jeudi 21 novembre 2024

Hercule en a un tout petit – Chronique du 22 novembre

Bonjour-bonjour

 

Tout au fond du parc du château de Vaux-le-Vicomte, en Seine-et-Marne, on peut admirer l’immense statue d’Hercule : silhouette athlétique, torse bombé, muscles saillants. Son corps est idéalisé, tout est bien proportionné sauf… son sexe qui est minuscule. 

 

Voici une des innombrables copies de cette statue intitulée « Hercule Farnèse » :

 


On y voit un Hercule fatigué s’appuyant sur sa massue. Dans sa main, cachée derrière son dos, les pommes du jardin des Hespérides. Il est doté d’une musculature impressionnante et … d’un micropénis.

Ce micropénis est-il une particularité anatomique propre à Hercule ? Non. Toutes les autres statues antiques sont au même régime pénien. Les grecs ont systématiquement doté leurs statues masculines d’organes virils plus petits que nature, façon de valoriser la tempérance sous le règne de la raison, par opposition au « gros sexe » des satyres qui sont supposés esclaves de leurs pulsions animales. (Lire ici)

 

 

Satyre ityphallique, 6ème siècle av. J-C

 

- Il y a une histoire des représentations du sexe masculin, avec au passage la phase de la censure totale quand les italiens ont affublé toutes les peintures de la Renaissance de feuilles de vignes. Par exemple avec le « Grand culottier » que fut Daniele Ricciarelli, un peintre et sculpteur italien de la Renaissance tardive. À la demande de Charles Borromée, il recouvrit les parties génitales des personnages du Jugement dernier de Michel-Ange par des « repeints de pudeur », ce qui lui fait gagner le surnom de Il Braghettone (littéralement : le « faiseur de culottes »).


Plus philosophiquement relevons ceci : l’opposition entre raison et passion chère aux philosophes antiques repose sur une hiérarchie des passions qui culmine avec la passion sexuelle. Il est donc manifeste que c’est la sexualité virile qui est directement opposée à la méditation philosophique, d’où la modestie de la taille du pénis supposée manifester la modération du désir copulatif.

Mais à ce compte les femmes auraient dû être considérées comme les mieux disposées pour user de leur raison, ce qui ne fut pas le cas.

Sans doute parce qu’à cette époque on estimait qu’elles ne possédaient pas de raison.

mercredi 20 novembre 2024

Ose penser ! – Chronique du 21 novembre

Bonjour-bonjour

 

Une émission de France culture aborde un phénomène largement méconnu : celui de l’incertitude devant l’avenir politique. Il faut dire que nous sommes envahis par des spécialistes qui ont la rhétorique nécessaire pour nous persuader qu’ils maitrisent la situation avec suffisamment de certitude pour en prédire l’évolution. Mais en réalité on reconnait les philosophes au fait qu’ils acceptent d’affronter l’incertitude où nous sommes devant cette évolution.

- Selon l’auteur de l’émission, le philosophe pensant l’avenir politique doit affronter l’incertitude de la pensée. Ainsi du philosophe Claude Lefort, qui s’oppose au surplomb des idées : "Il y a une distance (...), entre une philosophie politique de la raison, qui essayait de faire plier les événements aux catégories de la raison qu’ils avaient inventées par avance (...), et le travail de Lefort, c’est-à-dire qu’écrire à l’épreuve du politique, ça veut dire risquer constamment sa parole, l’engagement de sa parole, au contact d’événements qui ne cessent de nous déloger de nos certitudes politiques."

On retrouve cette exclamation de Kant (dans son article « Qu’est-ce que les lumières ») « Sapere aude ! », qu’on traduit par « Ose penser ! ». On songe assez platement qu’il s’agit simplement de dire qu’en mettant sa raison au service de sujets politiques on court de risque de déplaire au Prince. Certes – mais plus fortement, il s’agit aussi de sujets pour les quels on doit, en tant qu’individus prendre la responsabilité d’une conclusion que le recours à la raison ne suffit pas à confirmer. En démontrant un théorème je ne prends aucune responsabilité, parce que n'importe qui faisant la même démarche arriverait au même résultat. Mais en prévoyant l’évolution d’un régime précis, existant dans un pays donné, vers une démocratie ou au contraire vers le despotisme, je prends le risque de me tromper, erreur qu’on ne peut absolument éviter parce qu’aucun modèle ne vient diriger la pensée. Même la science n’échappe pas à cette incertitude : l’évolution du climat qui n’obéit pas tout à fait aux prévisions pâtit du fait qu’il n’y a pas d’autres planètes où les phénomènes climatiques de la Terre seraient testables.

