vendredi 10 avril 2020

Journal d’un vieux confiné – 11 avril 2020

Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.


Bonjour-Bonjour

L’une de mes chansons préférées est celle où Jean Ferrat dit : « Tu peux m’ouvrir cent fois les bras / C’est toujours la première fois », car elle me parait emblématique de la période que nous vivons.
Et en effet, comment ne pas songer que dans la routine du confinement, dans le retour indéfini des mêmes gestes, des mêmes rencontres, des mêmes situations, la seule ouverture serait d’oublier à chaque nouvelle occurrence qu’elle vient de se produire et obtenir d’elle la même satisfaction que la première fois ? La joie est selon Spinoza ce qui accompagne le passage d’un niveau de réalité à un autre, supérieur celui-là. En revanche, dans la répétition, nul plaisir à attendre, rien que l’indifférence du niveau étal. Il est vrai que je viens d’écrire le mot « plaisir » et non celui de satisfaction ou de bien-être. Car le plaisir ne reste justement pas à un niveau de sensation constant une fois obtenu il est suivi par une descente plus ou moins rapide vers l’insensibilité.
D’où le besoin de renouveler les plaisirs et donc de reproduire les mêmes situations. Mais Ferrat bien sûr vise un peu plus haut. Il s’agit de ce qui ne peut ni s’oublier ni s’émousser. Les premiers plaisirs, les premiers émois, qu’ils soient amoureux ou sensuels ont été l’occasion de sensations et d’émotion qui restent à tout jamais gravés dans la mémoire. Comment vivre en retrouvant chaque jour des sensations et des émotions qui se sont déjà manifestées ? Et en même temps, comment vivre leur retour indéfini dans l’indifférence et la prévisibilité ? C’est ce désespoir qui constitue la première souffrance du prisonnier qui n’a pas sa libération comme horizon.
Bref : y aurait-il une recette autre que l'amnésie, pour que ce soit « toujours la première fois » ? Une recette et non une expérience amoureuse dont on se demande par quel miracle elle pourrait survivre au temps ? Car ne faut-il pas un miracle pour surmonter le temps et atteindre à l’éternité ?
Ici, nul miracle à espérer ; juste une petite recette : faire comme le conseil Marcel Proust et chercher des sensations auxquelles sont attachées des émotions fondatrices, comme le parfum de la femme qui a été pour vous votre « première fois » ou bien la saveur d’une première gorgée de bière lorsque vous avez découvert ce breuvage.

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