jeudi 6 avril 2023

La double légitimité – Chronique du 7 mars

Bonjour-bonjour

 

Hier, 11ème journée de grève et de manifestation nationale contre la réforme des retraites : les responsables syndicaux y sont allés de leur prévision quant aux revendications à venir. Les uns (comme SUD) affirmant que quoiqu’il en soit le retrait de la loi était la condition absolue de toute nouvelle négociation, d’autres noyant la contestation avec d’autres motifs de mobilisation, tel le pouvoir d’achat, les déserts médicaux, l’inflation, les salaires…

On attendait de connaitre la position de Laurent Berger secrétaire général de la CFDT sur la question, puisque ce syndicat traditionnellement réformateur était supposément le mieux placé pour permettre une sortie de la crise. Voici ce que l’on a entendu hier soir (sur le plateau de l’émission « C à vous » sur la 5) :

            - D’abord la CFDT reconnait la légitimité des institutions : dès lors que la loi en question est conforme à la Constitution, le débat sur ce point est clos. Pas question pour elle d’opposer la chambre des députés à la rue, le peuple à la foule ; toutefois, l’idée de faire des mouvements de manifestation une expression de la démocratie n’est pas rejetée.

            - Car, ce que les manifestants font valoir, c’est qu’ils ne reconnaissent pas comme moralement équitable la mise en œuvre des décisions annoncées durant la campagne électorale, que ce soit pour l’Élysée ou pour le Palais Bourbon. Et c’est là que Laurent Berger énonce sa thèse de la double légitimité. On lira ci-dessous  l’analyse de cette confrontation entre deux légitimités (1) ; pour faire simple, l’idée est qu’une fois élu, le législatif ne dispose du pouvoir que sous condition de ne pas commettre d’injustice envers quelque citoyen que ce soit. Imaginons un régime néo-nazi, régulièrement élu et imposant des lois spoliant les juifs (ou quelque minorité qu’on voudra) pour le plus grand bien du peuple ?  Dans ce cas, s’ouvrirait une crise pouvant aboutir à un retour aux urnes.

            - Alors, que prouvent donc les manifestations, les grèves, les AG dénonçant un pouvoir abusif ? On se doute bien qu’un chef syndicaliste a quelque chose à dire là-dessus. 

On vient de l’apercevoir : une démocratie n’est pas seulement le règne de la majorité, sans quoi elle se résumerait à un rapport de force : les plus nombreux ayant le droit d’écraser les plus faibles. Encore faut-il que pas un citoyen ne soit injustement traité, exploité ou dépouillé quand bien même ce serait au bénéfice du plus grand nombre. Ce que les manifestant ont clamé dans les rues, c’est qu'ils sont victimes d'une injustice sociale qui exige d'eux de travailler en étant soumis à la peine de l’effort dans une vie sans horizon – à part celui de jouir de la retraite.

- On a bien vu que le gouvernement a tout fait pour faire admettre que sa réforme était juste. Or, c’est cela que les manifestants ont nié à cor et à cris. Et qu'importe qu'ils soient des millions ou un seul ?

Quand bien même les chiffres alignés sur des tableaux Excel bien léchés seraient au rendez-vous, la plainte d’une aide-de-vie mal payée et soumise à des horaires de travail démentiels suffirait à mettre tout ça par terre (2)

 

--> Alors on peut critiquer l’emploi du terme « légitimité » dans ce contexte. Ça ne changera rien.

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(1) Pour résumer, cet article explique ceci : " D’un côté une loi est légitime lorsqu’elle a été prise suivant les règles et les procédures définies selon la Constitution, elle-même dument établie par référendum. De l’autre, seront jugées légitimes celles qui sont opportunes et établies par la qualité des gouvernants. A ces deux conceptions correspondent la démocratie directe, qui considère les dirigeants comme étant susceptibles d’être révoqués en cours de mandat sur demande du peuple ; en face de quoi on a le despotisme éclairé : la démocratie est inutile quand les meilleures capacités d’action sont réunie en un seul homme. On dira que le despotisme, même éclairé n’est pas une démocratie. C’est vrai – Aussi la Révolution française a-t-elle inventé le « jacobinisme » qui affirme que les citoyens délèguent leur propre volonté à leurs représentants. D’où le centralisme qui leur est cher : le peuple s’exprime une fois tous les 5 ans pour élire ses députés, et le reste du temps il n’a plus à intervenir. Tel est le formalisme juridique sur le quel le pouvoir prend aujourd’hui appui »


(2) On pense au film de François Ruffin « Debout les femmes » (voir ici)

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