lundi 16 novembre 2020

Voyage au pays de la Covid (1) – Chronique du 17 novembre

(De retour du pays de la covid et soucieux d’informer ceux qui voudraient savoir ce qui s’y passe sans avoir à y aller, voici quelques informations)

 

Bonjour-bonjour.

 

Une supposition : vous êtes hospitalisé dans un service où chaque jour risque d’être pour vous le dernier, mais où le personnel soignant impeccable dans son rôle de soutien moral (je l’atteste) s’efforce de détendre l’atmosphère. Exemple :

- (Le médecin): Que faisiez-vous du temps où vous travailliez, jeune homme ? (Cette épithète ridicule est un running-gag local)

- J’étais prof de philo.

Là en général la réaction est neutre, du genre « Oh… Je ne suis pas allé jusque-là » – et d’évoquer le parcours de formation avec la collègue. 

Le jour où c’est le médecin qui pose la question, sans doute animé du désir de vous secouer un peu, la répartie fuse :

- Et ça vous a servi à quelque chose ?

- Oui, sinon pourquoi croyez-vous que j’aurais fait de la philo ?

o-o-o

Cela fait en effet question, mais le philosophe n’est jamais pris au dépourvu tant qu’il peut aller taper dans le stock des œuvres philosophiques du passé. Je laisse de côté les innombrables consolation dont la philosophie traditionnelle regorge, pour aller à l’essentiel, je veux dire à la supplique pascalienne « Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies » (à lire ici). Et en effet, Pascal songe à une expérience qu’on est, entant que covidien qui cumule les co-morbidités, en situation de « vivre » – à savoir ce qui pourrait être le dernier instant de l’existence. La maladie est pour Pascal cette répétition générale avant le grand saut, là où il n’y a pas de marche arrière (1). Et pourquoi cette répétition ? Pour être sûr de ne partir avec aucune des imperfections qui font tâche sur l’âme du chrétien.

Et alors, pourquoi le covidien aurait-il besoin de cette répétition générale ? Oui, nous qui sommes des matérialistes à tout crin, nous sommes délivrés de l’angoisse de l’au-delà, alors qu’est-ce qu’on en a à faire d’un néant où toutes les vies s’annulent ? En quoi ce névrosé de Pascal peut-il nous indiquer l’horizon où porter notre regard ?

Eh bien c’est qu’à ce moment précis où l’ambulance vous emporte vers le service hospitalier qu’on suppose bientôt funèbre, on perçoit le chagrin et la tristesse des êtres qu’on aime le plus. C’est une expérience, si l’on veut, impossible à faire par l’imagination seule, où on se voit « le jour d’après ». Voilà vécues « pour de bon » les rêveries de certains enfants qui s’imaginent assistant à leur enterrement, uniquement pour le plaisir de voir les parents les pleurer. (2)

Bref, tout cela, comme l’indique Pascal, c’est intéressant à condition que ce ne soit qu’une forme d’expérimentation – car, comment tester sa propre mort sans mourir pour de bon ? Il faudrait avoir la plume de Jankélévitch pour raconter ça…

 

 

…Bon : je crains ne pas avoir du tout rempli mon contrat du jour qui aurait dû être de mettre de la légèreté et du sourire dans le regard de mes lecteurs, histoire de me faire pardonner les angoisses que j’ai pu susciter. Je tâcherai de ramener les sourires dans un prochain billet.

Alors, à demain, si vous voulez bien.  

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(1) Ne pas oublier qu’au 17ème siècle une belle mort ne peut survenir qu’après une longue agonie.

(2) Mais n’oublions pas que la tradition littéraire nous a conservé ce thème avec « Volpone », la comédie de Ben Jonson.

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