Bonjour-bonjour
Dimanche matin, après le café et le journal des brèves, vous voici disponible pour des réflexions un peu plus développées. Comme celle-ci : « L’IA est-elle la quatrième blessure narcissique de l’humanité ? »
- Bigre ! dites-vous. Il y a déjà eu trois de ces blessures et on ne me l’avait pas dit ? En tout cas je ne les ai même pas senties.
Expliquons. Dans l’article cité Freud est crédité de la découverte des trois premières : nous ne sommes plus comme on le croyait encore au moyen-âge au centre de l’univers ; et puis nous sommes devenus avec Darwin des singes un peu plus développés que les autres, mais rien de mieux. Quant à Freud lui-même il vient de révéler que notre Moi n’est qu’une péninsule émise par un vaste continent englouti que nous ignorons : l’inconscient. (1)
- Et voilà que notre intelligence, cette partie de notre psychisme qui porte notre essence et qui nous place au-dessus de tout ce que la vie a fait de mieux – la voilà, dis-je, qui perd sa place au profit des machines : l’IA la remplace avantageusement un peu partout et encore n’en est-elle qu’à ses débuts.
o-o-o
Loin de moi l’intention de reprendre ici l’énumération des mérites et des faiblesses de ces systèmes informatiques : le sujet est important mais il a été évoqué ici même bien des fois. Mais ce qui nous interroge ce matin ce serait plutôt la place accordée au narcissisme par Freud et validée par cet article. Faut-il se sentir dévalorisé par le fait que nos machines nous battent aux échecs ou au jeu de Go et qu’elles menacent de chômage bien des « cols-blancs » d’aujourd’hui ?
Certains ne le pensent pas : « dans l’histoire de la technologie, du silex jusqu’à l’ordinateur, on observe un grand mouvement d’externalisation des compétences. On a tout fait pour externaliser toutes les formes d’intelligences possibles, la mémoire et même la sensibilité (sic) » (Jean-Michel Besnier). Au fond, si la machine se définit comme un outil animé qui remplace l’ouvrier, alors oui : l’IA est en effet une externalisation de nos compétences, que nous préférons déléguer à des machines pour jouir du temps ainsi libéré : banal.
Toutefois, voici que dans ce face à face les hommes se sentent pris dans une compétition, dont ils sortent parfois vaincus comme on vient de le dire avec les échecs ou le Go.
Mais ce qui m’étonne, c’est que nous puissions nous sentir humiliés par des machines. Que nous importent leurs performances puisqu’elles ne fonctionnent pas selon la machinerie de notre propre cerveau ? (2).
--> L’héritage freudien de cette formule est évident : la machine est investie d’un fantasme d’altérité qui la rend selon les cas aimable ou hostile, par lequel nous voyons en elle un alter-ego.
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme » demandait Lamartine. S’agissant des ordinateurs la réponse est bien évidemment « Oui »
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(1) « Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la Terre, loin d’être le centre de l’Univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle réduisit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s’est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. » Sigmund Freud, Introduction à la Psychanalyse (1916-1917)
(2) Les « réseaux neuronaux » artificiels dont elles sont dotées ne sont que des analogies avec notre cerveau, non une copie fidèle
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