lundi 25 mai 2020

J’ai bobo à mon ego – Chronique du 26 mai 2020

Bonjour-bonjour

Durant deux mois nous avons vécu une situation proche de celle de l’incarcération, la misère et les mauvais traitements en moins. Ou peut-être serait-il plus réaliste de comparer cette situation de confinement à ce que vivent les moines ? Mais choisir l’un plutôt que l’autre est de peu d’importance, vu que la situation carcérale a été conçue et inspirée par le vécu monastique. Ce qui veut dire que la solitude voulue pour les prisonniers a été imaginée comme un moment de méditation et de macération au cours duquel l’âme se ressaisit et réévalue les objectifs qu’elle s’était donnés.
Aujourd’hui, si j’en crois notre insistance à distinguer entre « le monde d’après » et « le monde d’avant », nous avons appliqué à nous-mêmes cette situation, vivant le confinement comme l’occasion à ne pas manquer de ranger la maison et de vivre dans un ordre rationnel ; de cuisiner moins gras, plus diététique, plus écolo-compatible ; et/ou de se mettre au piano, à l’aquarelle, à l’écriture, etc.  
Bref, nous avons cru que les circonstances étant favorables, nous pouvions progresser indéfiniment dans une direction que nous avions choisie. Et ce faisant nous avons cru que nous étions capables de tout à condition de le vouloir. D’où la déception lors du déconfinement : nous n’avons peut-être pas réalisé ce que nous voulions, et tout ce que nous avons découvert durant cette période, c’étaient nos limites.

Ah ! chers amis, je sens que je viens de toucher un point sensible et de provoquer une « blessure narcissique ». Car l’idée que vous n’étiez pas capable de réaliser ce à quoi vous aspiriez, que vous n’aviez pas le niveau pour cela et que vous ne pouviez pas espérer y parvenir – que vous n’étiez pas « doué » comme vous l’espériez – voilà qui vous fait mal à l’ego.
« Je suis un incapable ! » Croyez-vous cela ? Savez-vous de quoi vous êtes capable ? Êtes-vous stoïcien au point de croire que la Nature, et la vôtre en particulier, est faite de lois immuables et que ses productions sont dotées de limites prédéterminées ? Ce qui n’a pas été possible aujourd’hui ne serait-il pas demain ? J’entends bien que certaines capacités sont soumises à des contraintes physiologiques et qu’elles ne peuvent que régresser au cours de la vie : les sportifs de haut niveau savent que leurs performances vont, à partir d’un certain âge, décliner inexorablement, et le violoniste que les articulations de ses doigts vont peu à peu se durcir. Mais il y a un organe qui est capable de plasticité tout au long de la vie, c’est le cerveau. Je suis persuadé que le mien s’est développé depuis que je ne travaille plus (1). C’est d’ailleurs quelque chose de bien connu : le cerveau humain est sans doute le même depuis 100.000 ans et pourtant les opérations qu’il effectue ont changé complètement. Piloter une voiture à 300 km heure, utiliser les touches virtuelles d’un Smartphone, se déhancher en rythme sur les dancefloors d’Ibiza, voilà qui était déjà virtuellement à la portée de monsieur et de madame Cro-magnon. Quant à tailler une pointe de flèche dans un silex, nos archéologues ont réappris à le faire, même s’ils restent encore bien gauches.

Bref : vous n’êtes pas encore capable de maitriser le violon et lorsque vous poncez un plancher, ça vous donne une idée du chaos ? Ne vous désespérez pas ! Attendez plutôt le prochain confinement – ou la retraite.
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(1) Je veux dire « je ne travaille plus professionnellement ». Car passer son temps à corriger des dissertations ça rend idiot.

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