mercredi 21 avril 2021

Le digestat l’autre nom de la merde – Chronique du 22 avril


 (D’abord, je demande à mes fidèl.e.s lect.rices.eurs de m’excuser s’ils.elles sont en train de petit-déjeuner, mais mieux vaudrait attendre un peu avant d’entamer cette lecture qui risque de leur barbouiller l’estomac)

 

Bonjour-bonjour

 

Les tabous ont la vie dure, principalement dans le langage. On ne cesse d’inventer des périphrases ou des néologismes, rien que pour éviter les mots « sales » - entendez : ne pas imaginer la chose que signifie trop clairement le mot. Oui, ce qu’on veut, ce sont des mots qui ne portent pas avec eux de façon trop évidente la chose repoussante. Ainsi avons-nous « les personnes à mobilité réduite » qui sont en réalité les paralytiques ; les « malentendants », qui sont sourds comme des pots ; ou encore la formule « personnes à la peau noire », qui tend à se substituer péniblement aux « nègres », voire même tout simplement (trop simplement ?) aux « noirs » ? Le temps de tourner ainsi autour du pot, on a déjà oublié la chose pour ne s’en tenir qu’aux mots. S’ils pouvaient être incompréhensibles, ce serait encore mieux.

- Vérifions avec le cas des excréments. En redescendant les niveaux de langage du plus élevé au plus bas, on a : les fèces, les déjections, la merde – tout cela est en effet fort déplaisant parce qu’on y retrouve de façon inévitable cette réalité organique qui nous implique trop. Car ces déchets sont nos déchets et même si on les désigne comme étant issus de l’animal (comme les bouses), c’est encore un moyen de nous abaisser en nous rapprochant de lui.

D’où vient ce dégoût ? Est-il unique en son genre ou bien n’est-il qu’une variante d’un rejet beaucoup plus général ? En réalité ce rejet est extrêmement courant et on le retrouve dans les tabous alimentaires : entre la viande « impure »que nous mangeons et nous il y a une menace de contagion. De même que nous risquons d’être souillés en consommant de la viande impure, de même le nous risquons également avec nos déchets – pire encore : ne sommes-nous pas dans notre nature identifiés à ce que nous produisons ? les tabous excrémentiels donnent à penser que si nous faisons de la m***, alors c’est que nous sommes de la m*** 

Ce qu’il nous faut pour désamorcer ce dégoût, c’est faire de nos excréments une variante d’un phénomène naturel qui ne nous implique pas en tant qu’hommes ; par exemple que nos déjections puissent être produites par des machines au lieu de l'être  par nous-mêmes. 


- Inutile de tourner autour du pot (!) : ce produit analogue à nos excréments mais produit artificiellement par des machines existe et il a un nom : le digestat. Définissons : 

Digestat – Ce sont les résidus, ou déchets « digérés », issus de la méthanisation des déchets organiques. Le digestat est constitué de bactéries excédentaires, matières organiques non dégradées et matières minéralisées. Après traitement il peut être utilisé comme compost. (Lu ici) Autrement dit, on fabrique le digestat dans des usines à méthanisation, mais nous en avons une, déjà fournie par la nature : c'est notre système digestif.


Concluons : vous vous souvenez peut-être de la formule de Rabelais « Si les signes vous fâchent, O combien vous fâcheront les choses signifiées ! » : il ne suffit pas de dire d'une autre façon la réalité qu’on veut exclure : il faut la changer elle aussi.

--> Trouver un nom nouveau pour une chose nouvelle : voilà comment désamorcer le dégoût.

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