mardi 2 mars 2021

Cachez ce nègre que je ne saurais voir – Chronique du 3 mars

Bonjour-bonjour

 

On en a parlé récemment : le mot « nègre » est désormais proscrit (sans qu’aucune loi ne l’interdise explicitement), au point que le roman d’Agatha Christie « 10 petits nègres » a été rebaptisé, devenant : « Ils étaient 10 » - exit le mot nègre, devenu tabou.

 

D’un point de vue strictement rationnel, on peut expliquer le refus de ce terme extrêmement péjoratif : Victor Hugo déjà s’emportait contre son emploi en 1826 : « Nègres et mulâtres ! (...) Viens-tu ici nous insulter avec ces noms odieux, inventés par le mépris des blancs ? Il n'y a ici que des hommes de couleur et des noirs » (Hugo, Bug-Jargal, 1826, p.152 – Cité par le CNRTL)

Plus radicalement encore, le vocable « nègre » définit des personnes de couleur noire explicitement réduite en esclavage. C’est la thèse développée par Aurélia Michel dans son livre « Un monde en nègre et blanc » - qui d'ailleurs utilise le mot en question dans un but « épistémique » qui lui permet d'échapper à la censure.

- Passons à la force de cet interdit : on s’étonne de la violence des réactions suscitées par l’emploi de ce terme au point qu’elle paraisse liée à une sorte de tabou - tant et si bien qu’on ne trouverait que les blasphèmes pour en approcher. On pourrait alors penser que l’interdit qui frappe ces mots (nègres, juifs, pédés et autres) relève du refoulement, origine de la violence produite par son rejet. Du coup, si la censure qui frappe certains mots relève bel et bien du refoulement, alors il va falloir admettre, conformément aux observations de la psychanalyse, que sa présence atteste d’un très fort désir de s’en affranchir et de commettre les actes évoqués par cette pensée. Quand Tartuffe s’emporte contre le décolleté de Dorine il montre par là que son désir est justement d'en jouir : sans désir coupable, pas d’interdit, ce que Dorine ne manque pas de remarquer (1).

N’y aurait-il donc que ceux qui se sentent tentés par ces désirs détestables qui seraient si rigoureux à les interdire ? Ne risque-t-on pas alors de rendre ces désirs mauvais tout à fait ordinaires – pour ne pas dire normaux ? « Tu es horrifié par le spectacle de tortures ou d’actes sadiques ? Ça montre que tu voudrais bien être à la place du bourreau ! »

Ce reproche oublierait que les valeurs et les idéaux ont une force qui leur est propre : la morale elle aussi a ses exigences que nous ressentons très fort. A côté de la censure, il y a selon Freud place pour un « idéal du moi ».

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(1) Dorine : Vous êtes donc bien tendre à la tentation ; / Et la chair, sur vos sens, fait grande impression ? / Certes, je ne sais pas quelle chaleur vous monte : / Mais à convoiter, moi, je ne suis pas si prompte ; / Et je vous verrais nu du haut jusques en bas, / Que toute votre peau ne me tenterait pas. (Tartuffe acte II, scène 3)

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