samedi 6 juin 2020

Scarlett Johansson, même à poil elle est mystérieuse – Chronique du 7 juin

(Il y a quelques jours nous comparions ici-même le masque chirurgical et le lou de carnaval : l’un cachant le haut du visage, l’autre le bas. Quelle différence ? Que peut-on cacher avec ces masques ? Et plus généralement que cachent les vêtements qui se révèlerait en les enlevant ?) 

Bonjour-bonjour

« Scarlett Johansson, même poil elle est mystérieuse » On me permettra cette citation de Virginie Despentes (Vernon Subutex), car étant de longue date un fan absolu de Scarlett Johansson, je suis capable de confirmer la puissance de l’étrange mystère que dégage de son visage.




Mais d’abord, pourquoi le cinéma s’obstine-t-il à dénuder les vedettes féminines devant la caméra ? S’agit-il seulement de stimuler les entrées, en promettant aux messieurs une occasion de se rincer l’œil et de stimuler leur libido ? On rappellera la scène-culte de Bardot-Piccoli dans le Mépris (« Et mes fesses… ? ») qui aurait été rajoutée par Godard alors que le film était terminé parce que le producteur se désolait qu’on n’y voie pas la star nue comme chacun s’y attendait. 
Du cul – et c’est tout ? 
Le philosophe se cabre : la nudité est un état sur lequel on ne s’interroge pas assez ; que révèle-t-elle ? Suppose-t-elle un état (être sans vêtements) ou une situation (présence ou non d’autrui) ? Et donc : existe-t-elle lorsqu’on est seul ? Ou faut-il pour la révéler un regard étranger ? Bref – que nous montre le corps « à poil » de Scarlett Johansson et que nous cache-t-il ?
Ce corps que l’on suppose nu est l’objet du désir érotique, ou du dégoût devant cette animalité, ou encore appelle un regard anatomique, etc. Dans tous les cas il est le corrélat d’un désir, d’une attente ; le corps est quelque chose qui se livre après coup et dans ces limites.
Maintenant, songeons aux analyses de Levinas : il y a quelque chose dans la perception de l’autre qui apparait avant toute attente, comme un surgissement qui nous interpelle : c’est son visage et plus particulièrement son regard. 
« Le visage n'est pas l'assemblage d'un nez, d'un front, d'yeux, etc., il est tout cela certes, mais il prend la signification d'un visage par la dimension nouvelle qu'il ouvre dans la perception d'un être. Par le visage, l'être n'est pas seulement enfermé dans sa forme et offert à la main — il est ouvert, s'installe en profondeur et, dans cette ouverture, se présente en quelque manière personnellement. Le visage est un mode irréductible selon lequel l'être peut se présenter dans son identité » écrit Levinas.
Le corps qui se révèle après le désir, qui se construit détail après détail en fonction de nos pulsions, c’est un objet que nous posons comme tel parce que nous sommes le sujet qui le construit. En revanche le visage qui surgit et qui nous interpelle, qui ne saurait se réduire à des détails juxtaposés (tels yeux de telle couleur, tel nez de telle forme, telle bouche grande/petite…), c’est un sujet qui s’ouvre à nous qui sommes également sujet. 
Tel est le mystère du regard sur autrui, et si la nudité y change quelque chose, c’est qu’elle nous le fait oublier. Disons-le brutalement : les messieurs vont mater le cul des dames et du coup ils ne verront plus le mystère de leur visage.
Mais alors… Mais alors ?... Le voile islamique, qui cache tout le reste sauf cela, serait donc moralement justifié ?

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