vendredi 11 décembre 2020

Pourquoi sommes-nous si crédules ? – Chronique du 12 octobre

Bonjour-bonjour

 

A supposer que vous soyez ignorant de la rhétorique des relations internationales, que comprendriez-vous en lisant cette déclaration du Premier ministre britannique : « Il est très très probable que nous devions choisir une solution qui serait, je pense, formidable pour le Royaume-Uni et nous pourrions faire exactement ce que nous voulons à partir du 1er janvier » ? Précisons que Boris Johnson commente les dernières négociations sur le brexit, constatant que leur chance de succès est de plus en plus minime. (Voir ici)

On se demande pourquoi les britanniques ont donné à croire aux négociateurs européens qu’ils souhaitaient un accord, et aussi pourquoi les deux parties ont négocié depuis si longtemps, si au bout du compte chacun était à l’avance obligé de quitter les négociations avec un no deal dans sa besace ? Soit les anglais ont depuis toujours escompté un tel échec – soit le Premier Ministre britannique nous a enfumé en cherchant à déguiser son échec en succès, un peu à la manière de Donald Trump.

 

- Dans ce dernier cas, le plus probable, la crédulité supposée ou réelle des auditeurs de tels propos est immense, puisque leur caractère falsificateur est tellement énorme qu’elle devrait entrainer immédiatement des protestations – chose qui n’arrive pas. Pourquoi ? sans doute parce que la force et l’aplomb de l’énonciateur joue le rôle de garantie de leur valeur. Oui, tel est le ressort majeur des communications actuelles dominées par les mensonges et les erreurs : Boris Johnson (notre exemple) est bien la référence à consulter et à croire, la preuve en est la certitude qui émane de son ton et la force avec laquelle il énonce ses vérités. Je dis bien « ses » vérités et non « ces » vérités, puisque la vérité est attestée par la personne qui l’énonce et non par l’argumentation ou la mise en évidence des faits.


Depuis Platon la philosophie lutte contre ces pseudo-vérités qu’elle appelle « opinions », désignant par là des affirmations qui tirent leur valeur non seulement de leur habilité rhétorique  mais encore de la force psychologique de celui qui porte l’énoncé : la même phrase est alors jugée différemment crédible selon la personne qui la prononce – et sans que soit pour autant engagée sa compétence. Le cas du professeur Raoult est exceptionnel puisqu’il adosse ses affirmations à son prestige scientifique et qu’en même temps il les soutient par ses attitudes théâtrales ; mais dans la plupart des cas, seules ces dernières sont mises en jeu (dans le style des orateurs populistes) 

Certes bien d’autres mécanismes jouent dans l’extraordinaire force des messages qui s’échangent et qui se répètent sur les « réseaux sociaux ». Ici en effet la vérité dépend non de la personne qui l’énonce, ni de sa théâtralité, ni de son talent rhétorique, mais du nombre de personnes qui l’approuvent comme telle (= qui la retweet). Se réactive ainsi un aspect de la démocratie qui a toujours été en conflit avec la science : même au siècle des lumières on avait l'opposition entre la volonté du peuple et la voix du despote éclairé. Quand Galilée a été condamné par le Saint Office pour avoir dit que la terre n’était pas au centre de l’univers, la majorité du public "éclairé" soutenait le contraire : de nos jours il aurait été condamné par Facebook.

Eppur, si muove. 

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