lundi 24 octobre 2022

Éloge du bricolage – Chronique du 25 octobre

Bonjour-bonjour

 

En cette période de sobriété, de réduction de la consommation, on nous supplie de ne pas jeter, de recycler et, quand c’est possible, de réparer. Faire durer, voilà le maitre mot – et pour cela c’est vers le bricoleur qu’on se tourne.

 

- Il y a deux sortes de bricoleurs : celui qui fabrique et celui qui répare. Et deux types de moyens mobilisés : acheter chez Leroy-Merlin des outils spécialisés et super-performants ;

 


et avec des vieux clous et des bouts de ficelle reconstituer la pièce cassée et faire redémarrer la machine. Bien entendu, c’est ce personnage qui est valorisé en cette période anticonsumériste : Ne jetez plus ; réparez !

Mais qu’en pense le philosophe ?

 

- C’est chez Claude Lévi-Strauss qu’on trouve une philosophie du bricolage. A l’opposé de l’ingénieur qui œuvre dans un monde aux potentialités infinies, le bricoleur lévi-straussien « travaille dans un monde étroit, son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord » (1). Rien ne se jette parce que « ça peut toujours servir » : nous sommes bien dans l'épargne préconisée de nos jours. Mais ne s’agit-il que de cela ?

 

- Si l’intelligence est bien la capacité à tirer des emplois nouveaux de matériaux anciens, de leur inventer des potentialités inimaginables - bref, de « tirer de l’organisé de l’inorganisé », comme dit Bergson, alors le bricolage est bien une activité intelligente par excellence – et donc, bricoler au sens indiqué ici va beaucoup plus loin qu’un plat souci de sobriété économique.


Face à un monde désormais clos, l’homme n’est plus seulement un ingénieur qui fait tout de neuf, mais il est celui qui tire de lui-même plutôt que de son environnement les ressources pour sa survie.

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(1) « De nos jours, le bricoleur reste celui qui œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de l’homme de l’art. /…/Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus et procurés à la mesure de son projet: son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit, et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ». /…/ Sans jamais remplir son projet, le bricoleur y met toujours quelque chose de soi. » Lévi-Strauss, La pensée sauvage

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