samedi 16 mai 2020

La loi de Weber-Fechner appliquée au déconfinement – Chronique du 17 mai 2020

Bonjour-bonjour

Les sorties dans les villes ou les forêts hier après-midi ont eu quelque chose d’un peu exceptionnel : elles ont été capables, malgré leur apparente banalité, de produire du bonheur.
« Quand on voit le monde ça change, c’est agréable et réentendre les bruits de la circulation », déclare Cédric Murie, Rémois (et il n’est pas le seul, voir ici)

- Cédric est-il heureux ? Sortir de chez soi, respirer dans la rue voir d’autres gens qui font la même chose : suffit-il de si peu ? Oui, et pour autant qu’on en a été privé trois pas sur le bitume suffisent à notre bonheur. A moins qu’il ne s’agisse de la joie spinoziste, faite de la perception de seuil ?  Un peu plus de plaisir et c’est la joie, un peu moins et c’est la tristesse.
Mais quoiqu’il en soit, cette perception est variable selon l’état initial : privé de tout, la moindre amélioration est ressentie ; dans l’opulence, il en faut au contraire beaucoup plus pour être ému.  

- Il en est des émotions comme des sensations en général : elles s’amenuisent par l’effet de l’accoutumance et elles nécessitent un différentiel de degré pour réapparaitre. Je fais ici allusion à la loi des seuils de Weber-Fechner (contre la quelle ferrailla Bergson dans son Essai sur les données immédiates de la conscience). L’exemple simple est celui de la perception des seuils différentiels de poids :  si nous sommes capables de sentir la différence entre 100 grammes et 110 grammes, soit 10 grammes de plus, il nous faudra au minimum 100 grammes de plus pour percevoir un poids juste supérieur à 1 kilo, soit 1100 grammes. C’est relativement intuitif, et ça montre à quel point notre sensation est subjective. Mais ce qui se passe en ce moment nous le montre : il faut élargir cette loi des seuils de Weber-Fechner à toute sorte de sensations ou d’émotions, tels que la satisfaction et le bonheur.

Bref : Cédric est heureux c’est sûr – le sera-t-il encore demain, ce n’est pas sûr, sauf à supposer qu’il n’ait été reconfiné entre temps. La leçon à retenir pour le pouvoir est qu’il n’importe pas que le peuple soit opprimé, ce qui compte, c’est de lui rendre ses libertés très progressivement, au compte-goutte, pour qu’il se réjouisse à chaque fois.
Ainsi du personnel soignant sous-payé et soumis à des conditions de travail démentes. Ne pas tout lui rendre d’un coup, mais peu à peu, en prétextant par exemple les finances de l’État ou les capacités de formation ; et puis régulièrement desserrer les cordons de la bourse ou le carcan des horaires.
… Mais les élites qui nous gouvernent connaissent sans doute déjà la loi de Weber-Fechner ; sinon qu’est-ce qu’elles iraient faire à l’ENA ?

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