jeudi 18 février 2021

L’esprit et la lettre – Chronique du 19 février

Bonjour-bonjour

 

Nous lisons un article publié originellement par le site vice (traduit ici) : « Nous sommes à Beverly Hills en Californie. Alors que le militant filme en direct sa discussion avec un policier, ce dernier demande combien de personnes regardent le live, puis sort son téléphone et lance le morceau Santeria, du groupe de musique californien Sublime. L’homme, identifié comme étant le sergent Bill Fair, “augmente le volume” et “reste silencieux pendant près d’une minute” tandis que la musique se poursuit. » relate le site vice.



Alors, les policiers tentent-ils de désamorcer la contestation par la diffusion de musique supposée sinon adoucir les mœurs, du moins détourner l’attention contestatrice vers des horizons musicaux ? Bien sûr que non : « pour éviter d’être filmés, des policiers américains diffusent de la musique sous copyright. C’est tout simple et il semble qu’il s’agisse d’une tactique délibérée (bien que malavisée) pour éviter de se faire filmer en s’appuyant sur la protection des droits d’auteur en vigueur sur les réseaux sociaux. » poursuit notre informateur.

 

- C’est peut-être une violation de la liberté d’expression, mais elle est conforme à la loi, en l’occurrence la loi sur les copyrights. Peut-on faire condamner cet usage de la loi sur les droits d’auteurs manifestement détournée de son but ? Non, car la loi en question ne comporte pas ce genre d’exclusion : il faudrait donc, avant de pouvoir condamner, la réécrire. Cet usage de la loi, même pervers, n’en est pas moins très courant, parce que la loi, tout en étant générale ne peut prévoir tous les cas possibles existant dans la réalité.

Tel était déjà au 4ème siècle av. J-C l’avis d’Aristote (dans l’Ethique à Nicomaque, ch. 5, § 14) : « L’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale. La raison en est que la loi est toujours quelque chose de général, et qu’il y a des cas d’espèce pour lesquels il n’est pas possible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude. (…) Quand, par suite, la loi pose une règle générale, et que là-dessus survient un cas en dehors de la règle générale, on est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplification, de corriger l’omission et de se faire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment, et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question. » Aristote, Éthique à Nicomaque V, 14

Bref, la jurisprudence est une nécessité liée au décalage entre l’universel, qui n’existe pas en dehors de la sphère des idées et le réel toujours irrégulier et changeant. C’est l’infériorité de notre monde par rapport au monde idéal qui explique la nécessité d’adapter en permanence la loi au réel. Et donc de distinguer l’esprit de la loi et sa lettre.

La notion moderne de "faille de sécurité" servait déjà au 4ème siècle av. j-c à rendre compte des contournements possibles de la loi.

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