dimanche 30 mars 2025

¡Viva la muerte ! – Chronique du 31 mars

Bonjour-bonjour

 

La guerre, cet étrange moment où la vie sociale se présente comme une menace de mort, où la survie implique le risque de tuer et d’être tué, où l’on ne peut survivre qu’à la condition de tuer d’autres hommes – des hommes qui, comme moi, vont chercher à me tuer – le guerre dis-je, m’appelle et me repousse en même temps. Alors que je tremble de mourir, on m’appelle au carnage. Comment répondre à cet appel ? Partir la fleur au fusil ? Ou au contraire mettre la crosse en l’air et se déclarer objecteur de conscience ?

Peut-être avant de faire cela faudrait-il s’interroger : comment donc cette menace de mort imminente est-elle présentée par la propagande guerrière ? Alors que l’homicide est partout condamné sévèrement, que fait-on pour nous persuader que maintenant il est bon de tuer ?

 

- Le symbole le plus durable de la guerre est le canon. Rappelez-vous des marchands de canons conçus comme les manipulateurs qui, à eux seuls, pouvaient conduire un peuple à l’affrontement. 

C’est du passé dira-t-on ? Mais alors comment comprendre la fierté française quand le canon CAESAR (acronyme de « Canon Équipé d’un Système d’ARtillerie) a montré sa supériorité sur les champs de bataille surtout en Ukraine ? Fierté qui faisait écho à l’extraordinaire orgueil de la France lorsque en 1914 le canon de 75 a fait face aux allemands. On a édité alors cette carte postale :

 


« Je sème la mort, Je sème la gloire / Je ne m’arrêterai qu’à la victoire »

 

Oui, la guerre est ce moment où la mort est glorieuse : pas celle du soldat patriote qui meurt en héros, mais celle de l’ennemi, écrabouillé anonymement sous les obus, et qui est synonyme de victoire. 

La guerre se définit alors comme le moment où tuer est non seulement permis, mais devient encore un moment joyeux où le citoyens fait montre de son mérite. Les sioux rapportaient de leurs combats les scalps de leurs ennemis pour prouver leur bravoure. On aimerait pouvoir en faire autant avec nos beaux et valeureux canons. Mais faute de pouvoir le faire on se contentera de chiffrer les pertes de l’ennemi.

A méditer: si la guerre est un moment de joie, ce n'est pas seulement parce qu'elle soulève l'enthousiasme quand elle s'arrête; c'est aussi qu'elle est bonheur de tuer.

samedi 29 mars 2025

« Ouin-Ouin » ou « Waf-waf » ? – Chronique du 30 mars

Bonjour-bonjour

 

Certains couples qui n’ont pas d’enfants adoptent un chien, soit pour compenser cette absence, soit simplement pour occuper leurs temps de loisir – allant jusqu’à accepter le chien sur le canapé devant la télé ou même dans leur lit. Cet animal occupe la quasi-totalité de leur temps : comment trouver celui à consacrer à un bébé ? 

- A moins que ce ne soit justement pour évacuer la question de cette naissance ?

 


Lisons ceci : « Certaines études suggèrent que les propriétaires de chiens ont effectivement une vision plus négative de la parentalité et que les mères qui possèdent des chiens trouvent l'éducation plus pénible, ce qui pourrait réduire leur volonté d'avoir d'autres enfants »

Sans doute pour nous réconforter, l’article conclut : « Certains couples voient leur animal comme un “enfant d'entraînement”, une étape préparatoire à la fondation d'une famille ».

- Un peu simpliste, ne croyez-vous pas ? L’ennui ou la solitude suffiraient donc à expliquer la présence de nos compagnons « à quatre-pattes » ? Le même article fait alors appel à un comportement génétiquement ancré dans notre hérédité, impliquant un besoin ancestral de trouver une protection et un soutien social. De nos jours, en raison de relations humaines dégradées, ce besoin se serait déplacé vers les animaux de compagnie.

