jeudi 11 mai 2023

La défaite de la démocratie – Chronique du 12 mai

Bonjour-bonjour

 

La démission fracassante du maire de Saint-Brévin qui renonce à ses fonctions après avoir été victime de l’incendie volontaire de sa maison fin mars a fait l’effet d’un coup de tonnerre : on semble découvrir à cette occasion cette attaque contre un élu à propos d’une décision (qui n’était pas de son fait) de l’implantation d’un centre d’accueil pour migrant dans la commune. (Lire ici)

Que ce soit un « attentat terroriste » de l’extrême droite fait peu de doute, mais personne n’oublie que ce genre d’attaque prend place dans une longue série de menaces et de violence contre les élus – députés ou territoriaux – qui émaillent les crises politiques depuis les Gilets-Jaunes. 

--> N’oublions pas que ce genre d’actes illustrent parfaitement une faillite de la démocratie : celle de l’acceptation de décisions majoritaires.

Car là est le problème : que peut la démocratie quand les votes ne suffisent plus à déterminer qui va gouverner ? Certes, dans certains cas on peut croire qu’une valeur fondamentale annule une décision de la majorité : comme par exemple d’accepter des migrants. On a affaire à la « double légitimité » (dont nous avons parlé précédemment (voir ici)). Mais bien souvent aucun discours, qu’il soit politique ou idéologique, ne vient soutenir un tel refus comme le rappelle le cas de Sainte Soline

Mais quand bien même on voudrait croire à la nature démocratique de la situation, la violence suffirait à prouver le contraire. Pour les opposants discuter ne convient plus parce qu’à priori on refuse la possibilité de renoncer - même partiellement - à son projet. On est dans le « tout ou rien », comme le montre abondamment la loi sur le recul de l’âge de départ en retraite. En démocratie la décision unanime qui doit précéder le vote consiste à accepter de se soumettre à la majorité. Partout où cette loi est piétinée, la violence s’impose.

La violence n’est pas une alternative à la démocratie dans la mesure où elle n’assure aucune vie sociale fructueuse : au Soudan elle aboutit à une guerre des chefs, dans la quelle le peuple n'a que la mort à récolter.

mercredi 10 mai 2023

La petite sirène et Disney – Chronique du 11 mai

Bonjour-bonjour

 

Les studios Disney s’apprêtent à sortir une nouvelle version de La petite sirène, tournée cette fois avec de véritables acteurs. Et c’est cela qui fait polémique.

Voyez donc le montage ci-dessous : 

 


A gauche la version film d’animation de 1989 ; au centre l’affiche du film de 2023 ; et à droite Halle Bailey, l’actrice qui l’incarne aujourd’hui.

- Imaginons le débat entre un spectateur courroucé par le choix de l’actrice, face à un responsable du casting.

Le Spectateur : Non ! Jamais je n’aurais imaginé qu’on pourrait trahir le conte d’Andersen à ce point !

Le Casteur : Mais enfin, vous ne la trouvez pas charmante cette petite Halle ? Et puis, si vous avez vu le film, vous aurez remarqué son caractère, sa détermination… 

Le S. : Et qu’importe ? Elle est noire, vous l’aviez remarqué ?

Le C. : Ah…C’est ça qui vous gêne… Et pourquoi donc ? Nous vivons entourés de femmes et d’hommes de toutes les couleurs vous savez ; ça ne nous gêne plus depuis longtemps.

Le S. : Mais oui, je le sais. Sauf que là nous ne sommes pas dans la rue, ni dans une mer tropicale. Nous sommes dans un conte d’Andersen qui est pétri de notre culture scandinave. Croyez-vous qu’au Danemark on risque de trouver de sirènes noires avec des dreadlocks ?

Le C. : Croyez-vous, monsieur le spectateur que les sirènes existent réellement ?

Le S. : Non bien évidemment.

Le C. : Si elles n’existent pas réellement, on a bien le droit de les imaginer comme l’on veut, du moment qu’il y a une queue de poisson quelque part, ça marche.

