que ça coince avec Elisabeth Badinter : « Dieu ne légifère pas. Les êtres humains sont ceux qui décident de leur sort. Je n’ai jamais autant remercié la loi de 1905, parce qu’on a remis à sa place, c’est-à-dire dans le privé, la religion… C’est un retour en arrière, non pas seulement de 50 ans, mais de 150 ans et c’est insupportable. » (Lire ici)

- Les femmes qui refusent comme Elisabeth Badiner de reconnaitre la loi divine refusent également d’être soumises à la loi des hommes. Mais il n’y a pas que cette volonté d’indépendance des femmes qui milite pour le droit à l'IVG. À l’époque où le mariage est légitimé par l’amour qui unit les époux, le désir d’enfant est la condition de l’enfantement.

Comment ne pas reconnaitre dans ces faits la preuve que notre époque est celle des émotions et des passions ? Les citoyens ne donnent-ils pas leur voix aux hommes ou aux femmes qui soulèvent leur enthousiasme ? Ne vont-ils pas pendre en effigie ceux qui leur déplaisent ? 

-----------------------------

(1) Ceux que le point de vue de l’Église intéresse iront voir cet article.

vendredi 24 juin 2022

Qu’est-ce qui fait courir les hommes politiques ? – Chronique du 25 juin

Bonjour-bonjour

 

« S'il suit 10 % de mes conseils, il va aller très loin. À 5 %, ce sera juste. Et à 15 %, magistral ! »

De qui parle donc Nicolas Sarkozy ? de Laurent Wauquiez, au cas où vous ne l’auriez pas deviné.

 

Après l’échec des européennes en 2019, Laurent Wauquiez a pris "une retraite de trois ans loin de Paris". Afin de "se refaire une virginité politique", il décidait alors de "se confiner dans sa région", comme l’ont rappelé nos confrères du Point, ce vendredi 24 juin. Une mise au vert qui, à l’époque, avait amusé ses principaux rivaux : "Il est parti la paille au cul et le feu dedans". Son retour au tout premier plan pourrait être la surprise de la rentrée. (Lire ici)

 

- La vie politique est un impitoyable affrontement où les coups bas et les trahisons sont le pain quotidien des politiciens. Il semble que la mise à mort des ennemis soit le seul objectif de leur action et que le dévouement à la cause publique ne soit qu’un des moyens pour y parvenir.

- Mais il faut dire aussi qu’à la différence du monde de l’entreprise, ceux qui tombent du haut de l’échelle peuvent parfaitement se rétablir et après une période de mise à l’écart, reconquérir la première place. En politique on n’est jamais tout à fait mort, et l’importance que possède encore Nicolas Sarkozy est là pour en témoigner.

 

Jamais mort, toujours sur le qui-vive, l’homme politique ne connait ni pause ni retraite. Mais qu’est-ce qui fait courir les hommes politiques ?

Charles Fourier pensait que la passion cabaliste (1) était le ressort indispensable à l’engagement dans la vie politique. Il ne dit pas que l’homme politique doit sacrifier sa vie au bien public, mais qu’il le fera à condition de voir satisfaits ses penchants sensibles les plus intimes. Bien sûr, certains politiciens ont profité de leur pouvoir pour satisfaire leur libido au détriment des certaines jeunes femmes. Mais, outre que Fourier a été un penseur de la cause des femmes (2), il nous dit bien qu’il doit y avoir une concordance entre les activités socialement profitables et les passions qui les soutiennent.

La politique : occasion de satisfaire à la fois l’amour des autres et l’amour de soi.

---------------------------------

(1) Passion cabaliste : goût de l’intrigue. 

Profitons de cette occasion pour souligner l’importance que pourrait avoir aujourd’hui une remise au premier plan de la pensée de Fourier à mi-chemin entre les visions délirantes en des intuitions géniales.

(2) « Les progrès sociaux s’opèrent en raison des progrès des femmes vers la liberté et les décadences d’ordre social /sont/ en raison du décroissement de la liberté des femmes » - Charles Fourier, Théorie des quatre mouvements et des destinées générales - 1808

--> 1808 : notez la date !

jeudi 23 juin 2022

Elisabeth Borne : « Personne n’a le monopole des bonnes idées » – Chronique du 24 juin

Bonjour-bonjour

 

De la tolérance et de la modestie au plus haut de l’État ? Cette touche d’optimisme nous vient d’Elisabeth Borne qui assure que « Les bonnes idées peuvent venir de partout » – y compris de l’opposition ? Oui bien sûr sans doute… Quoique... 

Voyons un peu :

« Je suis intimement convaincue que personne n’a la réponse tout seul et on doit dialoguer avec toutes les parties prenantes pour bâtir les bonnes réponses, la situation actuelle nous invite à trouver ce chemin à l’Assemblée nationale. » a déclaré hier madame Borne (lire ici)

… Sauf qu’elle ajoute immédiatement : « Évidemment, si c’est seulement porté par le Rassemblement national, je ne vois pas très bien pourquoi on l’adopterait, mais je pense que le RN pourra être d’accord comme sur le bouclier tarifaire et la revalorisation des pensions. » 

Autrement dit, les bonnes idées peuvent venir de partout mais pas du RN tout de même !

- Sectaire madame Borne? Mais non car on le voit : prise d’un élan de générosité, elle précise qu’elle acceptera que le RN se rallie aux projets du gouvernement. 

Merci madame Borne !

 o-o-o

C’est là qu’on trouve le principe qui guide depuis toujours l’esprit d’unité en politique : « Tous ensemble – derrière moi » 

Jean-Luc Mélenchon, pour ne citer que lui, dit cela à la gauche depuis plus de 10 ans.

Mais ce n'est pas très nouveau : on dit que François 1er affirmait « Mon cousin (= Charles Quint) et moi, nous sommes d’accord : tous les deux nous voulons Milan » : on ne saurait être plus explicite et la situation politique française montre que cette phrase s’accorde bien avec la soif de pouvoir ranimée dans tous les courants politiques.

- Bien sûr on va protester : la Première ministre  parle bien de dialogue et de vérité acquise par synthèse des opinions diverses. Sauf que la gauche a déclaré que le scrutin législatif avait annulé le programme du président nouvellement élu ; et que le Président a rappelé dans sa récente allocution qu’il a été élu sur « un programme très clair » et qu’il s’agit simplement de trouver le moyen de l’appliquer.

Autrement dit, les bonnes idées, pas besoin d’en chercher de nouvelles. On en a déjà trop !

mercredi 22 juin 2022

In medio stat virtus - Chronique du 23 juin

Bonjour-bonjour

 

La vertu est éloignée des extrêmes : vous n’avez pas besoin qu’on vous fasse un dessin, n’est-ce pas, chers amis ? C’est le discours du Président d’hier soir qui m’inspire ce commentaire.

Car entre gouverner en formule « union nationale » et cesser toute tentative de faire des lois nouvelles il reste à trouver au coup par coup des majorités d’occasion pour faire passer les lois. 

- Bien sûr une telle formule manque d’allure, mais c’est ce que le peuple a choisi.

On dira en effet qu’Emmanuel Macron vient d’inventer l’eau tiède : un peu d’Insoumis et un peu de Rassemblement national : vous mélangez et vous servez bien tiède. Beurk ! Mais si c’est le peuple qui l’a voulu, alors….

- Car ce qu’on peut dire, c’est que le président n’avait guère le choix : il a pris ce qu’on lui a laissé, avec humilité, sans faire semblant d’avoir choisi une telle situation, sans paraphraser Cocteau (Puisque ce chaos me dépasse feignons d’en être l’organisateur). Bref : profil bas.

- Mais revenons à notre propos liminaire : et si c’était là la meilleure position, au point que l’échec relatif du précédent quinquennat avait été lié à la puissance d'un l’exécutif appuyé sur une trop grande majorité ? In medio stat virtus, trop de puissance, comme trop de faiblesse, rend impuissant. 