Toutefois, s’il est vrai que Médor peut servir à compenser la perte de la parentalité, il peut aussi connecter des gens lors de sa sortie.

vendredi 28 mars 2025

Le Canada convoque des élections existentielles – Chronique du 29 mars

Bonjour-bonjour

 

Des élections qualifiées d'existentielles par l’actuel 1er ministre du Canada vont avoir lieu dans un mois dans ce pays. « Élections existentielles » ? Qu’est-ce que c’est que ça ? On est habitué à entendre parler d’élections présidentielles, législatives, municipales, etc. mais rien d’existentiel.

- Et puis, lorsqu’il entend le mot « existentiel », le philosophe dresse l’oreille. Car dans son jargon, le mot « existentiel » (qui a donné le substantif « existentialisme ») a un sens bien défini qui consiste dans le primat donné à l’existence humaine par opposition à toute métaphysique fondée sur une analyse abstraite de l’âme ou de l’essence humaine. 

Mais aujourd'hui, dans le français contemporain, tout ce qui est qualifié d’existentiel renvoie simplement à l’existence concrète, celle qui s’oppose à la mort ; s’agissant de l’État du Canada on comprend qu’il faut par de telles élections rendre manifeste que la souveraineté populaire est toute entière réunie dans ses représentants qui auront à affronter des forces mortifères pour le pays. Et aussi que le pays affronte une crise qui marque un pic par rapport à toute la durée de son existence.

 

Si le Canada s’apprête à donner à des élections fédérales (en réalité législatives) un tour du genre « la patrie en danger » c’est que la menace est à la hauteur. Lisez plutôt : « Le président américain a multiplié les provocations, en répétant à l'envi son intention de faire de son voisin et allié historique « le 51e État des Etats-Unis » et qualifiant régulièrement le chef du gouvernement canadien de « gouverneur ». »

L’histoire humaine est marquée à la fois par une cohérence durable par laquelle on s’habitue à considérer les frontières et la souveraineté qu’elle protège comme déterminée pour la longue durée. Mais l’histoire nous enseigne également qu’il arrive que ce temps long soit sujet à des ruptures qui détruisent pour des durées également très longues ces structures stables. La chute du mur de Berlin fait partie de ces expériences qui nous ont sur le moment laissés sidérés, mais qui une fois assimilées, doivent servir de modèle pour anticiper l’évolution de crises futures. L’État souverain du Canada a été créé en 1867. Mais aujourd’hui, en 2025, il n’est pas invraisemblable qu’il disparaisse. Comme la RDA a disparu en 1990.

Ni plus – ni moins.

jeudi 27 mars 2025

Pourquoi tant de haine ? – Chronique du 28 mars

Bonjour-bonjour

 

Les propagandistes du Kremlin le chantent sur tous les tons : la réconciliation avec les américains se fait sur le dos des européens. Certains d’entre eux vont même jusqu’à dire qu’il n’est pas invraisemblable qu’un jour ils s’entendent tous les deux pour faire « quelque chose » contre les européens.

Fiction pour affoler les ennemis de la Russie ? Peut-être, mais quand même – il y a quelque chose de vrai là-dedans : russes et les américains sont d’accord pour nous en vouloir. Notre chance c’est que les deux nous détestent pour des raisons différentes : les américains nous détestent pour avoir profité de la protection du « parapluie » nucléaire et de l’OTAN sans en payer la juste contrepartie ; tandis que pour les Russes nous sommes depuis Napoléon des ennemis historiques qui de surcroit donnent l’exemple de la décadence à leur jeunesse.

 

- Et nous, les européens ? Ne sommes-nous pas en train de réaliser que le monde entier nous déteste et qu’à défaut de nous envahir pour nous détruire, une hostilité générale contre nos belles valeurs est en train de se développer : Ah… Les droits de l’Homme ! Ah … La démocratie ! Ah … Les droits des femmes ! Ah … Etc… Soyons-en sûrs : si nos ennemis nous vainquent ils ne feront pas comme les romains qui ont adopté le panthéon des grecs quand ils leur ont ravi la domination du monde. Les européens comprennent que pour le reste du monde, leur civilisation n’est absolument pas le terme de l’histoire – tout juste est-elle une parenthèse qui va bientôt se refermer.