Le S. : Non, monsieur le Casteur, ça ne marche pas ! La Petite sirène doit obligatoirement avoir des cheveux blonds et la peau blanche – et en plus c’est une femme menue et non une star hollywoodienne avec des nichons qui débordent de partout.

Le C. : Alors selon vous nous n’avons pas le droit de l’imaginer comme bon nous semble ? Et pourquoi je vous prie ?

Le S. : Parce que notre culture est aussi notre identité et que nous avons un droit imprescriptible à ce qu’elle soit préservée.

Le C. : Ah… Je vois : monsieur le Spectateur est woke.

mardi 9 mai 2023

Êtes-vous « woke » ? – Chronique du 10 mai

Bonjour-bonjour

 

Aujourd’hui les débats parlementaires sont souvent ponctués d’invectives accusant l’adversaire de « wokisme ». Être « woke » est semble-t-il une insulte au point que chacun se retrouve un jour ou l’autre affublé de ce terme. Mais quand on veut comprendre de quoi il s’agit, alors on est perdu : tantôt utilisé pour caractériser un féministe radical (usant par exemple de l’écriture inclusive), tantôt pour stigmatiser un aveuglement dans le respect des ancêtres (allant jusqu’à déboulonner certaines statues dans les rues), ou encore pour dénoncer l’appropriation culturelle à propos de l’usage d’un nom venu d’ailleurs… On est pris de vertige

 

Bref, vous l’aurez compris, être woke signifie à peu près tout ce que l’on veut (1). C’est ainsi que le mot a pris chez nous à peu près le sens de refus de la culture nationale au profit des « cultures » de minorités variées, à commencer par celles de communautés exotiques – on aura compris que c’est là un combat porté par l’extrême droite. Mais l’éventail politique est aussi large que sont nombreuses les attributions du terme.

 

Est-il nécessaire de comprendre le terme woke – y compris quand on l’emploi soi-même ? 

Selon Wittgenstein les mots n’ont pas de sens d’après des concepts définis une fois pour toutes dans des dictionnaires, mais seulement dans le contexte d’un échange verbal (lire ici). Il serait même dangereux de croire qu’on possède un sens définitif et essentiel du mot woke en entrant dans un débat où votre adversaire organise son discours autour de tout autre chose que ce que vous imaginez.

 


… Au fond il n’y aurait aucun inconvénient à le remplacer par le vocable « schtroumpf »

 

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(1) Initialement le mot « woke » signifie être éveillé donc conscient des injustices subies par … qui on veut selon le contexte (voir ici)

lundi 8 mai 2023

Gabriel Attal en lutte contre la fraude fiscale – Chronique du 9 mai 2023

Bonjour-bonjour

 

Pour ceux qui aiment philosopher en suivant l’actualité, la déclaration du ministre des Comptes publics est une véritable mine.

Lisons ici

D’abord, une redéfinition de la citoyenneté : sera proposée « une sanction d'indignité fiscale et civique » consistant – entre autres – en une privation du droit de vote pendant une certaine durée ». On devine que, derrière cette sanction, il y a comme une philosophie de l’impôt alignant la citoyenneté sur la contribution fiscale.

Que disent les Droits de l’homme et du citoyen (1789) à ce propos ? Les articles 13 et 14 (1) stipulent que chaque citoyen doit contribuer à la dépenses publiques à proportion de ses facultés. Donc l’impôt est dû pour service rendus, mais rien qui soit fondé sur une obligation fondamentale. On se demande alors où donc notre Gouvernement est allé chercher sa philosophie de l’impôt ? Probablement du côté de la gauche pour laquelle l’impôt a de surcroît la fonction d’assurer la redistribution des richesses – il y a du Thomas Piketty là dessous.

Ensuite, Gabriel Attal explique combien la fraude est proportionnelle à la richesse : « Chaque fraude est grave, mais celle des plus puissants est impardonnable ». Les riches sont dotés d’une responsabilité morale qui est proportionnelle à leur ressources : on ne saurait mieux dire : Gracchus Babeuf n’est pas loin !

