De retour de Lutèce, Hippias rencontre Socrate. Nous avons pu nous procurer leur dialogue qui concerne une maladie dont souffrent ces barbares. Le voici :
Socrate
O sage et excellent Hippias, voilà bien longtemps que tu n’es pas venu à Athènes !
Hippias
En vérité, Socrate, je n’en ai pas eu le loisir. J’étais, il t’en souvient peut-être, loin d’Athènes dans ces tâches d’ambassade qu’on me confie régulièrement.
S. Et bien tu aurais peut-être dû revenir plus vite nous entretenir de ce que tu as vu chez ces barbares ?
H. Oui, Socrate, tu as raison, d’autant que ce que j’ai observé chez eux ne manquera pas de t’étonner.
S. Ne me fais pas attendre, divin Hippias.
H. Voilà. J’étais dans ces contrées barbares qui s’étendent au-delà des montagnes, dans une ville que les gens de là-bas nomment Lutèce. Une terrible maladie se répandait alors dans le peuple et chacun était menacé de périr étouffé par une étrange peste : le Covidon.
S. Voilà qui me fait penser à Thèbes sous le règne de Laïos. Tu sais que le crime d’Œdipe fut alors la cause d’une horrible épidémie de peste, envoyée par l’Olympe pour châtier son sacrilège épouvantable. Qu’ont donc fait les Lutéciens pour échapper au Covidon ? Y avait-il une faute qu’ils pouvaient expier ?
H. Je t’ai dit Socrate que j’étais dans un pays barbare dont les mœurs sont bien différentes des nôtres. Oublieux des oracles des Dieux et des sacrifices qui leurs sont dûs, ils ont décrété que chacun devait prendre en charge ses propres risques en se confinant dans sa maison
S. Tu veux dire que chaque lutécien s’est enfermé chez lui, sans ouvrir sa porte à qui que ce soit, restant ainsi seul face à lui-même ?
H. C’est exactement cela, Socrate.
S. Mais alors, mon bon, durant toute cette épidémie, les lutéciens ont pu jouir d’un repos exceptionnel et parfait pour examiner leurs actions, et se mettre à philosopher.
H. Que veux-tu dire, Socrate, je ne te comprends pas ?
S. Tu sais, Hippias que pour philosopher, il faut penser ?
H. Oui, Socrate et c’est pour cela que je viens auprès de toi m’enquérir de tes lumières.
S. Quel enfant tu fais, Hippias ! Car tu oublies que pour penser il faut justement être seul.
H. Seul ? Allons donc !
S. Mais oui, Hippias, seul car la pensée est un dialogue de l’âme avec elle-même. Tes lutéciens étaient donc bénis des Dieux d’avoir cette période de solitude où ils pouvaient sans être dérangés se livrer à l’exercice de la pensée.
H. Hé bien Socrate, il faut te détromper. Non seulement les lutéciens ne se sont pas demandé quelle faute ils avaient commise pour mériter ce châtiment, mais encore ils ont tenté d’échapper tant qu’ils ont pu à la solitude grâce à leurs Petites-lucarnes.
S. C’est moi qui suis dans les ténèbres : explique ce que sont ces lucarnes qui permettent de ne plus être seul tout en restant enfermé chez soi ?
H. C’est une invention de leurs savants, qui leur permet de voir et de parler avec qui ils veulent, à l’exception des Dieux qui ne peuvent apparaitre de cette façon.
S. Étranges savants en vérité ; c’étaient sans doute des sophistes de la pire espèce, pour chercher à détourner les gens de la recherche de la vérité. Mais alors, dis-moi, divin Hippias, de quoi parlaient donc ces Lutéciens ? Faute de penser par eux-mêmes, avaient-ils des gens capables de les conduire à la vertu par leurs discours ? Te l’ont-ils demandé ?
H. S’ils l’avaient fait, Socrate, et à condition qu’ils m’en offrent un bon prix, je n’aurais pas manqué de leur indiquer la voie de la morale en cours chez nous, Athéniens.
Seulement l’un de ces barbares avait déjà pris toute la place disponible sur ces Petites-Lucarnes.
S. Par le chien ! Hippias, tu aiguises ma curiosité ! Qui donc est ce sophiste, et comment l’appelle-t-on ?
H. Son nom ne te dira rien Socrate, parce qu’on est en barbarie et que nous n’allons pas pour nous instruire chez ces gens-là. Sache donc qu’il s’agit d’un vieux sophiste du nom de Raoultopoulos dont les apparitions soulèvent l’enthousiasme des lutéciens.
S. Roultopoulos ? Inconnu de toute la Grèce et même de l’Asie mineure ! Mais qu’a-t-il donc fait pour susciter un tel empressement ?
H. Hé bien il annonce que le Covidon peut être guéri grâce à l’usage de la chloroquinix une drogue dont les effets sont selon lui merveilleux.
S. Ah ! Hippias quels gens sont donc ces lutéciens pour ignorer que les épidémies ne peuvent se guérir que par la vertu dont l’outrage a causé la colère des Dieux !
H. Oui, Socrate et c’est même la raison pour laquelle je suis rentré de là-bas sans avoir réussi à m’enrichir par mes discours.
S. Oui, admirable Hippias : ce sont vraiment des barbares.