jeudi 30 avril 2020

Un 1er mai sans manif’ ni muguet ? – Chronique du 1er mai

Le calendrier ne nous trompe pas : nous sommes bien le jour de la fête du travail et de la cueillette du muguet. Et pourtant ce jour est inexorablement identique aux jours précédents, au point que le muguet restera à se faner dans les bois et que les rues resteront aussi désertes que d’habitude : la Grande Manif’ des travailleurs, n’y pensons plus.

Le trouble qui nous saisit alors devant cette banalisation des jours qui se suivent et se ressemblent, au point que chacun se superpose aux précédent aussi exactement que deux feuilles de papier vierges, nous montre que le temps n’est pas seulement une durée structurée par notre cerveau et découpé selon des habitudes, des souvenirs et des attentes.
Le temps est aussi structuré par des représentations collectives, propres à telle ou telle société, qui informent le rapport au temps des individus – bref il est ce qu’on appelle un « temps social », qui est objet de représentations collectives.
Ça parait bien compliqué dit comme ça, mais c’est le fait d’expériences vécues fort simplement. De même que Monsieur Jourdain découvrait avec étonnement qu’il parlait sans le savoir en prose, nous ressentons sans y penser la durée selon les occupations qui nous paraissent naturelles tant elles sont collectives, comme les vacances, les fêtes ou les moments spécifiques au travail. Il est en effet évident que nous attendons et ressentons l’écoulement du temps comme scandé par le calendrier de notre société, au point que nous n’imaginerions pas sans effroi une semaine de 7 jours de travail ou un 1er mai sans promenade dans les bois – et que nous n’y mettions pas les pieds nous-mêmes n’y change rien, puisque ce qui compte, c’est la représentation du temps et non notre activité propre. Après tout, que je n’aille pas moi-même cueillir du muguet ne change rien au fait que je trouve normal que les bois soient plein de gens qui le fassent, au point que je sache que nous sommes le 1er mai parce que j’imagine que ça se passe comme ça.
- Si depuis un mois et demi beaucoup dissertent sur la psychologie du renfermement et sur les troubles de la perception de la durée qu’elle implique, je n’ai trouvé personne qui s’émeuve du bouleversement que produit l’effacement des cadres sociaux du temps. Car voilà le problème : ces cadres ne sont pas simplement modifiés ou déplacés. Ils sont carrément éradiqués. On ne pourrait comparer ce phénomène qu’à celui des vacances si ces dernières ne mettaient en place des habitudes collectives nouvelles et spécifiques à ce moment, comme le « bbq-rosé » ou l’apéro du soir. Il est vrai qu’on voit aujourd’hui des gens qui s’efforcent de réactiver de telles habitudes, mais le collectif manque et l’usage de Skype n’y change rien.



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