Bonjour-bonjour
Vient de paraître "Les lois de Michel Audiard, Liberté, Fraternité, Égalité", de Fabrice Defferrard, professeur de droit à l’université de notre bonne ville de Reims. (Compte rendu ici)
Dans cet ouvrage, l’auteur décrypte les répliques cultes du scénariste pour nous donner sa vision de la politique, de la justice, de l'humanité … et des cons. On y découvre à travers ses phrases cultes, glanées dans les films auxquels il a collaboré de 1949 à 1985, date de sa mort, quelques-unes de ses orientations politiques, morales, ou plus vaguement humaines.
L’auteur de ce livre cite des extraits des dialogues où Michel Audiard exprime sa méfiance vis-à-vis du pouvoir, et plus généralement son mépris des puissants : quelles « saloperies » ont-ils dû commettre pour en arriver là ? Occasion de distinguer entre les médiocres restés au bas de l’échelle et les salauds qui ont su y grimper. Face à ce dégoût, ne reste que l’amitié, formule qui fait appel à la solidarité entre amis qui se sont cooptés ; ici pas de lois mais de la camaraderie – ce qui suppose bien sûr qu’on ait affaire à des hommes et des femmes qui soient plus proche des anges que des démons.
J’en reste là, car paraphraser ce livre me parait une entreprise sans valeur ajoutée. Par contre on peut s’interroger sur le projet de ce livre qui cherche à découvrir une vision de l’homme et de la société au travers de ces répliques dont chacun a fini par se souvenir comme on se souvient de vieilles rengaines.
- On pourrait se méfier de cette tentative de décodage politique. Ces répliques sont des citations qui, coupées de tout contexte, peuvent dire à peu près tout ce que l’on veut, surtout si on en fait un montage de formules venues de dialogues complètement indépendants les uns des autres. Certes Michel Audiard est un auteur engagé, et on ne fera pas de lui un défenseur de l’Ordre ; mais entre anarchiste et père-peinard toutes les nuances peuvent y passer.
- Pourtant il reste qu’Audiard est un précurseur de ce qu’on appelle aujourd’hui la « communication politique » car elle lui emprunte la plupart de ses procédés. Ces phrases ont été écrites, certes, mais elles sont en réalité faites pour être dites : elles ont toujours le même rythme ; leur forme l’emporte sur leur contenu même si celui-ci doit faire choc ; en bref en elles la fonction « poétique » (pour parler comme Roman Jacobson (1)) est dominante. La réflexion politique est alors renvoyée aux oubliettes, seules demeurent les formules, sortes de slogans qu’on utilisera à la place de la pensée.
On comprend alors pour quelles raisons on peut donner une telle importance à Michel Audiard, dialoguiste pyromane, ou du moins pyrotechnicien. C’est qu’il invente le procédé qui triomphe aujourd’hui dans les tweets qui sont devenus moyen de communication privilégié en politique. Le principe est le suivant : ce qu’on veut dire doit l’être dans des formules très fortes et sans nuances ; et pour cela la brièveté est essentielle.
280 signes pas un de plus.
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(1) Avec la Fonction poétique (selon Roman Jacobson) la forme du texte devient l'essentiel du message. Alors l’émetteur du message peut avoir la volonté de soigner particulièrement l’esthétique de sa signification et on sait que cette fonction ne touche pas seulement la poésie, mais aussi les proverbes, les jeux de mots, les slogans... (Lire ici)
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