vendredi 24 novembre 2023

Éloge de la patine – Chronique du 25 novembre

Bonjour-bonjour

 

Le gouvernement met la pression sur les acheteurs compulsifs en cette période de « Black Friday » : il donne même une prime à ceux qui préfèrent payer une réparation au lieu de mettre à la poubelle leur grille-pain ou leur lave-vaisselle.

Mais cela ne concerne pas seulement ces appareils électro-ménagers : il y aussi les vêtements. La campagne vise la « fast-fashion » et ces jeunes qui vont « shopper » chez Zara tous les mois de nouvelles fringues pour être à la mode-du-jour.

Contre ces abus nocifs pour la planète, les autorités qui gèrent la consommation veulent revitaliser la filière réparation, y compris donc celle des couturières. C’est une solution, mais il y en a d’autres. Comme celle qu’inspire ce jean vendu tel quel chez Zara :

 


Mais, puisqu’il est si élégant de s’habiller comme si on sortait d’un squat, il est inutile d’acheter usé : laissons le temps faire son œuvre. Limitez même la réparation au minimum : votre chemise est élimée au col ? Faites-le retourner et le tour est joué. Votre pull est troué au coude ? Mettez-y une pièce de cuir.

 

- Reste que tout cela passe à côté de l’essentiel : il y a une élégance de l’usagé, une distinction du patiné qu’aucun vêtement neuf ne pourra avoir. Bien évidemment les vêtements neufs vendus déjà troués ne sont pas patinés ; ils sont vulgairement élimés, et ça se voit.

C’est qu’en vérité l’usure et la patine ne sont pas exactement la même chose : alors que la première est l’indice d’un dénuement social, la patine est un élément de distinction – et j’en veux pour preuve ces jugements trouvés sur le site des « Rhabilleurs » (ça ne s’invente pas). 

Écoutez plutôt : 

- Voici d’abord Yves Saint Laurent qui en connait un rayon en matière d’élégance : « Plus on porte mes vêtements, plus ils sont beaux » disait-il. La patine transforme le vêtement mais pas essentiellement par perte de substance, comme avec le veston élimé au col et aux poignets ; elle produit surtout ce changement d’aspect qui fait briller le tissu aux plis ou qui donne au vêtement la forme du corps de la personne qui le porte, comme la veste qui garde la forme du corps une fois déposée sur le cintre.

- Les Rhabilleurs poursuivent : « Certains aristocrates anglais avaient pour habitude dit-on de faire porter leurs habits neufs par leur valet, le temps d’en casser l’aspect lisse et immaculé. ». Pour mémoire Brummell (le célèbre dandy britannique) en faisait partie. 

- Conclusion des Rhabilleurs : « Avec l’usage, le tissu épouse la silhouette de celui qu’il habille. Il abandonne sa forme première, mécanisée, standardisée, et, pour peu qu’on lui en laisse le temps, va acquérir une seconde, presque humaine. C’est là une des clés de l’homme élégant, dans cette impression que ses vêtements lui vont, précisément, comme un gant. Comme une seconde peau » C.Q.F.D.

 

Il ne s’agit donc ni de faire semblant de porter des vêtements usés en achetant des jeans troués, ni de se soucier d’économie avec la seconde main, ni même de protéger vertueusement les ressources de la planète. Il faut comprendre qu’il y a une symbiose qui s’opère entre le vêtement et celui qui le porte, et qu’il faut du temps pour cela. Et que l’on ne remplacera pas du jour au lendemain le vieux veston, ni le chemisier de ses 20 ans.

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