- Une démocratie aurait-elle donc besoins d’une dilution du pouvoir ? L’avenir prochain nous le dira, mais gardons présent à l’esprit cette hypothèse afin de ne pas passer à côté d’une signification essentielle. 

mardi 21 juin 2022

Des gens qui ne sont rien – Chronique du 22 juin

Bonjour-bonjour

 

J-M Blanquer, Christophe Castaner, Amélie de Monchalin, ont été battus aux élections législatives, pendant que de nouveaux députés entraient au Palais Bourbon pour les remplacer. Salariés au Smic, issus des classes populaires ou moyennes, ils ont tous été élus avec la Nupes.

 

            * Elue : Rachel Keke, 48 ans, femme de chambre de l’Ibis Batignolles, investie par la Nupes dans le Val-de-Marne, s’est fait connaître du grand public pour avoir tenu tête 22 mois à la multinationale Accor. 

            * Elu à Nantes, Andy Kerbrat (Nupes), 31 ans, travaille dans le centre d’appels. La veille de l’élection, il y travaillait encore

            * Elue également, Mathilde Hignet (Nupes), 29 ans, est ouvrière agricole et vient de remporter le siège de la 4ème circonscription d’Ille-et-Vilaine. Fille d’agriculteurs, elle travaille à temps partiel et touche le Smic. (lire ici) 

o-o-o

 « Des « gens qui ne sont rien » entrent à l’Assemblée nationale » titrait cet article que j’ai tenu à citer un peu longuement parce que j’y trouve un prolongement de mon article d’hier où je disais « Bye-bye aux premiers de cordées ». 

- Plus de Science-po, plus d’ENA, même plus de diplômes universitaires. Ce qu’il a fallu à ces élus, femmes de ménage ou ouvri.er.ères c’est de la pugnacité et un sens aigu de la justice. 

Mais l’intérêt de leur élection n’est pas seulement là. Il s’agit de faire entrer à l’Assemblée Nationale la parole de ceux qui vivent dans le besoin avec des fins de mois qui commence quinze jours avant. Cette élection n’est pas un concours de vertu (ça serait comique d’ailleurs avec des gens comme Damien Haddad) ; ni quelque chose comme l’épreuve des poteaux de Koh-Lanta où seul le plus résistant réussit. Mais il s’agit de faire connaitre les besoins des hommes et des femmes dont « ces gens qui ne sont rien » portent la parole. 

- Les besoins sont des états vécus, et pour les connaitre il faut les vivre. On sait qu’ATD-Quart monde, la grande association qui porte secours aux démunis, exige de ses bénévoles qu’ils aient une expérience qui les rend proches de la pauvreté. Il ne s’agit bien sûr pas de vivre dans la rue, mais plutôt de vivre simplement afin de rester proches de ce que vivent gens qui sont dans la misère : « nous induisons ainsi une cohérence entre nos convictions et notre vie au quotidien ». (Voir ici)

Et cette connaissance, ce ne sont pas les fameux « premiers-de-cordée » qui pourront nous la donner, sauf à réciter les informations glanées ailleurs. Il faut avoir ressenti la morsure du besoin et du dénuement pour le savoir.

 

Rachel Keke, Andy Kerbrat, Mathilde Hignet : eux, il.elles le savent. Et c’est pour cela qu’ils ont leur place au Palais Bourbon.

lundi 20 juin 2022

Bye-bye, les premiers de cordée ! – Chronique du 21 juin

Bonjour-bonjour

 

Rappelez-vous : c’était hier et le gouvernement voulait faire passer une réforme impopulaire (on pense aux retraites), ou bien une mesure technique (telle l’obligation du pass vaccinal) ; le maitre mot était alors : faire de la pédagogie. Oui, la pédagogie qui consiste à expliquer à un public supposé ignare des vérités qu’il ne parvient pas encore à comprendre. Bien sûr le second maître-mot d’alors était le mépris. Car dès lors qu’on pense que la décision refusée est objectivement belle et bonne, il ne reste plus qu’à le faire comprendre – par une pédagogie adaptée aux facultés des gens-de-la-rue ; à moins de faire appel aux forces de l’ordre quand ça chahute dans le fond de la classe. 