… Pourtant la lecture ne s’arrête pas là : « un délit d'incitation à la fraude fiscale, passible de trois ans d'emprisonnement et d'une sanction pécuniaire" sera créé "pour poursuivre les intermédiaires qui fournissent des kits juridiques clés en main pour frauder ».

Quoi ? Il existe aujourd'hui des « kits juridiques pour frauder » ? Des fraudes seraient parfaitement légales en fonction de ces manipulation juridiques – toutes parfaitement légales – et on nous parle de faute morale, alors que par ailleurs la fraude est aussi légale ? 

--> Alors que monsieur Attal s’en prenne à ces officines n’est pas suffisant : c’est la législation fiscale qu’il faut repenser et refaire.

Vaste chantier…

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(1) Article 13

Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14

Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité́, l'assiette, le recouvrement et la durée.

dimanche 7 mai 2023

Dis-moi quel est ton prénom… – Chronique du 8 mai 2023

Bonjour-bonjour

 

Aux Etats-Unis une institutrice a publié sur Internet une liste des prénoms des élèves les plus turbulents en classe. D’autres profs ont alors joué le jeu en ajoutant des prénoms

Le résultat ?

- Voici les prénoms d’élèves perturbateurs

            * Parmi les prénoms de filles, on trouve Kayla, Layla, McKayla, Kenzie, McKenzie, Faith, Haven, Heaven, Hope, Trinity, Tiffany, Brittany, Ashley, Angel, Stephanie, Bethany, Melinda, Miranda et Keyana.

            * Côté garçons, on trouve : Travis, Chase, Dash, Jeremiah, Joaquin, Michael, Julian, Carmine, Logan, Legend, Ashton, Alfonzo, Angel, Brandon, Bradley, Dakota, Cayden, Cody, Christian et Landon. (Tout ça lu ici)

 

Alors bien sûr tous ces prénoms ne signifient rien chez nous, mais l’essentiel n’est pas là : on trouverait facilement des équivalents – on sait déjà que Kévin ferait partie de la liste. Ce qu’il faut admettre, c’est que le prénom donné plus ou moins arbitrairement à la naissance est considéré comme significatif pour la vie entière de l’enfant.

Ceci renvoie au moment où les parents décident du prénom que leur enfant à naitre va porter ; d’ailleurs notons que les échographies en dévoilant le sexe du bébé à naitre ouvre largement le moment du choix. Alors il y a ceux qui vont choisir un prénoms à la mode, porté par beaucoup d’autres enfants ; et puis ceux qui au contraire voudront que leur enfant n’en rencontre jamais un autre né la même année et portant le même prénom – un prénoms singulier.

Mais il y a aussi ceux qui vont le choisir en fonction de la part de chance qu’il est censé apporter à l’enfant ; et réciproquement, ceux qui commencent en éliminant les prénoms mal famés : la liste américaine devait sans doute servir à cela.

Autrefois la naissance était déterminante en fonction du signe astrologique ; aujourd’hui c’est en fonction du nom.

samedi 6 mai 2023

Un despote éclairé bien à nous – Chronique du 7 mai

Bonjour-bonjour

 

Deux professeurs de philosophie viennent d’être suspendus pour avoir tenu sur tweeter des propos jugés attentatoires à l’image et à la réputation de l’école publique. (Voir ici)

- On leur reproche ainsi de ne pas avoir respecté leur « devoir de réserve ». Devoir qui se définit ainsi : « Le devoir de réserve désigne l'obligation faite à tout agent public de faire preuve de réserve et de retenue dans l'expression écrite et orale de ses opinions personnelles.

L'obligation de réserve n'est pas conçue comme une interdiction d'exercer les droits élémentaires du citoyen : liberté d'opinion et liberté d'expression.

Le devoir de réserve ne concerne pas le contenu de vos opinions, mais leur mode d’expression. » (Lire ici)

- On devine qu’ici le mode de transmission a été jugé déterminant : les profs en question auraient bien pu dire ce qu’ils pensaient dans la salle des profs, mais pas sur tweeter où ils ont 100000 abonnés.

