mercredi 13 mai 2020

Vidéo-Skype, la nouvelle dystopie ? – Chronique du 14 mai

Bonjour-bonjour

Hier j’abordais un peu superficiellement le monde virtuel dans lequel nous vivons à présent : je disais alors combien il était frustrant pour les jeunes amoureux de se voir ainsi sans se toucher. On aurait tout aussi bien pu évoquer les vieilles personnes qui, du fond de leur Ehpad rencontrent leurs petits enfants par l’intermédiaire de l’écran du portable. Enfer ou paradis ?

Le monde de l’image et du son, à l’exclusion de tout ce qui nous parvient par les autres sens, délimite les contours de cette « réalité virtuelle » que nous pouvons transmettre pardessus les océans à la vitesse de la lumière. Après tout pourquoi s’en plaindre ? On nous dit d’ailleurs que c’est le progrès et que le travail dans de nombreuses entreprises va continuer à se développer ainsi : les travailleurs ne se rencontreront si c’est nécessaire que par écrans interposés et selon des modalités très précises décidées par le concepteur du logiciel de téléconférence. Mais quand bien même ces modalités seraient largement adaptables, on n’aurait de toute façon plus de hasard dans les rencontres – par exemple à la machine à café – et plus de présence humaine.
Certaines diront : « Bravo ! Plus de main aux fesses non plus, ça va nous faire des vacances. »
D’autres déploreront la perte de cette présence humaine indéfinissable qui irradie des personnes – présence qu’on peut intuitionner mais jamais analyser. Mais tout aussi concret, c’est la perte de l’enracinement de l’entreprise dans des lieux communs, des travailleurs dans des groupes et des équipes, bref, c’est l’unité de l’entreprise, entendue comme réalité physique et équipes soudées qui va disparaitre. Ne risque-t-on pas de se heurter alors à des mécanismes liés à l’existence de l’espèce humaine, mécanismes sociaux qui se traduisent par une tendance des êtres humains à privilégier les rapports de voisinage sur toute autre expérience ? 
J’essaie de deviner à quoi ressemblerait – ressemble déjà ici ou là – ces nouvelles entreprises. Comme seule correspondance avec mon expérience d’enseignant, je tente d’imaginer une classe de « télé-enseignement » comme on a pu la pratiquer durant le confinement. C’est sans doute plutôt avantageux dans la mesure où chaque interaction est limitée à un cadre bien précis et jamais susceptible d’être perturbé par un évènement extérieur. Mais comment faire une tâche commune quand chacun est totalement isolé des autres ?
D’ailleurs les humains n’auraient-ils pas tendance alors à se regrouper quand même selon les occasions qui se présentent ? Les dystopies sociales ne font-elles pas justement de cet isolement le pire cachot où enfermer la liberté des hommes ?

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