Et aujourd’hui ? Oui, maintenant que les cancres du dernier rang sont montés à l’assaut de la chaire du prof pour s’emparer de sa férule ? Un combat de rue à l’Assemblée nationale : c’est ça qui nous attend ?

Espérons que non, mais demandons-nous alors par quoi la « pédagogie » qui consiste à faire entrer par la force une vérité supposée supérieure dans les têtes obtuses va être remplacée ? 

Au lieu de laisser à la violence la première place, imaginons d’inverser le procédé : refusons de penser que la vérité est l’expression de la force du plus fort, et disons plutôt qu’elle est ce sur quoi nous sommes tous tombés d’accord, les forts comme les faibles, les majoritaires comme les minoritaires. Autrement dit : oublions la pédagogie et négocions.

 

- Là, je sens mes chers amis qu’il y a un mouvement de recul et de méfiance. « Quoi, c’est donc ça que vous avez trouvé pour faire face à l’embrouille parlementaire ?  Faire comme si on pouvait négocier à propos du virus ou avec le marché de la finance ? Donnez donc le pouvoir à Jojo-le-Gilet-Jaune, ça ira plus vite ! » (1)

Dire que la vérité est ce sur quoi nous sommes tombés d’accord signifie que cette vérité n’est pas celle des données objectives accessibles seulement à la démarche scientifique. Ici, un seul qui sait a raison contre toute une foule qui crie le contraire. Mais ce n’est pas avec ces vérités massives comme du roc qu’on fait de la politique. On ne peut que contourner la montagne ou simplement trouver le passage qui mène au col – or, « Gouverner c’est choisir » disait Mendès-France. Là où il y a du choix, il y a de la politique : faute d’effacer la montagne cherchons le passage qui ne laissera personne sur le bord du chemin. Mais pour cela il faut consulter tout le monde et permettre à chacun de dire s’il accepte la solution proposée.

Au lieu d’imposer le point-de-vue des premiers de cordées, ouvrons la voie qui permettra aux plus faibles de franchir le col. (2)

------------------------------

(1) Voir ce billet qui date maintenant d’un peu plus d’un an.

(2) Bien sûr il y a un grand danger à admettre que la vérité se signale par le fait du consensus. Sans remonter au temps de Galilée où tout le monde admettait que la terre soit au centre de l'univers, songeons aux stupidités assénées sur les réseaux sociaux par une opinion fière de sa sottise. Que nous soyons d'accord sur une décision ne la rend pas "vraie" pour autant. Encore faut-il qu'elle surmonte l'épreuve du réel : c'est même pour cela qu'elle méritera le nom de "vérité"

dimanche 19 juin 2022

Ce matin c’est Youpi !!!! ou c’est Sniff ? – Chronique du 20 juin

Bonjour-bonjour

Ce matin, nous sommes un certain nombre à nous gratter la tête d’un air dubitatif :


Car que mettre en premier ? Le fait que plus d’un électeur sur deux ait jugé inutile d’aller voter ? Ou bien que les électeurs aient modifié leurs votes, contraignant l’État à en passer par une coalition pour gouverner ? Et peut-on faire tenir ensemble ces deux attitudes du corps électoral ? 

- Estimer que ces deux attitudes soient cohérentes et reflètent le même mouvement parait bien difficile. 

            * Car on a d’un côté le refus des citoyens d’accorder leur confiance à la classe politique toute entière, comme si le but qui lui était assigné était définitivement hors de sa portée. A quoi bon voter pour des gens qui nous mentent et dont l’action fera toujours plus de mal à ceux qui n’ont déjà rien ? Sniff ! Tirez les mouchoirs.

