lundi 15 mars 2021

Entre l’être et le néant : l’image – Chronique du 16 mars

Bonjour-bonjour

 

« Happy slapping à Reims où la vidéo montrant des jeunes en train de se faire tabasser est diffusée sur des réseaux sociaux. » Thierry Delcourt, pédopsychiatre, met en jeu le rôle des images, nouvel et unique environnement des adolescents qui faciliterait le passage à l’acte dans des séquences violentes. « Le passage à l'acte, entre le virtuel et le réel, se fait beaucoup plus facilement. C'est-à-dire qu'à un moment donné, on peut faire comme si la réalité était virtuelle, et on va réaliser de façon impulsive des choses sur lesquelles d'habitude, on prend le temps de réfléchir. » (Lire ici)

Cette perturbation de la perception de la réalité n’explique certes pas tout, mais elle constitue un élément tout à fait intéressant : passer à l’acte n’est pas si grave puisque c’est dans une pseudo réalité, une réalité pas tout à fait réelle, et dont l’existence se manifeste par sa présence dans des séquences filmées. Il existerait ainsi une forme de réalité qui serait intermédiaire entre l'être et le néant, faite d’images susceptibles d’avoir été mises en scène et qui sont visionnables en boucle : le réel ne se répète pas, la séquence vidéo si.


Cette perturbation dénoncée comme altérant dangereusement le comportement des jeunes n’est pas nouvelle, mais elle se trouve inversée par rapport à celle qu’on craignait il y a près de 40 ans. On accusait alors les jeux de rôles, nouveau hobby de la génération des années 80 de les mener à confondre le fictif du jeu avec le réel de la vie. Au cours de ces parties, les joueurs interprètent des personnages imaginaires dans un environnement fictif, d'où la crainte de confusion entre la vie réelle et ces rôles inventés - crainte confortée par le fait que certains se seraient donné la mort lorsque leur personnage a été détruit au cours du jeu (1). 

A l’époque on dénonçait la confusion classique qui fait prendre l’image pour la réalité, le virtuel pour le réel. Mais aujourd’hui c’est la confusion inverse qui se produit : on prend le réel pour du virtuel et cela, c’est tout à fait nouveau. À l'opposé des voyous d'Orange mécanique qui jouissent de leur ultra-violence, ici les gestes, les postures, ont perdu leur consistance : puisqu’on peut les voir en image, alors ce ne sont pas des réalités effectives.

- Pour parler métaphysiquement, on a bien encore affaire à la catégorie de « sous-réalité », intermédiaire problématique entre l'être et le néant. Seulement elle n'est plus l'effet de la perte ontologique de l'image "virtuelle" par rapport à son modèle "réel".  

La vidéo n’est pas un double du réel, c’est le réel qui est un double dans la virtualité. Ou pour mieux dire, si ce qui a été filmé perd en même temps son ancrage dans la réalité, c’est parce qu’entre réel et irréel cette pseudo réalité est venue s’intercaler, qu’on la voit et donc qu’on croit pouvoir agir dans cet environnement.

J’entends bien que les jeunes voyous qui se filment en train de tabasser leur victime et qui mettent cela en ligne ne le font pas dans l’innocence de cette pseudo réalité. Mais ce sont les spectateurs de ces images qui le sont : ce n’est pas la même chose d’être témoin de ces violences et de les visionner.

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(1) Rappelez-vous : il s’agissait de ces jeux qu’on appelait « Donjon et dragon ». Mes enfants y ont passé des nuits entières et à l’époque certains craignaient que cela leur détraque le cerveau. Voir ici

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