--> Une parenthèse qu’hors de nos frontières on considère non pas comme un enchantement mais comme le cauchemar de la décadence.

Et ce n’est pas parce que ça ne nous plait pas que ce n’est pas ce qui est en train de se passer.

mercredi 26 mars 2025

A chacun selon son mérite – et tant pis pour les autres – Chronique du 27 mars

Bonjour-bonjour

 

Aux Etats-Unis, la charité a disparu et avec elle le don ; la voici remplacée par le « deal », qui prend ici la forme d'un échange. Je te « donne », mais en retour je veux recevoir « quelque chose ». Tel est l’exemple donné ces jours-ci par la Maison-Blanche : le moyen de te défendre contre les envahisseurs, en échange je veux tes terres rares.

Et quand il n’y a rien à obtenir, suspension de l’aide.

 

- Si cela parait révolutionner le pays, c’est que la religion avait mis en place une perspective rassurante. Oui, on veut que chacun assume ses besoins par ses propres moyens. Les pauvres sont ceux qui ont le moins de capacités à acquérir de quoi vivre : c’est dans l’ordre des choses. Les riches en revanche peuvent posséder au-delà de leurs besoins, parce qu’ils sont reconnus supérieurs aux autres : c’est encore normal. Seulement, la charité est une vertu « théologale » qui se traduit par une pléthore de dons, qui devient dans un pays religieux comme le sont les Etats-Unis, un devoir civique. D’où les fondations caritatives, auxquelles les milliardaires américains comme Bill Gates se plaisent à attacher leur nom (voir cet article). Autrement dit il y a une compensation qui s’effectue et qui redistribue les sommes qui ont été captées par les plus riches, et qui vont en retour en direction des plus pauvres.

 Mais voilà – à présent la loi a changé : non plus « je te donne », mais « je t’échange ». Non seulement l’équilibre économique entre les populations risque d’être déstabilisé ; mais la tradition de la générosité, si forte dans la culture américaine va peut-être disparaitre si cette orientation s’avère durable.

Loin de moi l’idée de faire de Donald Trump l’origine de ce mouvement : il ne peut provenir que des profondeurs du pays. Mais en revanche la politique du « deal » est pour le moins un symptôme dont il convient de tenir compte.

mardi 25 mars 2025

Toi y-en-a compris ? Chronique du 26 mars

Bonjour-bonjour

 

Lundi dernier, lors d’un conseil municipal de la ville de Pau, François Bayrou, maire et président de la séance est accusé par certains conseillers d’être indigne de rester le maire de la ville pour avoir utilisé l’expression de « submersion migratoire » à propos de l’immigration en France. François Bayrou rétorque alors qu’il n’a jamais utilisé ces mots.

Indignation des opposants qui tous ont vu et entendu son interview diffusée sur LCI le 27 janvier où il déclarait : « Je pense que les apports étrangers sont positifs pour un peuple, à condition qu'ils ne dépassent pas une proportion /…/ Mais dès l'instant que vous avez le sentiment d'une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là vous avez rejet ».

C’est sans appel. Le Premier Ministre serait-il dans le déni, comme Donald Trump niant avoir dit que Zelensky était un dictateur ? Pas tout à fait. Car ce que monsieur Bayrou voulait dire c’était qu’il faisait état d’un sentiment et non d’une réalité. Ce n’est pas parce que vous avez l’impression d’être submergé que la submersion existe effectivement. Autrement dit ce serait un malentendu tout simplement.