            * Symétriquement on peut quand même admirer la capacité des électeurs à casser les ailes des partis trop conquérants et à les forcer à entrer dans des coalitions qui les contraignent à des concessions qu’une majorité absolue leur aurait évitées. Moins de pouvoir aux partis = moins de mesures extrêmes = moins de souffrances pour le peuple. Youpi !

o-o-o

Quant à moi, je suis plutôt satisfait que les démagogues les plus radicaux aient été privés de la majorité qu’ils espéraient. Mais je reste embarrassé par le chiffre élevé des abstentions souvent soutenues par des déclarations du genre « Si je ne vote pas c’est parce que ça ne sert à rien – autrement dit, que je vote ou pas, le pouvoir fera toujours la même chose »

Car si la politique c’est le choix des valeurs en fonction des quelles on va utiliser le pouvoir collectif, autant dire que : 

            * Ou bien nous sommes tous d’accord sur ces valeurs (droits de l’homme, fraternité, liberté-égalité, etc.) mais nous considérons que les hommes et les femmes qui se présentent à l’élection sont incapables de faire le taf.

            * Ou alors – et c’est selon moi le plus probable – nous donnons pour but à l’action politique la tâche de transformer le monde pour le rendre conforme à nos aspirations.

Et c’est là qu’on se dit qu’une petite dose de stoïcisme ne serait pas inutile.

samedi 18 juin 2022

Un coup de galerne sur les urnes ? – Chronique du 19 juin

Bonjour-bonjour

 

 La galerne, vous savez ce que c’est ? Il s’agit de ce coup de vent d’ouest qui a fait chuter les températures de 20° en une heure hier soir sur le Pays Basque. Brutal retournement, n’est-ce pas ?

Dans le même temps les élections en outre-mer ont déjà rendu leur verdict : « du côté de la majorité, la secrétaire d’État chargée de la mer, Justine Benin, a été battue en Guadeloupe, tout comme le sortant Lénaïck Adam en Guyane » (Lu ici)

 

Avouez que cette mise en parallèle est tentante, mais pour autant est-elle exacte ? Si j’en crois les météorologues, la galerne est un retournement des vents qui, du fait de sa soudaineté est difficilement prévisible : aurions-nous la même situation en politique où l’on voit une ministre mordre la poussière électorale ? Difficile à dire d’autant que les résultats des 14 autres ministres-candidats ne sont pas connus à l’heure actuelle. 

Pourtant on remarquera que ce genre de rupture brutale n’est pas si exceptionnelle en politique ainsi qu’en témoigne l’histoire romaine qui nous a légué ce célèbre dicton : « La roche tarpéienne est proche du Capitole » – qu’on emploie pour signifier qu’après les honneurs, la déchéance peut venir rapidement (1). 

Ce retournement de situation qui nous sidère quand il s’agit de météo ne devrait donc pas surprendre à ce point les élus de la nation. D’autant qu’autrefois on utilisait aussi  ce proverbe pour prévenir que la meilleure façon d’entrainer quelqu'un vers une chute mortelle, est de commencer par l'inviter à monter le plus haut possible. De telles situations abondent dans les romans de Balzac. Ces temps-ci les Rastignac ont proliféré dans les antichambres ministérielles.

Au fait : il y a le portefeuille de la mer à prendre.

----------------------------

(1) « Arx tarpeia Capitoli proxima » : la roche en question est une sorte de falaise en plein cœur de Rome, à proximité du Capitole lieu du pouvoir dans la Rome antique. C’est du haut de cette falaise que furent jetés les condamnés à mort dont certains responsables politiques déchus. (Lire ici)

vendredi 17 juin 2022

La bourse ou la vie ? – Chronique du 18 juin

Bonjour-bonjour

 

A la suite d’un accord entre certains pays et les fabricants de vaccin, l’Inde et l’Afrique du Sud (pour ne parler que d’eux,) pourront de fabriquer le vaccin covid librement. Cet accord exclut néanmoins les tests et les traitements qui font partie intégrante de la lutte contre la maladie. Cette carence a entrainé des commentaires attristé qu’on lira ici.

« Un bon compromis laisse toujours tout le monde en colère » disait Bill Watterson, dans l’une de ses BD humoristiques Calvin et Hobbes

A l’évidence cet accord lui donne raison – mais reste à savoir pourquoi.

