mardi 1 décembre 2020

Mort d’une sorcière ordinaire – Chronique du 2 décembre

Bonjour-bonjour

 

Aujourd’hui, 2 décembre, France musique consacre sa Matinale à Anne Sylvestre dont on apprenait la disparition hier. La mort d’Anne Sylvestre célébrée par un public restreint qui la pleure ; à comparer aux torrents de larmes occasionnés par la mort de Johnny Halliday : pour son enterrement il a fallu mobiliser l’église de la Madeleine, les Champs Élysées, et le chef de l’État. Ni plus ni moins.

Anne Sylvestre a eu sa vie durant un public réduit : allons-nous glorifier les élites qui encensent ces chanteurs qui osent dénoncer les ordures charriées par notre civilisation ? Et cracher sur ceux qui ne sont que des produits de la sous-culture et qui se permettent de déverser à profusion leurs misérables déchets dans des oreilles paresseuses ?

Pourquoi pas ? Mais n’oublions pas d’observer ce qui se révèle ainsi. Car Anne Sylvestre a été cataloguée comme compositrice de comptines pour petits enfants : on voulait bien la célébrer comme la chanteuse des Fabulettes, mais sûrement pas comme la créatrice d’« Une sorcière comme les autres » (comparer ceci et cela). C’est qu’en réalité, loin d’être une chanteuse pour élite, elle était une chanteuse pour femmes de combat, de celles qui n’acceptent pas la place que la tradition leur réservait alors – et qu’elle tâche de préserver encore aujourd’hui. 

On a offert à Anne Sylvestre la gloire de chanter pour nos poupons-chéris. Mais on se fermait les oreilles quand elle disait doucement mais crûment de quoi l’ordinaire des femmes qui les berçait était fait. A-t-elle eu le choix entre l’une ou l’autre de ces célébrités ? – Sûrement pas, car on a voulu choisir pour elle et on l’a fait

Mais elle aura sa revanche, car elle est de ces chanteuses dont on n’oublie pas l’œuvre et qui garderont dans l’avenir la renommée qu’on leur a refusée de leur vivant. En témoigne la vénération avec laquelle on évoque Barbara, tout comme Georges Brassens.

On raconte qu’Achille eut à choisir entre une vie longue et obscure et une vie courte et glorieuse. Vivant dans un monde où la gloire des armes était reconnue, il a choisi la gloire. On a refusé ce choix à Anne Sylvestre, mais qu’importe ? Elle a voulu vivre intensément son aspiration à un monde meilleur, sa gloire était là.

Sic transit gloria mundi : une gloire peut en cacher une autre.

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