J’aimerais aussi que cette incertitude devant l’avenir résulte simplement du fait que l’avenir n’est pas connaissable parce qu’il n’est pas encore écrit. 

Et si penser l’avenir c’était aussi (tenter de) le créer ? On sait bien que ça ne suffit pas, mais on voudrait quand même que ce soit un tout petit peu possible.

mardi 19 novembre 2024

Mon corps, mon choix – Chronique du 20 novembre (2)

Bonjour-bonjour

 

Les femmes ont pris pour slogan de leur indépendance par rapport aux hommes cette formule (« My body, my choice ») pour dire que tout ce qui concerne leur corps, comme la liberté de procréer ou de vivre là et comment elles le souhaitaient ne dépend que d’elles-mêmes. Leur corps est alors entièrement soumis à leur volonté exclusive, un peu comme un objet.

C’est cette définition comme objet, qui est pris par la justice comme donnant un statut au corps des femmes, excluant par ce fait qu’on attribue à celui-ci le statut d’une personnalité de droit. 

Dit comme cela ça peut paraître bizarre mais ne l’oublions pas : l’objet est toujours défini par rapport à un sujet qui en use à sa guise : le galet sur la plage n’est un objet que lorsqu’un promeneur, attiré par sa forme, le ramasse. Le corps d’une femme est un objet par rapport à une personne qui en fait un certain usage : alors que les femmes considèrent qu’elles sont les seules à exercer légitimement un pouvoir sur leur corps, les hommes le contestent avec leur slogan démarqué de celui des femmes : « Your body, my choice »

On sait que les femmes font de leur slogan « My body, my choice » le fer de lance de leur droit à l’avortement, l’embryon qu’elles portent étant considéré alors comme une excroissance de leur corps et non comme une personne déjà autonome – ce que contestent comme on le sait les « pro-life » qui affirment que le fœtus est dès le premier jour un enfant dont la vie est sacrée.

Depuis l’antiquité à nos jours, les femmes ont revendiqué le droit d'exercer sur leur corps un droit inaliénable d'en user comme elles le souhaitent. C’est ainsi que de nos jours certaines parties du corps sont modifiées à volonté : ainsi des nez réduits ou des seins grossis, de ces fesses plates rendues rebondies ou de la peau avachie retendue.

On croira peut-être qu’il s’agit-là de transformations qui n’existent que depuis peu. C’est vrai qu’on a aujourd’hui le bistouri agile. Mais rappelez-vous : les amazones qui se coupaient un sein qui les encombrait fort pour tirer à l’arc ;




... ou ces petits garçons qu’on castrait pour conserver à l’âge adulte leur voix cristalline d’enfant. Ils étaient supposés en droit de le faire à condition d'avoir un droit total sur eux-mêmes, c’est-à-dire sur une partie de leur corps investi d’un projet. En tant que sujet humain, j’ai le droit de faire ce que je veux de mon corps-objet

Kant dira qu’il est immoral de considérer qui que ce soit comme un objet : le garçon de café est bien un objet puisqu’il est là pour me servir ; mais il est interdit de ne le considérer que comme tel : d’où le respect que je lui dois. Mais ce même principe s'exerce par rapport à moi-même : je dois me respecter.

La philosophe en tire une interdiction de la masturbation parce que cela revient à considérer son propre corps à un certain moment uniquement comme un objet : ainsi je n’aurais pas le droit de m’amuser avec mon kiki parce qu'il ne serait qu'objet séparé de mon corps-organisme. C’est très bizarre…

Affaire Pierre Palmade : n’y a-t-il rien entre l’être humain et la chose ? – Chronique du 19 novembre (1)

Bonjour-bonjour

 

Il y a des cas où le droit français est en contradiction non seulement avec l’opinion commune mais aussi avec la religion ou encore certaines conceptions philosophiques.

Un exemple ? Dans le procès intenté à Pierre Palmade qui provoqua comme on s’en souvient des blessures très graves à une femme enceinte qui perdit alors son bébé, le parquet a requis une mise en cause pour « blessures involontaires » et non pour « homicide involontaire » ne considérant pas l’embryon porté par la femme comme un être humain.

C’est qu’en effet en droit français, le fœtus et l’embryon sont caractérisés par leur absence de personnalité juridique ; que ce soit dans les textes ou dans la jurisprudence, il n’est jamais question de personnalité juridique pour l’enfant à naître. Leur statut juridique est celui d’une « chose ». 