- Les labos qui font des profits pharamineux sur les vaccins considèrent qu’il s’agit là d’un retour sur investissement sans lequel la recherche ne serait plus possible. Ces profits font partie du dispositif qui leur a permis, à eux Big-Pharma et à personne d’autre, de découvrir et de développer ces vaccins à ARN messager sans lesquels la maladie serait encore un fléau sans remède. Et de citer les vaccins Russes et Chinois dont les performances ont été très décevantes.

- Quant à Médecin sans frontières, Christos Christou leur Président déplore « qu’une pandémie qui a coûté la vie à plus de 15 millions de personnes » n’ait pu suffire à imposer un accord sur la levée des brevets.

 

Le débat est donc posé : il consiste en l’affrontement entre l’exigence de profit et l’inconditionnalité de la sauvegarde de vies humaines. Peut-on admettre que le profit soit mis au même niveau que le sauvetage de ces vies ? Y a-t-il de la place pour deux valeurs transcendantes ? Si on admet l’une est-ce qu’on évacue l’autre ? L’humanitaire signifie-t-il qu’on ne veut plus rien admettre relevant du profit ? Par contre, si on considère les profits comme le moteur de l’activité humaine, est-ce à dire qu’on rejette tout ce qui n’y participe pas, y compris les humains eux-mêmes ?

Pourtant, un accord a été signé : en quoi peut consister un compromis entre ces deux exigences si contraires l’une ? Peut-on à la fois dire "je suis sensible aux malheur que constitue les pertes en vie humaine", mais "je refuse d’investir sans réaliser des profits" ?

A l’opposé, entendrons-nous Médecin sans frontières dire « Nous acceptons de que la médecine soit soumise dans une certaine mesure à la logique du marché, mais nous imposerons des limites à cette loi : quand les labos réalisent des profits dans des pays où l’on peut payer – soit. Mais là où la pauvreté ne le permet pas, il faut oublier cette règle. »

 

--> Il faut dire qu’il ne s’agit pas là d’une nouveauté : il y a quelques années les prix des médicaments anti-cancéreux ont fait scandale : ils étaient si élevés que seuls les pays les plus riches y avaient accès. Cette affaire a fait tant de bruit que les labos ont décidé de moduler ces prix en les ajustant en fonction des moyens des différents pays :  seuls les plus riches payaient le plein tarif, les plus pauvres payent à hauteur de leurs ressources.

Généreux ? Peut-être. Mais ça correspond aussi aux pratiques de bandits de grands chemins qui laissent à leur victime la vie sauve à condition de les avoir délestées de tous leurs biens.

jeudi 16 juin 2022

Le droit au farniente – Chronique du 17 juin

Bonjour-bonjour

 

Dans la même journée Laurent Berger a été réélu à la tête de la CFDT et désavoué sur la question de l’âge de départ à la retraite.

On lit ceci en effet : « Laurent Berger qui a été réélu ce jeudi à la tête de la CFDT, a essuyé un camouflet ce même jour lors du 50e Congrès de l'organisation à propos de la question sensible des retraites... Les délégués réunis à Lyon ont adopté un amendement affirmant que "l'allongement de l'espérance de vie ne [pouvait] justifier une augmentation de l'âge moyen de liquidation", prenant ainsi le contre-pied de la formulation initiale. »

Auprès de la presse, Frédéric Sève le Secrétaire national chargé des retraites, a reconnu que ce vote montrait une forme de "défiance", vis-à-vis de "l'exécutif confédéral" (la direction de la Confédération) au « sujet des retraites ». À lire ici.

 

Soulignons l’essentiel : « l'allongement de l'espérance de vie ne [pouvait] justifier une augmentation de l'âge moyen de liquidation » Tout cela a le mérite de la clarté, et le principe selon lequel l’allongement de la durée de la vie entraine ipso facto celle de la durée des cotisations, donc de l’âge de départ en retraite, a été balayé par les congressistes. Autrement dit on veut bien vivre plus longtemps, mais on refuse d’y voir une condition de l’allongement de la vie active. 

