Bonjour-bonjour
Vous vous rappelez de Hattie Mc Daniel ? Cette célèbre actrice noire qui interpréta le rôle de « Mama » dans le film Autant en emporte le vent et qui fut oscarisée pour cela ?
À sa sortie en 1940 le film rendit manifeste la ségrégation raciale dont les noirs étaient victimes : « Hattie McDaniel n'a pas pu assister à la première de « Autant en emporte le vent » à Atlanta parce qu'elle se tenait dans un théâtre réservé aux Blancs. Lors de la cérémonie des Oscars à Los Angeles, elle s'est assise à une table séparée sur le côté de la salle ; l'hôtel Ambassador où se tenait la cérémonie était réservé aux Blancs, mais lui a fait la faveur d’y assister. » peut-on lire dans l’article que Wiki lui a consacré. Mais plus tard, lors de sa mort en 1952, l’apartheid existait bel et bien encore : « Lorsqu'elle mourut en 1952, son dernier souhait - être enterrée dans le cimetière d'Hollywood - fut refusé parce que le cimetière était réservé aux seuls blancs ».
On voudrait croire que ce rappel n’a d’intérêt qu’historique et que les États-Unis ont tourné la page ; que les suprématistes venus au premier plan grâce au Président Trump ne sont qu’une minorité insignifiante. Avec le temps, on voudrait croire que les symptômes de l’esclavage ont disparu et que si les noirs restent plus pauvres que les blancs, cette inégalité tend à disparaitre. Oui, on voudrait le croire…
Mais en fait, ce en quoi nous croyons, c’est qu’il est normal que, par nature, des communautés restent en bas de l’échelle sociale, loin, très loin derrière les classes moyennes. Si l'existence de cette idée était avérée, ne constituerait-elle pas une survivance de l’esclavage (ou du colonialisme) ? S’il est juste que certains soient plus pauvres que d’autres ; s’il est normal qu’on leur refuse d’habiter dans les mêmes quartiers que les nôtres ; si leur nom suffit à les disqualifier pour être embauchés : ne leur attribue-t-on pas d'une certaine façon le même statut qu’aux esclaves d’autrefois ? Pour que tout cela soit compatible avec la justice, ne faut-il pas les regarder comme étant radicalement différents de nous ?
- En effet, avant même que s’instaure l’idée d’égalité, c’est la représentation d’une identité avec autrui qui doit exister. Comment comparer la condition des autres à la mienne s’ils sont radicalement différents – je veux dire si on ne peut pas « faire société » avec eux ? La ségrégation raciale est la conséquence de cette situation et si la notion de race est désormais rejetée, l’ostracisme qu’elle entrainait se porte quant à lui très bien.
Si l’on analyse l’esclavage en le réduisant à ses facteurs communs dans ses différents manifestations historiques ou géographiques, on voit qu’il ne consiste pas essentiellement dans le rejet de l’esclave hors de l’humanité, ni en la privation de sa liberté, mais dans le déni de son existence sociale. L’esclave ne peut pas faire partie de la société des hommes libres, parce que toutes les attaches qui unissent ceux-ci ne les concernent pas. Comme le montre Aurélia Michel dans son récent livre (1), l’esclave ne dépend que de son maitre, nulle loi commune ne le concerne, et le célèbre Code noir de Colbert a été créé pour mettre quelques règles là où il ne pouvait exister aucune loi.
Et nous ? Nous qui avons fait la révolution pour mettre en œuvre les valeurs républicaines qui font encore aujourd’hui partie du préambule de notre constitution : nul déni de justice, nul refus de faire société avec l’ensemble de nos concitoyens (et pour nous, fils des Lumières, tout homme n’est-il pas notre concitoyen ?) ne pourrait plus exister chez nous ?
Mais si ce déni commençait avec la tolérance des quartiers ghetto des banlieues que nous avons désertées ? Si notre indulgence vis-à-vis des contrôles au faciès ou des sélections d’embauche au patronyme avait quelque chose à voir avec cette idée que – vraiment nous ne vivons pas dans le même monde ?
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(1) Aurélia Michel – Un monde en nègre et blanc - Enquête historique sur l'ordre racial. Édité en Point Seuil ; en ebook ici
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