samedi 6 avril 2024

Polir le hérisson – chronique du 7 avril

Bonjour-bonjour

 

Lu ce matin dans la presse : l'humoriste et acteur Panayotis Pascot a comparé sa relation avec son père au "dilemme du hérisson" raconté par Schopenhauer (1).

Petit rappel : La fable du hérisson - Dès sa naissance, le hérisson se retrouve face à un épineux dilemme : se rapprocher de ses congénères les jours de grands froids pour se maintenir au chaud ou s'en écarter pour ne pas risquer de se faire piquer et succomber à une hémorragie. L’humoriste cité imagine la relation à son père selon cette histoire : « Mon père, quand je suis trop près, il me pique. Quand je suis trop loin, j'ai froid. Il faut que je trouve la bonne distance ».

On lira ci-dessous (note 1) le texte de Schopenhauer, qui, comme on le voit trouve une solution à ce dilemme dans le contrôle des rapports avec les proches, la famille ou les amis. C’est aussi ce que propose Sophie Galabru (philosophe et autrice de Faire famille) : « S'éloigner, prendre le large, pour se préserver des comportements toxiques et "trouver la bonne distance dans sa famille, de s'aimer à la juste place et à la bonne hauteur (…) Élaborer une philosophie des liens. »

 

- Je poserai une question : lorsque la situation du hérisson est inéluctable (« Il n'y a pas de moyen pour polir le hérisson » disait Aristophane), peut-on prôner comme Schopenhauer, ou comme ces commentateurs actuels, le contrôle des relations avec les proches ? Si c’est effectivement la solution lorsqu’il s’agit des relations sociales qui n’impliquent pas d’affectivité, bien sûr c’est la bonne attitude. Devant les personnes avec qui on collabore à un même projet, on évite de s’investir affectivement, et on se tient prudemment à une distance proportionnelle à leur toxicité. 

Seulement lorsqu’il s’agit de relations qui sont aussi affectives, comment croire qu’on peut opérer un tel calcul ? Comme imaginer même qu’on le souhaite ?  « Chérie, je t’aime, amour de ma vie. Seulement comme je ne veux pas souffrir au cas où tu viendrais à me décevoir, je préfère garder certaines distance avec toi : ne partageons pas la même maison, gardons nos habitudes de sorties séparées avec nos amis personnels, allons au cinéma l’un sans l’autre au cas où le plaisir ne serait pas partagé. »

Vous y croyez, vous, à un amour – ou même à une amitié – enfermés dans des frontières aussi étanches ? Oui ? 

Bon, peut-être… Maximiser le plaisir, minimiser les peines : c’est la prudence même. Mais n’est-ce pas une vie de comptable qui gère les plaisirs et les peines en fonction du bénéfice escompté. Imaginez ce que quelqu’un comme Nietzsche aurait dit de cela ?

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(1) Repris de Schopenhauer (dans les Parerga et paralipomena) : 

« Un été, une famille de hérissons, vint s’installer dans la forêt. Il faisait beau, chaud, et toute la journée les hérissons s’amusaient sous les arbres.

Ils batifolaient dans les champs, aux abords de la forêt, jouaient à cache-cache entre les fleurs, attrapaient des mouches pour se nourrir, et la nuit, ils s’endormaient sur la mousse, tout près des terriers.

Un jour, ils virent tomber une feuille d’un arbre : c’était l’automne.

Ils jouèrent à courir derrière les feuilles, qui tombaient de plus en plus nombreuses, et comme les nuits étaient un peu fraîches, ils dormaient sous les feuilles mortes.

Or il se mit à faire de plus en plus froid, dans la rivière, parfois, on trouvait des glaçons.

La neige avait recouvert les feuilles, les hérissons grelottaient toute la journée et la nuit, tant ils avaient froid, ils ne pouvaient fermer l’œil.

Aussi, un soir, ils décidèrent de se serrer les uns contre les autres pour se réchauffer, mais s’enfuirent aussitôt aux quatre coins de la forêt : avec leurs piquants, ils s’étaient blessé le nez et les pattes.

Timidement, ils se rapprochèrent, mais encore une fois, ils se piquèrent le museau, et chaque fois qu’ils couraient les uns vers les autres, c’était la même chose. 

Pourtant, il fallait trouver absolument comment se rapprocher : les oiseaux les uns contre les autres se tenaient chaud, les lapins, les taupes, tous les animaux aussi.

Alors, tout doucement, petit à petit, soir après soir, pour avoir chaud, mais pour ne pas se blesser, ils s’approchèrent les uns des autres, ils abaissèrent leurs piquants, et avec mille précautions, ils trouvèrent enfin la bonne distance.

Et le vent qui soufflait, ne leur faisait plus mal, ils pouvaient dormir, bien au chaud, tous ensemble….. »

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