- Oui, mais alors, quelle liberté de penser nous reste-t-il dès lors qu’on ne peut communiquer ses opinions personnelles ? Le devoir de réserve n’est-il pas un attentat à la liberté dès lors que l’État s’arroge le droit de gouverner comme bon lui semble des pensées venues de la sphère privée ?

 

On sait que Kant préconisait une totale liberté sous réserve pour le monarque éclairé (= Frédéric 2) d’avoir une police assez forte pour en réprimer les effets. Il va même jusqu'à penser que le despotisme éclairé peut donner plus de liberté que la simple démocratie :

« Mais aussi, seul celui qui, éclairé lui-même, ne redoute pas l'ombre, tout en ayant sous la main une armée nombreuse et bien disciplinée pour garantir la tranquillité publique, peut dire ce qu'un État libre ne peut oser : " Raisonnez tant que vous voudrez et sur les sujets qu'il vous plaira, mais obéissez ! » (Kant - Qu’est-ce que les lumières ?)

 

Vous avez bien lu : " Raisonnez tant que vous voudrez et sur les sujets qu'il vous plaira, mais obéissez ! » Ne s’agit-il pas d’une devise pour la démocratie française ?

 Mais alors, il est où, notre despote éclairé ?

Monsieur Macron a encore bien du travail devant lui.

vendredi 5 mai 2023

Le jour où la pluie viendra – Chronique du 6 mai 2023

Bonjour-bonjour

 

Hier une procession a été organisée à Draguignan en présence de l’évêque, pour « demander la pluie » dans une région fortement touchée par la sécheresse. « Nous allons reprendre les traditions de nos anciens et processionner pour demander au Ciel de penser à nous », déclare sur sa page Facebook la paroisse de Draguignan. « Le peuple chrétien prend acte d’une problématique, à l’image du manque d’eau. Et il s’adresse à Dieu pour lui demander son intervention », ajoute l’évêque de Fréjus. (Lire ici)

Le manque d’eau est donc une « problématique », à laquelle le recours à Dieu peut apporter une réponse technique. Curieuse déclaration n’est-ce pas ? Comme si les hommes de Provence, constatant le niveau exagérément bas des nappes phréatiques se disaient « Il faut faire quelque chose. Allons demander à l’église de faire le nécessaire pour que la pluie revienne. »

- On le sait, nos anciens ne raisonnaient pas du tout comme cela ; ils pensaient que l’absence de pluie signifiait que Dieu manifestait son courroux et les punissait en laissant le pays se dessécher. Il fallait donc faire des processions et des prières, mais pas comme on exécute une ordonnance en sortant de chez le médecin, mais bien comme un effort pour changer notre attitude vis-à-vis de Dieu et obtenir ainsi son pardon.

C’est que le monde d’autrefois était un « monde enchanté », comme disait Max Wéber signifiant ainsi que la magie était une technique de salut, alors qu’aujourd’hui le monde est devenu strictement rationnel : aucune finalité à rechercher dans les faits naturels, aucune volonté supérieure, aucun message à nous adressé. C’est vrai. Mais dans le même temps, les évènements qui jalonnent notre vie ont perdu leur sens : ainsi de la maladie, jadis preuve d’une volonté divine de nous sanctionner pour nos excès – et qui frappe aujourd’hui un peu au hasard. Le dernier né est mort ? Autrefois, on aurait pensé que Dieu l’avait rappelé à Lui ; aujourd’hui on se dit que c’est probablement une malformation génétique, ou alors les services médicaux n’ont pas été à la hauteur. 

Nous sommes seuls face à nous-mêmes et à notre raison raisonnante. C’est pourtant dans un rapport personnel avec le monde que nos ainés comprenaient la vie ; ils n’en tiraient pas grande efficacité ; en revanche leur vie n’était pas absurde et ils ne se décourageaient pas d'obtenir des miracles.

Aujourd’hui, seuls les écologistes radicaux parviennent à vivre la Nature comme si elle était un être vivant doué de volonté avec la quelle ils pouvaient se réconcilier.