Le « no show », vous connaissez ? (1) Il s’agit de la pratique devenue de plus en plus courante de ne pas venir au restaurant alors qu’on a réservé une table. Mais ne croyez pas que les restaurateurs soient les seuls à se plaindre de cette désinvolture du public : les médecins se sont fait écho de cette pratique désastreuse pour leur profession. (Lire ceci)
Comment expliquer que ce fait se développe aujourd’hui de façon aussi généralisé ? Qu’y a-t-il de nouveau dans ces rendez-vous et ces réservations pour que les gens se sentent moins concernés par leur engagement ?
Posée ainsi, la question se résout facilement : il s’agit des réservations en lignes, souvent proposées par les restaurateurs, et généralisée dans le corps médical par Doctolib. Réserver en un clic est devenu une habitude mais, alors qu’on peut aussi annuler du même clic, bien peu le font. Ces facilités appréciées par le public sont sans doute aussi la raison pour laquelle les gens concernés se sentent si peu engagés : si je passe au secrétariat médical pour prendre rendez-vous, je me sens identifié, perçu comme responsable de mon acte. Quelle responsabilité ai-je par rapport à mon écran ?
- Je veux dire : la responsabilité suppose un regard posé sur moi, qui me constitue auteur de mes actions : « C’est toi qui l’as voulu, et donc tu dois le faire ». Pour se sentir responsable il ne suffit pas d’avoir des principes ; il faut aussi être pris dans ce face-à-face qui m’identifie comme auteur de mes actes : je ne peux plus me dédire sans avoir à payer.
On peut bien entendu ranger aussi dans cette situation les excès de tout genre auxquels se livrent dans les réseaux sociaux des gens qui jouissent de leur anonymat. Croire alors qu’on a là une calamité venue de l’ère numérique est sans doute vrai, mais on aurait bien tort de limiter ce comportement à notre époque.
--> Car cela nous renvoie aussi à une situation venue du 18ème siècle, au temps de J.J. Rousseau : il s’agit du « Mandarin assassiné », une expérience imaginaire consistant à se demander comment on agirait si on pouvait par un simple acte de volonté, sans quitter Paris et sans jamais être suspecté, tuer un vieux mandarin habitant Pékin et dont la mort nous apporterait quelque avantage (voir ici). La réponse était bien sûr que le pauvre mandarin ne vivrait pas une minute de plus.
Rein n’a changé depuis, sauf que de non jours il suffirait d’un clic pour assassiner le mandarin.
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(1) « No-show » se traduit ici par « non-présentation » - et non pas « non-représentation »
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