mercredi 26 août 2020

Big Brother is watching you – Chronique du 27 août

Bonjour-bonjour

 

J’apprends hier que le roman d’Agatha Christie intitulé « Dix petits nègres », titre d’une comptine qui sert de trame au déroulé de l’histoire, vient d’être réédité dans une nouvelle traduction intitulée « Ils étaient dix », avec un texte expurgé du substantif « nègre ». (Ceux qui voudront se remémorer la comptine la retrouveront ici)

Ce n’est pas nouveau et ce révisionnisme vient de loin, très loin, si loin que Rabelais se pointe à l’horizon : « Si les signes vous fâchent, O quant (= combien) vous fascheront les choses signifiées » écrivait-il dans le Tiers livre, ch. 20 (lire ici). Pas nouveau mais toujours aussi énervant : même s’il s’avérait que ce mot soit devenu choquant au point qu’il soit interdit de le prononcer, il ne serait pas pour autant justifié d’en expurger des œuvres qui l’ont utilisé à l’époque où une telle chose était jugée normale.

On est en plein révisionnisme historique et supprimer des mots ainsi qu’on le fait ici revient exactement au même que déboulonner des statues. Nous nous étions exprimés sur le phénomène à l’époque, nous ne pouvons que redire la même chose aujourd’hui : on ne peut pas juger le passé, on ne peut que le comprendre. Je n’ai pas à juger les régicides de 1793 qui ont décapité Louis XVI, mais j’ai à comprendre aussi finement que possible pourquoi ils l’ont fait. C’est l’ignorance – ou pire : le mépris – de ce principe qui « fâche » aujourd’hui, pour parler comme Rabelais. 

Alors bien sûr faire la même chose avec la comptine du roman est ridicule, et c’est même ce ridicule-là qui fait rire – bien rire – MdR.. Pour échapper au ridicule, les éditeurs d’aujourd’hui font dire à Agatha Christie qu’elle ne voudrait surtout pas choquer qui que ce soit, à commencer par la communauté noire ce qui ne les absout d’aucune manière. 

… Au fait : je viens d’écrire « communauté noire » : ne vais-je pas tomber à mon tour sous la férule de la censure ? Le mot « noir » est-il autorisé ? Car employer ce mot, c’est distinguer les hommes selon la couleur de leur peau un peu comme on distingue les « homosexuels » selon leur « orientation sexuelle ». 

Nous parlions tout à l’heure de révisionnisme en faisant comme si c’était un problème théorique lié à la pratique de l’histoire. Mais ne l’oublions pas : ce que veulent les révisionnistes c’est avant tout supprimer l’existence des camps de concentration en les effaçant de la mémoire historique. De la même façon on veut aujourd’hui que les hommes à la peau noire soient effacés du champ de nos représentations et pour cela on interdit de les nommer.

 

--> Comme dans 1984, le roman de Georges Orwell, il s’agit ici de nier la réalité en supprimant les mots qui la désignent. Puisque les signes nous « fâchent », nions les choses signifiées.

Nous sommes en pleine novlangue. Et Big Brother nous surveille.

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