Alors, faut-il tout dire pour être entendu ? Distinguer explicitement les niveaux sémantiques, différentier le niveau du sentiment de celui de la réalité ? Être lourdement pédagogique et faire comme si son interlocuteur était un benêt ou un attardé mental ? « Toi y-en-a compris ? »

 

Je dirai que là est sans doute la solution si l’on veut parer les attaques de l’opposition. Mais quelle lourdeur ! Rousseau disait : « Je n’écris pas pour ceux à qui il faut tout dire ». Quand on sait à quelles calomnies il a été exposé, on se dit que mal lui en a pris.

lundi 24 mars 2025

On n’a plus que l’IA à mettre devant les élèves – Chronique du 25 mars

Bonjour-bonjour

 

Les chiffres de l’Éducation nationale sont sans appel : « en un peu plus de vingt-cinq ans, le nombre de candidats au métier d’enseignant dans le secondaire a chuté de près des trois quarts » - et encore, on ne parle pas des démissions. A ce rythme-là, d’ici 10 ans on n’aura plus que des machines à mettre dans les classes en face des élèves.

- Les métiers de l’éducation n’attirent plus. Patrick Rayou (sociologue, professeur émérite en sciences de l’éducation, membre du CICUR) a, au cours d’un forum consacré à la question, listé ici les raisons d’une telle désaffection.

1) « La satisfaction professionnelle des personnels des établissements des premier et second degrés est de 6,0 sur 10, contre 7,2 pour l’ensemble des Français en emploi ».

2) « L’école enregistre les inégalités sociales, mais elle en rajoute aussi » Cela vient en partie de la façon dont « les savoirs scolaires sont socialement construits, puis distribués et évalués ».

3) Les directives du ministère, ses injonctions conjuguées à une réduction des moyens affectent la qualité du travail des enseignant.es : le métier de professeur devient plus difficile à mesure qu’il est réduit à une fonction d’exécutant.

4) Si la France compte plus d’heures de cours de fondamentaux que beaucoup d’autres pays, les résultats des évaluations ne la classent pas pour autant en tête du palmarès. La question n’est donc pas quantitative mais qualitative, pour les professeur.es comme pour les élèves.

5) Patrick Bayou n’évoque pas – mais il aurait pu – le salaire des profs qui stagne depuis 20 ans et qui met les enseignants français en queue de peloton des revenus européens dans cette catégorie.

 

Certains parents d’élèves malveillants considèrent les professeurs comme des privilégiés qui travaillent peu et qui bénéficient d’une statut de titulaire à vie. Image entretenue par l’odieux ministre que fut Claude Allègre : quand la semaine de travail fut réduite à 35 heures, des syndicats enseignants exigèrent que la mesure soit adaptée aux enseignants : le ministre rétorqua « il faudrait déjà qu’ils travaillent 35 heures ». Bien sûr les faits actuels démentent sans appel cette évaluation : sans parler de la désertion des concours, comment comprendre que certains néo-certifiés qui viennent de réussir un concours parmi les plus difficiles de la fonction publique décident de démissionner dès qu’ils ont constaté la réalité du métier ?

J’ai personnellement expérimenté le métier de professeur. En qualité de prof de philo j’étais privilégié : tous mes élèves passaient le bac à la fin de l’année et ils savaient qu’ils seraient évalués dans ma discipline. De surcroit les questions abordées par le programme permettaient de mobiliser l’intérêt de jeunes gens en quête d’un sens lié à leur recherche d’une place dans la société. Mais j’étais (et je suis encore) un prof d’un genre un peu spécial plus motivé par les élèves en difficultés que par les meilleurs : franchissant brillamment les moments les plus difficiles du programme, ils réussiraient de toute façon : j’étais là pour le luxe. Par contre les élèves qui bataillaient pour progresser et qui avaient absolument besoin de réussir, ceux-là avaient toute mon attention et je ressentais leur échec comme mon échec.

Et je comprends qu’aujourd’hui on ne peut rien faire pour ces élèves-là, sauf à répéter passivement les démarches concoctées dans le Ministère et qui ont fait durablement la preuve de leur inefficacité.

On n’ira de toute façon plus très loin avec de telles carences.