Bien sûr il y a des cas où l’enfant à naitre est considéré comme un enfant comme les autres (lire ici) ; mais il semble que ces cas n’entrent pas dans la situation du jour.

Certes, si l’embryon était jugé comme étant un être humain, doté d’une personnalité juridique, cela remettrait en cause l’IVG qui repose sur l’absence de statu humain de l’embryon, qu’on peut alors détruire sans commettre un infanticide.

 

- L’avocat de la partie civile refuse cette conclusion qui ne prend pas en considération la situation de cette femme. Selon cette réquisition, la mort de l’enfant in utero, n’est rien d’autre qu’une blessure, comme la perte d’un organe dont la disparition ne serait pas létale. Provoquer la mort d’un enfant à naitre est un non-évènement, moins que la mort d’un chien ou d’un chat qui auraient été victimes d’un tel accident.

Il semble que la voie autorisant la prise en compte de l’enfant à naitre pourrait quand même être plaidée puisque, comme nous l’avons dit, le Tribunal peut selon la jurisprudence accepter qu’un enfant, dès lors qu’il a été conçu, soit considéré comme un enfant réel, même s’il n’avait pu naitre pour de bon. Les conditions assez générales pour le faire ont été signalées plus haut : la principale étant que cette décision soit dans l’intérêt de l’enfant. On voit qu’ici cette précision serait capitale pour définir l‘incrimination dont Pierre Palmade doit répondre.

lundi 18 novembre 2024

Parlez-vous franglais ? – Chronique du 19 novembre

Bonjour-bonjour

 

Il fut un temps où on pointait l’invasion du français par les mots ou les tournures anglaises comme une grave faute à corriger au plus vite. René Étiemble, un universitaire défenseur de la langue française, avait même trouvé un vocable pour désigner ces incorrections : il s’agissait du « franglais », mot-valise qu’on identifie facilement. On avait aussi trouvé l’idée de nommer un sous-ministre chargé de faire respecter l’obligation de rédiger en français et non en « sabir nord atlantique » (Etiemble dixit) les billets d’information.

Cette volonté est bien oubliée aujourd’hui si l’on en croit le vocabulaire des joueurs du XV de France. Écoutez plutôt les discours faits au XV de France tenus samedi dernier par deux joueurs de l’équipe, Antoine Dupont et Gaël Fickou, qui se sont ainsi adressés à leurs camarade de jeu :

- Antoine Dupont à propos des All Blacks « Ils attaquent tous les rucks et ils nous ferment les extérieurs. - Ils nous splittent à chaque fois et on subit toutes les collisions. – Qu’on fasse les efforts de déplacements pour être bien en face et les catcher »

- Et Gaël Fickou d'insister : « Les deux qui sont dans le contact, ils fightent. Les autres, ne regardez pas le ruck, circulez s’il vous plait ! – Le seul problème, c’est du sprint autour des rucks, c’est pas en marchant ... Donc on sprinte à chaque fois autour des rucks »

 

Les progressistes font remarquer que les emprunts d’une langue à l’autre est un phénomène constant et que, s’agissant de l’anglais et du français, les emprunts au voisin sont constants et même plus nombreux du fait des anglais que des français. Mais le problème réside dans le degré d’intégration à la langue d’accueil. Ainsi quand Gaël Fickou demande à ses coéquipier de « sprinter » on n’a même plus conscience de l’origine anglo-saxonne du mot, parce qu’il est devenu un verbe conjugué avec le 1er groupe, de verbes, selon l’ordre voulu par notre propre grammaire. Mais il n’y a pas que cela : car « fighter », soumis à la même règle parait bien étranger et impénétrable au français du 21ème siècle.

Vient alors la difficulté qu’Étiemble avait combattue : les emprunts à la langue anglaise ne se transforment plus en mots de la langue courante parce qu’ils sont relayés par des médias qui en conservent la tournure originale. Alors qu’autrefois ces mots circulant de bouche à oreille dans une prononciation strictement française se déformaient rapidement, ceux qui apparaissent aujourd’hui vont garder leur allure exotique en raison du relai de la presse imprimée. C'est ainsi qu'on prononce « cleub » ce mot qu’on écrit toujours « club ». 

Il y a toutefois quelques exceptions, dues aux phonèmes anglais absents du français, comme le « the », transformé en "ze".

C'est également l'occasion de jeux sur les mots anglo-français comme avec l’amusant « of course » que San Antonio avait déformé en « œuf corse » qu’on prononce d’ailleurs souvent aujourd’hui sans y penser.

