Bonjour-bonjour
C’était hier l’anniversaire des 100 ans de la mort de Marcel Proust, raison pour laquelle on parle de lui et de son œuvre un peu partout, y compris dans des journaux qui n’en sont pas coutumiers.
- Cet anniversaire est l’occasion de rappeler la première phrase de l’incipit de son œuvre majeure, comme une invitation à lier les 3000 pages suivantes. J’y ai moi-même fait allusion, je n’y reviens pas.
Mais l’article que j’ai consulté est bâti sur une autre ligne : il veut souligner l’effort titanesque que représente une telle lecture, en opposant les 8 mots la courte phrase qui ouvre le livre (« Longtemps je me suis couché de bonne heure »), au caractère torrentiel des périodes qui suivent – qu’on en juge : « Si l’on additionne le contenu des sept tomes, 3 000 pages, 1 300 000 mots et 9 609 000 caractères écrits et publiés pendant plus de quatorze ans, le chef-d’œuvre de Proust est un pavé monumental. Dans ce livre littéralement hors norme, les phrases comptent, en moyenne 43 mots, contre une vingtaine en moyenne chez les écrivains de langue française. Dans « Les Misérables » de Victor Hugo, la phrase la plus longue contient 823 mots mais Marcel Proust, champion des points-virgules, fait mieux dans « La Recherche », puisque l’on trouve dans Sodome et Gomorrhe une phrase de 856 mots ! »
Proust n’est pas le seul à présenter cette particularité :
* Kant a eu aussi le même problème : un de ses amis lui disait « Emmanuel, quand je lis une phrase, je mets un doigt sur le sujet, un doigt sur le verbe, un autre sur le complément d’objet… Avec tes phrases, je n’ai jamais assez de doigts pour aller jusqu’au bout ! »
* Quand à James Joyce on sait que le Monologue de Molly Bloom qui constitue le 18ème et dernier « chapitre » d’Ulysse comporte une seule phrase de 50 pages. (Lire ici la version originale)
Il est vrai que ces phrases ne sont pas toutes de la même facture : si celles de Joyce sont particulièrement déstructurées, ce n’est pas, du tout le fait de Proust. L’article cité évoque l’usage des points virgules qui scandent le texte comme autant de repères pour soulager la mémorisation de la structure grammaticale (où donc est le sujet ? De quoi parle ce verbe ?) - Il faut lire Proust pour se rendre compte que ce n’est pas du tout ça : les phrases de Proust sont structurées de façon à s’ouvrir à des découvertes, des sensations, des idées qui ne pouvaient pas être là dès le début, quand la phrase a été commencée : les phrases de Proust sont remarquables par leur parenthèses où viennent se loger ces observations, ce qui les contraint à une longueur inusitée.
La parenthèse chez Proust est si importante que la Recherche est elle-même construite sur une vaste parenthèse, qui s’ouvre au début du tome premier, après le passage sur la petite Madeleine, et qui se referme, 2500 pages plus loin, avec le dernier volume, intitulé bien entendu « Le temps retrouvé » Au point que l’interprétation du passage sur la "petite madeleine" se trouve quelque part dans ce volume consacré au vieillissement des personnages rencontrés durant le roman.
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N.B. Je note également que Proust partage avec Joyce, justement, le « privilège » d’avoir été barré par un écrivain célèbre : Proust pour le Goncourt par Gide ; Joyce pour le manuscrit d’Ulysse (par ailleurs interdit pour obscénité) dont la publication fut rejetée par Virginia Woolf.
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