Bonjour-bonjour,
« Le chef du groupe terroriste État islamique au Grand Sahara est mort à la suite d’une frappe de la force Barkhane » a tweeté la ministre française des Armées Florence Parly
De son côté Emmanuel Macron a déclaré : « Adnan Abou Walid al Sahraoui, chef du groupe terroriste État islamique au Grand Sahara a été neutralisé par les forces françaises. »
Bon : ce chef terroriste est mort, suite à une frappe de l’armée française, mais nous ne l’avons pas tué ; nous l’avons neutralisé. (Lu ici)
Triomphe de la litote et de l’euphémisme, le vocabulaire des armées regorge de formules douces à entendre. C’est de la même manière que pour répondre aux attaques barbares et lâches de nos ennemis, certains de nos soldats meurent en héros. On a là une rhétorique bien connue, très ancienne et très générale : faut-il encore en parler ? – Je pense que oui, parce que, même bien connu, le procédé reste efficace et en tout cas révélateur d’une attitude qui cherche à se dissimuler. Et puis il est peut-être toujours utile de décrypter le procédé, histoire de ne pas en être la victime.
Côté rhétorique, il s’agit simplement ici de remplacer un mot jugé sans doute trop précis par un autre qui laisse flotter une indétermination. Car, si un homme est notre ennemi au quel on a le droit d’infliger la mort, c’est seulement en tant qu’il est un soldat. Dès lors qu’il est désarmé et devenu inoffensif, on doit lui appliquer la Convention de Genève, c’est à dire le faire prisonnier jusqu’à la fin des hostilités, bien le traiter et le rapatrier la paix revenue. Ça, c’est ce qu’on croit comprendre quand on nous parle de « neutralisation ». Mais on peut aussi le neutraliser en le faisant exploser par un missile : le résultat est le même, seul le procédé diffère.
Côté communication, c’est l’image de l’armée qui est en jeu et c’est elle qui explique ce glissement rhétorique. Il s’agit de faire oublier la violence dont les soldats sont porteurs, et le sang qui éclabousse, et les membres déchiquetés...
D’ailleurs, les campagnes de recrutement sont là pour le vérifier. Voyez ces affiches :
Pour encourager les jeunes à devenir soldats, il n’est question que de trois choses : le développement personnel, comme ici ; ou de missions humanitaires, au service des victimes ; ou le prestige de l’uniforme. Rien de la violence sauvage infligée à l’ennemi – et rien non plus de la mort dont le soldat est menacé à chaque instant.
S’agit-il de soigner l’image de l’armée dans l’opinion publique ? Sans doute. Mais n’oublions pas qu’on recherche constamment à rapprocher les lois de la vie sociétales de celle de la guerre. Ce qui est une mission quasi impossible, au point que les soldats américains après la guerre de Corée ont été internés dans des camps pendant plus de 6 mois afin d’oublier les atrocités subies et commises et de ne pas être enclin à les reproduire dans la vie civile. Faute de mieux, il ne reste qu’à le faire croire.
Que le même homme puisse vivre en paix comme un bon père de famille, alors que 6 mois plus tôt il mitraillait des ennemis et éventuellement violait ou torturait des prisonniers (comme durant la guerre d’Algérie) – voilà ce qu’il ne faut surtout pas montrer.
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