jeudi 16 octobre 2025

Le plaisir du texte – Chronique du 17 octobre

Bonjour-bonjour

 

Écoutez un peu cette question : « Si l’on vous demande de contempler les livres trônant dans votre bibliothèque, combien en avez-vous lu ? Pas seulement l’incipit, le prologue ou le premier chapitre, mais l’ouvrage dans son intégralité. »

Et puis celle-ci : « Et, au contraire, combien attendent sagement, parfois depuis des mois, voire des années, d’être ouverts pour devenir votre prochaine lecture ? »

Et maintenant le moment de sincérité : « Si le chiffre de cette dernière réponse dépasse celui de la première, alors vous êtes sans doute atteint de “tsundoku“ ».

« Tsundoku » : Ce terme japonais, traduit en français au XIXe siècle par « syndrome de la pile à lire », désigne une manie qui touche de très nombreux lecteurs : celle d’accumuler chez soi des livres sans jamais les lire. » (Lire ici)

 

 

Ce n’est pas la mienne – mais peu s’en faut

 

Vous l’aurez deviné, si je reprends cet article, c’est que je me sens un peu concerné. Ma bibliothèque est celle d’un prof de philo qui comporte classiquement deux parties : celle des livres théoriques, ouvrages fondamentaux ou Essais de tout genre ; ils sont là parce que lus et qu’ils sont des outils qu’on ressort périodiquement pour consultation, lors de travaux postérieurs à leur lecture. 

- Et puis il y a une autre partie comportant des livres, romans, récits et autres qu’on a lu durant nos loisirs, terme qui englobe les moments de délassements aussi bien que la recherche de bonheurs que la lecture réserve à ceux qui en ont le profit.

Et c’est là que règne cet arbitraire qui aboutit dans certains cas à cet entassement que les japonais appellent en effet « Tsundoku ». Pourtant on aurait tort d’en faire l’effet d’une manie, un peu comme le Complexe de Diogène (aussi appelée « syllogomanie » pour désigner la tendance à accumuler chez soi des objets – Voir ici). En revanche, si vous avez des livres à peine lus, qui ont été abandonnés en cours de lecture, des livres qui vous sont « tombés des mains », c’est plutôt parce que vous êtes animé du désir de jouir de vos lectures, de trouver en elles ce que Roland Barthes appelle « Le plaisir du texte ».

Et c’est dans ce livre que Barthes nous explique le pourquoi de ces abandons : bien sûr la lecture s’arrête là où le plaisir à disparu. « J’ai trouvé ça rasoir » dit-on : et on passe à autre chose. Mais plus essentiellement, cet abandon est inscrit dans la mécanique du « plaisir du texte » : le lecteur suit dans sa lecture la ligne de crète de la jouissance : lisant ces passages où éclot le bonheur ; survolant les pages – voire même les passant – dans les endroits où il disparait. Je dirais que les livres de Sade ont été écrits pour cela avec ces chapitres théoriques insérés entre les descriptions de débauche. Mais comment nier que le même mécanisme se retrouve dans la lecture d’ouvrages tels que la Recherche du temps perdu ? Les pages sublimes de la sonate de Vinteuil lues et relues alors que l’interminable souper chez la duchesse de Guermantes est seulement survolé ?

Il y aurait donc à côté de la paresse du lecteur qui ne renonce pourtant pas à montrer comme objet culturel flatteur une bibliothèque débordante de piles de livres, une autre logique, celle du plaisir du texte qui comporte toujours et partout un coefficient de jouissance attachée à la lecture.

Tout livre devrait être « érotique » - J’ose le terme : on me comprendra.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire