mardi 11 mai 2021

Devrions-nous renoncer à la lucidité ? – Chronique du 12 mai 2021

Bonjour-bonjour

 

Heureux les animaux qui broutent paisiblement à deux pas de l’abattoir – mais ce bonheur n’est pas pour nous.

Si l’insouciance est la condition du bonheur alors admettons que l’homme moderne n’est pas armé pour être heureux : plus il sait moins, il espère. Telle est la leçon des moments que nous vivons si nous raccordons le souci des pandémies futures à celui de l’inexorable extinction des formes de la vie actuelle. « Celui qui augmente sa science augmente sa douleur » dit avec raison l’Ecclésiaste (1:18).

On voudrait croire que la science dans laquelle nous avons depuis plusieurs siècles placé tous nos espoirs va quand même nous apporter la solution pour continuer à vivre comme avant. Mais la science nous répond : « Oui, on peut inverser le cours des choses, mais à condition de renoncer à ce qui fait votre bonheur : plus de nuits à transpirer sur les dance-floors serrés les uns contre les autres ; plus de voitures qui font vroum-vroum. » Tâchez donc de vivre heureux après avoir entendu le professeur Delfraissy nous promettre, pour notre éventuel retour aux joies de la « vie d’avant », la maladie et la mort ; ou encore, après avoir écouté un climatologue tel que Jean Jouzel nous révélant que l’apocalypse est tout juste pour demain si nous continuons à vivre au dépend de la planète.

Tout se passe comme si la prévoyance ne pouvait nous faire connaitre rien d’heureux, parce que nous voulons à la fois le bonheur dans la jouissance et dans la consommation tout en ayant la sécurité de l’avenir, alors qu’on sait maintenant qu’il nous faudra choisir entre les deux.

- Oui, c’est bien cela : pour être heureux il faut être insouciant. Voyez les jeunes : se soucient-ils de l’avenir quand ils font la teuf’ malgré la covid ? Les vieux ronchonnent : « Ces jeunes sont insouciants parce qu’ils sont imprévoyants. Oui, mais : ce n’est pas parce qu’ils ne savent pas ce qui va leur arriver que ça n’arrivera pas. » Faut-il renoncer à la lucidité sous prétexte de vivre heureux ?

Lorsqu’une catastrophe arrive qui est le mieux armé pour la subir :  l’homme prévoyant qui s’est longtemps usé à l’imaginer ou l’insouciant qui avait vécu bien tranquille comme si les jours heureux ne devaient jamais finir ?

« L'homme insoucieux, l'imprévoyant, est moins accablé et démonté par l'événement catastrophique que le prévoyant.

Pour l'imprévoyant, le minimum d'imprévu. - Quoi d'imprévu pour qui n'a rien prévu ? » - Paul Valéry / Tel Quel

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