Bonjour-bonjour
Il y a des combats qu’il faut sans cesse mener : ainsi du combat pour le triomphe et la diffusion des Lumières – celles de la raison qui assure la liberté et l’indépendance de la pensée. On croirait que ce combat doive être livré sur un seul front, celui du mensonge et des « fakenews » -- en américain comme si nous autres français n’étions pas concernés….
- Hé bien, pas du tout. Nous avons à lutter contre l’invasion des « chabots » (= robots conversationnels alimentés par une IA générative) qui fabriquent sur mesure de la « pensée » qui vient se substituer à notre propre pensée. D’où l’affaissement des connaissances chez les étudiants ; d’où le remplacement de certains employés par des machines.
Or, prétendre penser ainsi à notre place c’est frapper au cœur l'émancipation apportée par les Lumières, ainsi que Kant l’a très bien dit, dans un bref essai intitulé Qu’est-ce que les Lumières ?
Lisons les premières lignes du texte : « Qu'est-ce que les Lumières ? La sortie de l'homme de sa Minorité, dont il est lui-même responsable. Minorité, c'est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l'entendement, mais dans un manque de décision et de courage de s'en servir sans la direction d'autrui. Sapere aude (=ose savoir) ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des lumières. »
Cette leçon est donc une leçon de morale : il faut mobiliser sa volonté pour développer notre entendement par l’exercice et l’apprentissage. Mais en quoi consiste exactement cette carence qui fait de nous des petits enfants alors que nous pouvons – et devons – nous comporter en adultes reponsables ?
« Si j'ai un livre /poursuit Kant/, qui me tient lieu d'entendement, un directeur, qui me tient lieu de conscience, un médecin, qui décide pour moi de mon régime, etc..., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. »
Remplacer une pensée personnelle, un savoir acquis par l’effort consistant non seulement à le rechercher, mais à refaire le cheminement qui l’a édifié, par une donnée fournie, « clés en main » qu’il n’y a plus qu’à recopier : tel est le service que recherchent ces paresseux. Et c’est là qu’on retrouve ChatGPT. Car invariablement le-dit « chat » termine son exposé par cette formule « Souhaites-tu que je t’en fasse une version rédigée complète, comme un petit exposé de 2 à 3 pages (avec transitions et style fluide, prêt à présenter ou à remettre) ? » C’est une invitation à « pomper » un exercice d’apprentissage sans même avoir à se donner le mal de comprendre ce que contient la fiche fournie en vue d’un exposé.
On a compris – et nous sommes restés dans la trajectoire de Kant qui conclue ce passage : « Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c'est une chose pénible, c'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction sur l'humanité. »
Un dernier point : on a cru naïvement que la domination des machines sur l’homme serait machinée par des dictateurs machiavéliques. Il n’en est rien : ces « tuteurs » dont parle Kant n’ont pas à se donner du mal pour nous maintenir dans cet état de sujétion. Il suffit qu’ils nous fournissent une bonne connexion, et le plaisir de la paresse et de la lâcheté (pour parler comme Kant) suffiront à faire de nous des animaux de troupeaux.

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