dimanche 12 avril 2020

Journal d’un vieux confiné – 13 avril 2020 Aujourd'hui : Egon Schiele et la peinture crue

Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.


Bonjour-Bonjour

Vous vous rappelez sans doute que dans un précédent discours le Président nous suggérait d'occuper ce confinement en nous souciant de nos proches, ou alors avec la lecture, la musique, la culture en général. 
- Aujourd’hui, les chaines télé se partagent en 2 : celles qui nous donnent des conseils culinaires et celles qui nous présentent des doc culturels.
Dans cette veine je reprends ce matin une réflexion issue d’un de ceux-ci : Egon Schiele, la peinture crue.

Alors laissez de côté l’ironie facile du genre : « C’est bien la peine de rejeter les recettes de cuisine si c’est pour nous parler de peinture crue ». Allons plutôt à l’essentiel à partir d’une œuvre de ce peintre :




Pour illustrer cette réflexion point n’est besoin de chercher des représentations sexuelles pour comprendre de quoi il s’agit. Voyez cette femme, certes à moitié nue, saisie peut-être dans un bordel, mais qui nous affronte avec une grimace – ou du moins une expression de dégoût sans aucun effet esthétique ni aucune distanciation (non pas au sens actuel, mais au sens brechtien). Nous pensions peut-être pouvoir la mépriser, en manifestant notre dégoût à sa vue ? Mais non : le dégoût c’est elle qui l’exprime, sans doute pas à notre égard – nous spectateurs qui n’existons pas dans le tableau – mais à l’égard d’une situation qui est hors champ.

C’est une peinture qui nous saute au visage de manière « frontale » parce que tous les aspects de la réalité y sont représentés de façon égale, sans grossissement ni minoration, sans ombres propices, sans corps aux courbes gracieuses. La plupart du temps ce sont des corps maigres, osseux qui sont dénudés dans des postures assez naturelles, on dirait même saisis au vol par l’objectif d’un appareil photo. Et ces instantanés sont traités de façon presque clinique, sans décor, sans fond, sans objet adventice. Crue, cette peinture l’est aussi parce que notre regard est capté, orienté sans aucune échappatoire possible, sans aucun rêve, sans pouvoir y repaître un désir qu’il soit charnel ou esthétique.
Certes la chair est bien là, avec ces femmes qui nous montrent de façon intentionnelle ou « accidentelle » leur sexe, parfois avec des vulves soulignées de rouge, comme si une prostituée avait voulu attirer le regard du client. Mais ce qu’on voit alors, ce n’est justement pas l’objet d’un désir, mais l’exposition d’un corps mis en vente.
Frontale, cette peinture l’est également parce qu’elle ne nous engage sur aucune voie d’interprétation. Pas de pistes ouvertes, ni suggérées ; juste l’exposition de cette réalité-là, qu’on nous donne à voir de telle façon – et là est l’art de Schiele – que l’on en reste captif.


S’il y a une attitude qui est aux antipodes de la peinture de Schiele, c’est bien la recherche de complicité avec son spectateur. Nous sommes loin de Baudelaire et de son adresse au lecteur qui ouvre les fleurs du mal : Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère !

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