Bonjour-bonjour
Ah ! les citations ! Moi qui en ai commenté des milliers (c’est encore en ligne ici) je peux l’affirmer tranquillement : une citation, on peut lui faire dire n’importe quoi. Ou plus exactement, séparé de son contexte, toute formule, toute phrase, a une étonnante capacité à signifier à peu près tout ce que l’on veut.
Vous voulez qu’on vérifie ? Prenez la phrase de Joël Dicker et supprimez le 1er mot ; ça fait « … c’est le sentiment du sens de la vie ». Maintenant replacez-le par un autre mot, que vous choisirez. – Allez-y, n’ayez pas peur ; ça fait ça :
- La mort, c’est le sentiment du sens de la vie
- Le confinement, c’est le sentiment du sens de la vie
On en ferait des tonnes avec ça : je vous dispense de lire tout ce que je pourrais écrire là-dessus.
Vous pouvez aussi procéder avec ce qui vous passe par la tête, en prenant des mots au hasard, un peu comme avec le jeu du cadavre exquis. Ça fait :
- La gastronomie, c’est le sentiment du sens de la vie
- La confiture, c’est le sentiment du sens de la vie
Etc. on pourrait continuer ainsi : même en tirant des mots au hasard on arrivera toujours à trouver du sens. Quel est donc ce pouvoir des mots de signifier de façon automatique, mécanique, en dehors de toute pensée ?
- Déjà, observons que la pensée n’est pas absente du processus, simplement elle arrive après l’élaboration de l’énoncé et non avant comme normalement. Ce qui est déjà extraordinaire parce qu’on constate qu’avec le langage il y a toujours quelque chose à penser, même avec les énoncés que nous n’avons pas contribué à fabriquer, même lorsque cet énoncé est purement aléatoire. La poésie use de cette propriété de la pensée – et des émotions – mais bien sûr c’est alors un procédé maitrisé. L’excès reste pourtant possible, comme le montre Molière, dans les Précieuses ridicules en se moquant du marquis de Mascarille qui se fait applaudir en faisant un commentaire ridicule de ses vers (1).
Il y a encore quelque chose de plus dans cette capacité des citations à signifier indéfiniment : c’est que privées de leur contexte ces formules n’ont pas un sens rigoureusement établi. Ainsi, que veut dire notre auteur lorsqu’il évoque « le sentiment de la vie » ? S’agit-il de l’expérience vécue au ras de la conscience ? De cette expérience minimale qu’on retrouve comme fonds dans tout contenu d’expérience ? Parle-t-on alors de ce vécu perceptif qui reste après épochè pour parler comme Husserl ? Ou bien au contraire doit-on comprendre que l’amour est un intensifiant d’existence qui donne à vivre le plein contenu de celle-ci alors que tous les autres composants objectifs – comme le souci de la vie matérielle – sont submergés par la passion amoureuse ?
Là encore, allez-y sans crainte : faites votre choix, il n’aura d’importance que comme indicateur de vos propres préoccupations.
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(1) Il s’agit de cet « Impromptu » :
Oh, oh, je n’y prenais pas garde,
Tandis que sans songer à mal, je vous regarde,
Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur,
Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur.
(Scène 9)
Comme le dirait la chanson contemporaine, il s’agit d’une mignonne qui a les yeux révolver…
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