C’est donc la finalité de la retraite qui est mise ainsi en cause :

            * Soit il s’agit de concevoir la retraite comme le moment où le travailleur épuisé par son labeur et incapable d’en assurer la continuation est pris en charge par la solidarité intergénérationnelle : lui qui a soutenu des retraités par ses cotisations durant toute sa vie de travailleur, le voici à son tour pris ne charge. 

            * Soit il s’agit de voir dans la retraite le moment où le travailleur a rempli son contrat vis-à-vis de la collectivité, assumé sa part de production, de cotisation, d’impôts, etc. Quoique ce « contrat » ne soit pas gravé dans le marbre, il n’en reste pas moins qu’on ne fait pas état de l’état physique du travailleur candidat à la retraite, et qu’on ne passe pas une visite médicale avant d’être admis à quitter la vie active.

On entend bien des gens dire que pour conserver leur intégrité corporelle et psychologique il faut absolument la retraite à 60 ans. Mais on peut aussi entendre ceux qui sont en pleine possession de leurs moyens et qui réclament leur retraite comme un droit au farniente. Ce qui suppose que les travailleurs aient l’obligation de payer sur leur travail toutes les charges sociales qu’on voudra, mais qu’on doit aussi leur garantir une période de béatitude, lorsqu’encore en état de vivre pleinement les délices de la société moderne, on leur permet de quitter leur travail pour le faire. 

On notera que la question « Qui paye ? » n’est jamais abordée – sauf bien sûr par ceux qui réclament l’allongement de la durée de cotisation. C’est que le calcul de la trésorerie des caisse de retraite se fait sur l’équilibre entre la durée de la vie active et l’espérance de vie avant la mort du retraité : « Combien d’années espérez-vous vivre retraité ? »

Pour rationaliser tout ça, on pourrait instituer un « bon de vie » attribué au retraité garantissant le versement des retraites sur une durée prévue. Ainsi chacun pourra calculer son âge de départ en retraite en fonction de son âge présumé de départ… de la vie.

mercredi 15 juin 2022

Modération, sobriété, frugalité, abstinence, austérité, etc. Chronique du 16 juin

Bonjour-bonjour

 

Chers amis, vous qui ne cessez de vous éponger le front en maugréant contre cette fichue canicule qui vous accable, vous êtes en plus submergés des recommandations de toutes sortes, qui visent et votre comportement du jour et le mode de vie qu’il vous faudra adopter à tout jamais, du moins jusqu’à la fin de votre vie.

Comme vous pouvez le lire en titre de ce passage, il s’agit de la sobriété devenue le maitre mot de notre vie, associé il est vrai à la frugalité, et à l’abstinence, sans oublier l’austérité, la modération – etc. Autant dire que tout y passe : depuis des recommandations économiques jusqu’aux règles les plus rigoureuses des moines bénédictins.

 

On reste étonné devant la variété des registres mobilisés ici : des conseils en économie domestiques, on passe à la gestion des ressources planétaires, et puis aux règles de la vertu – et pour finir aux considérations spirituelles. N’en jetez plus ! tout ce qui auparavant était en libre-service, comme l’eau, ou consommé sans restriction, comme le lumière ou d’autres formes d’énergie – devient l’objet de parcimonie, comme l’électricité qu’il faut économiser jusque dans les témoins lumineux, ou le robinet qu’il faut fermer quand on se brosse les dents.

Et pourquoi ? Pour être « responsable ». Responsable de quoi ?  De l’état de la planète puisqu’il peut être imputé à chacun dès lors qu’il consomme des ressources qu’il faudra au final compenser. On devine que cette responsabilité à l’égard d’un si vaste objet que la terre entière est une nouveauté radicale. Quelles en sont les conséquences ?

            *Pour la première fois nous sommes responsables de la planète entière, nos abus ici étant l’occasion de pénuries là-bas, de l’autre côté des océans. La mondialisation est d’abord celle de la responsabilité non seulement face à l’humanité, mais encore à la nature entière.

