vendredi 13 janvier 2023

Y a-t-il un droit à la haine ? – Chronique du 14 janvier

Bonjour-bonjour

 

Le harcèlement à l’école revient dans l’actualité avec le dramatique suicide du jeune Lucas, un garçon de 13 ans, harcelé par ses camarades pour son homosexualité.

Ce cas ayant été connu et traité avant son issue fatale, on reste dans l’incompréhension devant l’impuissance des mesures éducatives prises en vue de faire comprendre que le harcèlement est un mal et qu’il n’est pas permis de s’y livrer. Malgré les mesures pour y parer, le harcèlement est devenu un fléau dans les écoles ; on se demande alors si ces échecs répétés ne montrent pas que seule la répression a une chance de réussir – à condition qu’elle soit possible dans un domaine où la furtivité est la règle. C’est que la haine qui s’exprime de façon détournée dans ce comportement est ressentie comme un droit.

Pour parler comme Spinoza, le mal ou l’imperfection que nous décelons en autrui ne nous donnerait-il pas un droit à nous en moquer ou à le haïr ? Car, comme le dit Spinoza, haïr quelqu’un, c’est être « attristé » par la blessure que nous inflige son existence ou son comportement. 


Y aurait-il donc un droit à la haine ?


On vient de le dire : pour Spinoza, haïr quelqu’un, c’est imaginer que cette personne est la cause de nos tristesses. Donc si je me moque d’une personne, c’est que je cherche à la tourner en dérision, à la blesser et à lui renvoyer la tristesse qu’elle me cause. J'ai le droit à faire souffrir l'autre parce que c'est lui qui a commencé.

- Donc, oui, je peux haïr et chercher à blesser celui qui me fait du mal à condition :

            * qu’il en soit responsable : je me moquerais à tort de quelqu’un qui a une disgrâce physique, parce qu’un nez tordu ou des yeux qui louchent ne dépendent pas d’une décision du malheureux qui en est affecté. 

            * qu’il s’agisse bien d’un mal – car peut-être nous trompons-nous en le croyant, le mal étant souvent une vision incomplète d’un bien. 

--> Mais, même si une personne était responsable d’un mal authentique, il ne s’agirait pourtant pas de la haïr : ici, la devise de Spinoza est : « Ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre. » (Traité politique). Plutôt que de haïr mieux vaut aider la personne à se corriger. (Cf. le Court Traité, II ch.9 - Lire en annexe) 

Le problème posé par le harcèlement est la bonne conscience des coupables, qui justement ne se sentent absolument pas coupables : les harceleurs se sentent justifiés à faire souffrir le jeune Lucas : n’était-il pas homosexuel ? Un « pédé », dont l'existence même est un délit et qu’on a le droit de détester et de harceler faute de pouvoir le dénoncer à la police.

Hélas ! Ici la pédagogie spinoziste risque bien d’échouer : ces harceleurs trouvent un plaisir à faire souffrir et rien de rationnel ne pourra les en dissuader. Restent deux choses : ou bien l’éducation morale ; ou bien la répression.

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De la raillerie et de la plaisanterie

- La raillerie et la plaisanterie naissent d'une fausse opinion et manifestent une imperfection soit dans le railleur, soit dans le raillé. Elles reposent sur une fausse opinion, parce qu’on suppose que celui dont on se moque est la première cause de ses actions et qu'elles ne dépendent pas (comme les autres choses) de la nature de Dieu d’une manière nécessaire. Elles supposent une imperfection dans le moqueur, car de deux choses l'une : ou la chose dont il se moque mérite la raillerie, ou elle ne la mérite pas ; si elle ne la mérite pas, c'est évidemment un travers de railler ce qui n'est pas à railler ; si elle la mérite, c'est donc que le railleur reconnaît dans sa victime une imperfection quelconque ; mais alors ce n'est pas par la raillerie, mais par de bons conseils, qu’on doit chercher à le corriger. (C.T. II, ch. 9)

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