 

 

Mais cet oeuf corse n'est qu'une amusante exception : le problème avec le franglais, c’est qu’on prononce l’anglais trop bien. 

dimanche 17 novembre 2024

Le mercosur est-il un bon traité ? – Chronique du 18 novembre.

Bonjour-bonjour

 

Lisant le titre, chers amis, vous avez dû sursauter : quelle audace, quelle arrogance est la mienne pour prétendre me prononcer sur la valeur d’un traité que l’Europe négocie depuis 1999 ? A supposer que je n’aie fait que cela pendant les 25 dernières années, quel titre pourrais-je m’attribuer pour faire accepter mes conclusions ?

 

En fait, il s’agit plus modestement de réfléchir à la logique de tout traité : comment arriver à faire que chacun gagne tout en maintenant l’égalité entre les signataires ? Dans un traité, chacun accepte de faire des concessions sur certains points – donc de perdre – tout en enregistrant des gains sur d’autres – donc de gagner. Par exemple, nous accepterions de perdre la bataille de la concurrence sur la viande ou les céréales, à condition de gagner sur les exportations de voitures ou de machines-outils en Amérique du Sud.

Simple ? Pas tant que ça, parce que de chaque côté il y a des perdants et des gagnants mais que ce ne sont pas les mêmes qui perdent ou qui gagnent. Pour faire simple les agriculteurs sont en France et les fabricants de voiture en Allemagne. Bien sûr la synthèse de toutes les clauses se fait quand même au plus haut niveau : si les agriculteurs français demandent à voir comment ils peuvent être jugés bénéficiaire de la signature du mercosur, il faut qu’ils s’adressent à l’Europe. La réponse va s’appeler indemnités, et les agriculteurs français vont vivre de subsides qu’ils refusent à l’avance disant (très fort depuis le printemps dernier) qu’ils veulent vivre de leur travail et non de la mendicité.

 

Faut-il en conclure que cet accord avec le mercosur dépend de la qualité des négociations qui devraient assurer à chacun de ressortir gagnant – y compris les agriculteurs français comme brésiliens ? – Oui, mais ça, on n’y est pas encore.

samedi 16 novembre 2024

Faites des bébés – Chronique du 17 novembre

Bonjour-bonjour

 

Les campagnes natalistes qui se développent un peu partout dans le monde (de l’Europe à la Corée du sud) cherchent le biais capable de motiver le passage à l’acte (sexuel) qui faciliterait la naissance des bébés. D’autres, bien que soutenant le même objectif, estiment que c’était mieux avant, quand la nature était seule à gérer les familles, et que la procréation n’était là que parce que le Bon Dieu l’a voulu.

Mais aujourd’hui, il en va tout autrement : le calcul économique vient se mêler à l’affaire, comme le montre cette publicité pour Durex (= marque de préservatif)

 



On objectera que ce calcul peut être contrebalancé par bien d’autres comme celui de laisser une trace qui nous survivra, ou celle d’un amour fusionnel avec le gamin produit par cette fusion. Mais, dans tous les cas, on aura toujours la même situation : une volonté éclairée à l’origine de la procréation – ou de son refus.

 

- Or la situation la plus courante est justement qu’à l’inverse, la relation sexuelle soit exclusive de ce qu’elle va engendrer. Nos penchants sensibles n’impliquent généralement pas la représentation du mécanisme déclenché par leur satisfaction : l’alcool consommé fait oublier la gueule de bois et la repas plantureux les kilos en trop. On irait même jusqu’à insinuer que ce souci (« Chéri, tu as un préservatif ? ») serait le signe d’une tiédeur de mauvais aloi. 

Que devons-nous faire ? Écouter notre cœur ou suivre notre intérêt rationnel ?

Nous avons opposé la nature qui nous porterait par ses impulsions et la culture qui nous guiderait par ses déductions. Mais c’est oublier un peu vite que la nature elle-même, grâce au mécanisme de l’évolution nous a doté d’un cortex préfrontal « qui joue un rôle dans le contrôle exécutif tel que la planification et le raisonnement déductif (changement de l'ensemble des règles en cours set-shifting, résolution de problèmes complexes, récupération de souvenirs en mémoire à long terme, stratégies d'organisation et mémoire de travail). » (Art Wiki ici)

Ainsi, même quand nous n’avions aucune possibilité de savoir si un rapport sexuel aurait une chance d’être ou non fécond, toutes sortes de règles culturelles nous gouvernaient déjà.