lundi 30 mars 2020

Journal d’un vieux confiné – 31 mars 2020

Devant l’uniformité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.

Bonjour-Bonjour

Je voudrais évoquer le sentiment d’étrangeté qui se développe lorsque, après s’être signé à soi-même une autorisation de sortie, on se retrouve dans la rue, dans son quartier, un peu comme dans un pays inconnu, un peu comme dans un rêve.



Oui, ces avenues sans âme qui vive mènent à un monde inconnu, où aucune activité n’est possible. Ni le fait d’aller d’un point à un autre, puisqu’il ne nous est pas permis d’entrer où que ce soit – à part dans notre propre maison. Ni le fait de rencontrer qui que ce soit, puisque les rares piétons que nous croisons s’écartent au maximum de nous (qui en faisons autant). Ni bien sûr entrer dans ces commerces fermés dont les passants ne fréquentent plus les abords.

- Je me rappelle l’époque (années 80) où la mode était aux films post-apocalypse. On se retrouvait en ville, avec les avenues immenses, filmées au ras du bitume, désespérément vides, avec, trace du temps qui passe, de l’herbe qui pousse entre les pavés des trottoirs.
Oh ! bien sûr on n’a pas affaire ici à l’apocalypse habituelle, avec ses déflagrations nucléaires ses bombardements de météorites, ses déluges de feu aux quels la Bible nous a préparés.  Non, rien de tout cela : il s’agit d’une apocalypse tranquille.
Si l’étrangeté nous saisit, c’est d’abord parce que nous sommes seuls là où une vie grouillante d’humains se répand habituellement. Supposez que vous soyez à la campagne, sauf si les vaches s’arrêtaient de meugler dans le lointain et les chiens d’aboyer dans les cours de fermes, vous n’auriez pas ce sentiment, parce que la solitude dans la nature est habituelle.
En réalité, c’est parce que le quartier que nous traversons est fait pour la présence d’êtres humains, pour leur permettre d’aller quelque part, de se rencontrer ou de se procurer ce dont ils ont besoin. L’apocalypse dont nous parlons résulte de la déconnexion de ce monde par rapport à l’humain. Supposez que vous soyez sur Mars : le paysage, avec ses cailloux jonchant le sol, est comme ça depuis des milliards d’années. Rien ni personne ne peut en avoir disposés les pierres, ni déplacées, ni arrangées. Eh bien, on ressent dans ces sorties « confinées » un peu comme si en effet le quartier allait rester comme ça durant des millénaires.
La solitude n’est pas seulement l’absence de l’homme ; elle est aussi imprimée dans le paysage. On pense au livre de Michel Tournier Vendredi ou les limbes du Pacific, où Robinson se trouve en déperdition de son être du fait qu’aucun regard autre que le sien ne peut percevoir les paysages de Speranza, l’ile déserte où il a échoué.
Cette expérience de la solitude que nous procure notre monde confiné est une expérience ontologique qui dépeint notre être-au-monde.

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