vendredi 31 juillet 2020

Cherchez l’erreur – Chronique du 1er août

Bonjour-bonjour

 

L’une s’appelle Apolline de Malherbe, elle est journaliste ; l’autre s’appelle Tania de Montaigne, elle est journaliste et également écrivaine. La première est issue d’une famille hautement favorisée ; la seconde a été élevée par sa mère dans un milieu défavorisé. La première a la peau blanche ; la seconde est noire. 

  


 

Vous avez sans doute déjà compris de quoi il s’agit : alors que la première ne s’est jamais plainte d’être soupçonnée d’usurpation de patronyme, la seconde est sans cesse ramenée à lui, par des propos suspicieux ou – pire encore – simplement étonnés : « Ah ? Vous vous appelez Montaigne ? Comment ça se fait ? »

On est ici devant le fait brut de la racialisation, autrement dit l’attribution de caractéristiques culturelles à des individus simplement sur la base de leur aspect physique. Certes Montaigne est un nom qu’on n’imagine pas porté encore aujourd’hui par qui que ce soit : c’est le nom de Michel de Montaigne, auteur des Essais – point final. Sauf que, dans le même temps, on s’étonnerait moins de le voir porté par une femme blanche que par une noire – du moins c’est ce qu’il parait avec Malherbe quand on s’appelle Apolline de Malherbe. Comme s’il y avait quelque mystérieux rapport entre la peau blanche et la culture classique française ; rapport tel qu’il exclurait quiconque a la peau noire. Scandaleux racisme qui devrait valoir une mise en examen à quiconque le proférait ? Oui, bien sûr… mais aussi réaction spontanée et de bonne conscience, de la part de gens qui ne sauraient pas dire deux mots de l’œuvre de chacun de ces personnages, mais qui sont persuadés qu’ils représentent la France et qu’à ce titre on ne peut les imaginer avec la peau noire. En 1946, dans ses Réflexions sur la question juive, Sartre dit qu’un antisémite c’est quelqu’un qui est persuadé qu’un juif ne pourra jamais comprendre le moindre vers de Racine – non pas que le premier imbécile venu saurait le faire parce que d’origine caucasienne, mais simplement qu’entre ce personnage et Racine il y a une consubstantialité mystérieuse : celle des racines.

Racine : voilà le mot lâché. Quiconque croit en avoir est mûr pour exclure tous ceux qui n’ont pas les mêmes – quelle qu’elles soient.

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