Nous devons penser non seulement aux chinois et aux indiens à chaque fois que nous allumons la lumière de notre chambre, mais aussi aux ourses polaires qui dérivent lamentablement sur leur glaçon à cause de notre imprévoyance.

            * Et puis nous sommes aussi responsables de l’avenir et pas seulement du présent. C’est Hans Jonas qui, en 1979, dans son ouvrage « Le principe responsabilité » à mis en avant cette nouveauté selon lui radicale : la morale ne doit pas seulement nous obliger pour le présent, mais aussi pour l’avenir. Respecter les autres comme le commande la morale kantienne ce n’est pas seulement valable pour ceux avec qui nous sommes en relation aujourd’hui, mais aussi par rapport à ceux qui vivront demain. Nous sommes donc responsables des hommes et de la nature de demain, dans la mesure où leur vie sera impactée par notre comportement actuel. 

Mais cette responsabilité est plus théorique que pratique : comment savoir ce qui sera déterminant pour les générations à venir ? Les terres rares dont nous faisons une forte consommation manqueront-elles à nos petits enfants ? N’auront-ils pas trouvé un autre moyen de faire tourner leurs ordinateurs quantiques ?

Bref : « Sommes-nous responsables de l’avenir ? » - Voilà un sujet fort intéressant auquel nos candidats bacheliers ont échappé hier.

mardi 14 juin 2022

Un charter pour le Rwanda – Chronique du 15 juin

Bonjour-bonjour

 

Vous êtes iranien, irakien, Syrien ou encore Albanais ; vous venez d’arriver en Grande-Bretagne et – quoique sans-papier – vous souhaitez vous implanter dans ce pays. La police britannique arrive, vous appréhende et vous met de force dans un avion, destination le Rwanda. Là-bas, vous pourrez enfin faire votre demander l’asile – sympa non ?

Rassurez-vous : on ne demandera pas aux réfugiés de financer le voyage, mais peut-être d’accepter de travailler sur les chantiers rwandais à leur arrivée : il faut bien mériter ce bel accueil.

La Cour européenne des droits de l’homme a empêché cet avion de décoller estimant qu’on n’était pas assuré que ces réfugiés auraient un traitement équitable à leur arrivée : ce n’est pas que ce projet soit en soi illégal, mais il reste à vérifier qu’il soit appliqué correctement.

 

 

En fait, la question que se posent les autorités britanniques est celle-ci : ce dispositif est-il rentable ? Autrement dit quand on compare ce que coute un réfugié quand il reste en Angleterre et ce qu’il coute quand il faut l’envoyer au Rwanda, la balance est-elle positive ?

- L’opinion publique en Angleterre est partagée : si les conservateurs sont favorables à ce projet qui doit selon eux tarir l’arrivée des clandestins sur le sol britannique, les autorités morales se déclarent révoltées par un tel dispositif : 

            - Justin Welby, l'archevêque de Canterbury et chef de l'Église d'Angleterre, souligne que "le principe doit résister au jugement de Dieu, et il ne le peut pas".

            - Le Conseil des réfugiés a déclaré qu'il était "consterné par la décision cruelle et méchante du gouvernement".

            - Le Prince Charles qualifie d'"épouvantable" le fait d'envoyer des migrants par avion au Rwanda.

En revanche au Rwanda on ne tarit pas d’éloges pour cet accord : « la porte-parole du gouvernement rwandais, Yolande Makolo affirme que cet accord constituait une « solution à un système d’asile mondial défaillant » ajoutant même : « Nous ne pensons pas qu’il soit immoral d’offrir un chez-soi aux gens » (Lire ici)

 o-o-o

Et nous ? Oui, nous – qui sommes-nous pour faire honte aux britanniques, alors que du temps de monsieur Pasqua on avait affrété des « charters pour le Mali » ?

 


 Vu ici

On dira qu’il y a prescription puisque c’était il y a maintenant plus de 35 ans.

Et puis certains ne manqueront pas d'observer qu'à l'époque on renvoyait ces réfugiés chez eux, alors que le Rwanda ça fait loin de l’Albanie…