jeudi 21 janvier 2021

Je sais que je ne sais rien – Chronique du 22 janvier

Devant le tribunal qui l’accuse de prétendre tout savoir et de dogmatiser pour endoctriner la jeunesse, Socrate rétorque qu’il est en effet le plus sage de tous les athéniens, parce qu’alors que ceux-ci on l’arrogance de croire qu’ils savent, lui, Socrate, sait qu’il ne sait rien – et ce savoir n’est pas minuscule. 

 

Bonjour -bonjour

 

« Je sais que je ne sais rien » : comment ne pas se remémorer cette phrase, alors que de partout viennent les déclarations de gens totalement ignorants de ce dont ils parlent, mais qui n’en affirment pas moins avec véhémence savoir comment on aurait dû agir. Que ce soit sous le nom de fakenews ou d’infox, cette morgue irritante est devenue la marque de fabrique de notre époque. Mais ne nous hâtons pas de dénoncer l’influence pernicieuse des « réseaux sociaux » : lorsqu’ils n’existaient pas on avait exactement le même phénomène ; simplement ces affirmations péremptoires avaient lieu au comptoir du « Café du commerce » selon l’expression proverbiale, ça ne concernait qu’une dizaine de personnes – mais c’était la même chose.

Rappelez-vous : 1998, la France joue la coupe du monde de foot et la rumeur fait rage : le sélectionneur Aimé Jacquet n’a pas su constituer l’équipe idéale et le pays va être humilié par les nations concurrentes. Un mois plus tard, la coupe conquise, Aimé Jacquet ironise : « La France comporte 60 millions de sélectionneurs ». Hier à Saclay, Emmanuel Macron fustige l’attitude de l’opinion publique qui critique l’action du gouvernement : « La France est devenue une nation de 66 millions de procureurs. » Se remémorait-il la phrase d’Aimé jacquet ? Peut-être, mais l’essentiel est que désormais via les médias actuels, chacun peut prendre l’attitude du spécialiste et se permettre de juger comme tel. Un exemple de plus pour préciser cette réalité ? Voici les propos de Christine Angot, parlant de l’inceste dont a été victime le beau-fils d’Olivier Duhamel, et dont elle fut elle-même victime : « …des gens sur les réseaux sociaux. Tout d'un coup, tout le monde sait quoi dire et comment dire. Tout un tas de gens m'ont l'air d'avoir su de toute éternité de quoi il était question ! »

On croit relire Platon et on mesure combien cette prétention à décider du vrai et du bien est universelle. Pourquoi pas après tout ? Nous sommes en démocratie et chacun a le droit d’exprimer son opinion. Mais, la vérité n’est pas affaire d’opinion : elle dépend de l’accord entre nos jugements et la réalité sur laquelle on les émet.

Or le problème est que le plus souvent on prend pour vrai, en toute sincérité, ce qui nous parait souhaitable, et non ce qui a été prouvé. Et comment prouver? En faisant comme si l'opinion qui nous vient n'était pas démontrée, comme si on ne savait pas encore ce qu'il fallait penser. 


- En dehors de la preuve aucune vérité ne saurait exister, et on devrait graver en lettres d’or la formule de Bachelard :

« Toute vérité est une erreur redressée »

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