dimanche 5 juin 2022

Comme le nez au milieu de la figure – Chronique du 6 juin

Bonjour-bonjour

 

On achète Libé parfois uniquement pour sa « Une » qui résume parfaitement un évènement. Tel celui-ci: 

 

On a caricaturé certains hommes politiques avec un nez qui s’alonge exagérément, faisant penser à celui de Pinocchio : ces sont des menteurs disent ces dessins, et ils cherchent à le cacher, jusqu’à ce qu’ils soient trahis par l’évidence : à leur grande honte leur mensonge se voit alors comme le nez au milieu de la figure

Mais depuis Pinocchio les choses ont bien changé : nous n’avons plus de menteurs honteux, prêts à se repentir en cas de démenti, mais des politiciens orgueilleux qui accusent les autres d’être eux-mêmes des propagateurs de « fake-news ». On a même à présent des théoriciens qui expliquent que la post-vérité est supérieure à la vérité dans la mesure où les faits objectifs sont moins importants que « les facteurs qui modèlent les émotions et les opinions personnelles » (lu ici).

 

- Rappelez-vous : nous sommes en 1972 et des journalistes américains publient des documents secrets du Pentagone montrant la vérité sur la guerre du Viêt-Nam et les manœuvres du pouvoir cherchant à la cacher au public. A l’époque le scandale fut grand, au point qu’Hannah Arendt en tira un livre toujours lu et admiré (1) 

- On croyait à l’époque des « Pentagon papers » que le mensonge devait être caché, qu’il n’avait d’effet que si on pouvait croire et en l’objectivité de son contenu, et en la fiabilité de celui qui le portait. On se souvient du désarroi des citoyens quand, peu de temps après, ils ont su que Nixon leur avait menti à propos du Watergate (le surnom de « Tricky Dicky » lui survécut même). 


Mais nous voilà 50 ans plus tard et la présidence Trump nous a montré que les mensonges les plus éhontés avaient plus de poids que la vérité, au point qu’aujourd’hui on ne distingue même plus entre la communication gouvernementale et la propagande des pays soumis à un tyran.

C’est que la vérité apparait parfois aujourd’hui comme quelque chose de déplaisant : au lieu de l’aimer de façon inconditionnelle, nous souhaitons que le monde soit à l’image de notre désir, et nous la haïssons lorsqu’elle vient briser nos rêves. Celui qui saura nous dire que le monde est bien à l’image de nos chimères n’aura pas de souci à se faire : on trouvera même son nez tout à fait élégant.

o-o-o

On cite parfois Nietzsche sans véritable raison : ici pourtant c’est à lui que revient le mérite d’avoir posé la question : « Pourquoi sommes-nous si désireux de connaitre la vérité ? ». Selon lui, la vérité n’a aucune supériorité par rapports aux autres opinions, et seule sa sécurisante stabilité explique qu’on la recherche. Mais qu’on montre que sa force ne dépend que de l’autorité de celui qui la porte ; et que de plus elle soit mise en concurrence avec les rêves qui nous réconfortent – et la voilà par terre.

Dans 10 jours, c'est l'épreuve de philo du bac.

Parmi les sujets possibles, on pourrait trouver celui-ci : 

« Peut-on préférer l'illusion qui réconforte à la vérité qui dérange? »

--> Je ramasse les copies dans 4 heurs.

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(1) « Du mensonge à la violence » (Agora)

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