Bonjour-bonjour
Notre époque véhicule encore de vieilles croyances, en particulier celle de la productivité, qui veut que faire plus est signe de progrès. Plus de voiture, plus de touristes, plus de foie gras, plus de milliardaires…
- Stop, réfléchissons d’abord. Rappelons d’abord la formule de Paul Ricoeur : « Le progrès, c’est un plus qui est aussi un mieux ». Renvoyant ainsi l’évaluation au contexte culturel, aux pratiques sociales et historiques, il supprime l’essentialisation du progrès : rien n’est un progrès par nature, mais seulement par relation à l’usage qui en est fait. (En annexe le texte en question)
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- Prenons un exemple : la multiplication des écrans numériques publicitaires dans les gares.
Je vous laisserai lire l’article expliquant pourquoi cette multiplication liée à des accords entre la SNCF et les annonceurs a été jugé profitable par les deux partenaires. Je m’en tiendrai à l’explication (scientifique) de la raison pour laquelle nous sommes plus particulièrement sensibles aux publicités affichées sur écran.
Et ce n’est pas sans raison :
- outre leurs souplesse d’emploi commandé instantanément par un clic de souris, les écrans ont un autre avantage :
- ils démultiplient les annonceurs avec des messages en rotation toutes les 6 secondes,
- mais ce n’est pas tout : un écran numérique est 4,5 fois plus regardé que sa part d’espace dans l’environnement.
- et il se trouve que notre cerveau est sollicité plus efficacement par les écrans qui nous présentent des images-mouvement : « Nous recevons un choc de dopamine quand nous percevons une information qui peut nous être utile. C’est un instinct, notre cerveau est fait pour être attiré par des images en mouvement. » ( à lire dans l’article cité)
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Pour en revenir à la question du progrès demandons-nous si ces écrans ne sont pas un réel progrès ?
On dénonce alors le fait qu’un écran LCD de 2 m² consomme autant d’électricité qu’un Français moyen, ce qui situe son impact total à 245 kg de CO2 émis par année d’utilisation, soit l’équivalent d’un vol aller Paris-Berlin pour un passager. Et tout cela pour transformer les gares en des centres commerciaux où l’intérêt général est sacrifié au profit de logiques purement mercantiles.
Après, nous dirons que le « mieux » des uns n’est pas forcément celui des autres.
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Annexe :
« Le thème du progrès ne se constitue que si on décide de ne retenir de l’histoire que ce qui peut être considéré comme l’accumulation d’un acquis. [...] Ce trait [de l’histoire] c’est celui qui permet justement de l’appeler progrès et non pas seulement évolution, changement ou même croissance affirmer que cette croissance d’outils, de savoir et de conscience est un progrès, c’est dire que ce plus est un mieux ; c’est donc attribuer une valeur à l’histoire. [...] Il semble donc que la valeur qui se révèle, dès ce niveau, c’est la conviction que l’homme accomplit sa destination par cette aventure technique, intellectuelle, culturelle, spirituelle, oui, que l’homme est dans sa ligne de créature, quand, rompant avec la répétition de la nature, il se fait histoire, intégrant la nature même à son histoire, poursuivant une vaste entreprise d’humanisation de la nature. Il ne serait pas difficile de montrer avec détail comment le progrès technique, au sens le plus étroit et le plus matériel, réalise cette destination de l’homme : c’est lui qui a permis de soulager la peine des travailleurs, multiplié les relations interhumaines et amorcé ce règne de l’homme sur toute la création. Et cela est bien. [...] [Pourtant] les discussions sur le progrès sont finalement assez stériles ; d’un côté on a tort de condamner l’évolution, mais de l’autre on n’a pas gagné grand-chose à en faire l’éloge. En effet cette même épopée collective qui a une valeur positive, si on considère en bloc le destin des hommes, la réalisation de l’espèce humaine, devient beaucoup plus ambiguë si on la rapporte à l’homme concret. A chaque époque ce que nous savons et ce que nous pouvons est à la fois chance et péril ; le même machinisme qui soulage la peine des hommes, qui multiplie les relations entre les hommes, qui atteste le règne de l’homme sur les choses, inaugure de nouveaux maux : le travail parcellaire, l’esclavage des usagers à l’égard des biens de civilisation, la guerre totale, l’injustice abstraite des grandes administrations, etc. On trouverait une même ambiguïté attachée à ce que nous appelions tout à, l’heure le progrès de connaissance ou de conscience. » P. RICOEUR - Histoire et vérité (p. 81-86) – 1955
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