Bonjour-bonjour
Ces jours-ci, pris dans une médiation déprimante, je me répétais Never more, ces mots qui rythment le poème d’Edgar Poe. Plus jamais… je me redisais ces phrases que Baudelaire avait tirées des strophes où ce lugubre corbeau, perché sur le buste de Pallas, célèbre le « de profundis de l’espérance », nous invitant à comprendre qu’il est plus raisonnable de désespérer. Et lorsque dans nos fantasmes nous croyons trouver le népenthès, ce breuvage magique doté du pouvoir de répandre la joie et la gaieté dans nos âmes, le corbeau est là, encore et toujours, pour nous dire « Plus jamais ».
Plus jamais nous n’aurons droit à la douce chaleur de l’aimée, plus jamais à ces tendres émotions que suscite la rencontre amicale, plus jamais le souffle du printemps sur notre visage ? Oui, quand tout cela est définitivement, irréversiblement perdu, n’est-il pas plus raisonnable de désespérer ?
Mais morbide ou pas, cette méditation doit s’achever, car elle n’est rien d’autre qu’une l’illusion alimentée par le venin d’un romantisme malsain. Nous devons nous secouer et rejeter la prétention de cet oiseau de malheur, qui n’est pas seulement de nous annoncer la perte de ce qui faisait notre bonheur, mais plus radicalement, de nous faire croire qu'il est impossible d'en rêver. Tous ces souvenirs bienfaisants, lorsque nous étions dans la tendre chaleur des bras de notre amante, ou simplement en rêve dans l’ivresse du vin nouveau sous la tonnelle – tout cela, à jamais disparu ? Inaccessible ? Never more ?
--> Pas du tout ! Car si la réalité nous dit « Désespère ! » notre imagination nous dit « Rêve - et jouit de tes rêves ! Car jamais personne ne pourra t’en empêcher, personne ne pourra te priver du pouvoir de l’imagination qui te donne exactement ce dont tu as besoin pour vivre. » Quand le réel se dérobe, la fiction prend le relai. D’ailleurs l’a-t-elle jamais quitté ? Ce que nous appelons le réel est-il autre chose que du fantasme plaqué sur la réalité ?
Le Corbeau d’Edgar Poe n’est qu’un prophète, il n’est pas un magicien. Il ne peut rien sur nos chimères, sauf si nous lui en donnons le pouvoir.
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