lundi 23 mars 2020

Journal d’un vieux confiné – 24 mars 2020

Devant l'uniformité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.

Bonjour-Bonjour !

Allez ! Une petite image pour commencer la journée :



On aura reconnu un pochoir de Miss.Tic, la street-artiste bien connue – en particulier des parisiens du 13èmearrondissement. 
A quoi bon l’éternité pour ne rien faire ? Voilà peut-être une façon simple d’entrer dans le problème que pose le confinement à beaucoup de confinés : durant ce laps de temps, où comme durant l’éternité je n’ai rien à faire (1), que vais-je trouver à faire ? 
Que faire, quand on n’a rien à faire ?
J’entends beaucoup de gens dire : « Ah, mais moi, j’ai plein de choses à faire : des rangements, de la cuisine, du jardinage, des bricolages, etc. Ajoutez à ça ceux qui comme moi passent le plus clair de leur temps à lire ou à écouter de la musique à moins que ce ne soit à regarder des films à la télé. J’oublie encore les communicateurs compulsifs, qui sont le jour durant le téléphone à l’oreille ou l’œil rivé sur l’écran-Skype.
Bref, tous ces gens-là, le soir venu, se disent : « Encore un jour de passé – un jour de moins à passer. » Et puis ils ajoutent : « Qu’ai-je fait de ce jour ? Rien »
Pourquoi « Rien » ? Parce que le lendemain matin ils n’ont pas un acquis de la veille sur lequel s’appuyer pour continuer. Ou bien ils n’ont pas une production qu’ils pourraient contempler en se disant : « Voilà : ça, c’est moi qui l’ai fait. C’est quelque chose qui n’aurait pas existé sans moi. » voilà quelque chose qui devrait nous permettre de supporter, je ne dis pas l’éternité, mais au moins cette période de confinement.
 Oh, Je ne dis pas qu’il faut s’atteler à une tâche grandiose comme de rédiger les Mémoires d’outre-tombe ou bien Guerre et paix… Mais une tâche même très humble comme de revisser un robinet qui fuit ou recoudre un bouton : pour quelqu’un de humble également, mais qui sait reconnaitre dans ce qu’il a fait une avancée, c’est un plaisir qui peut survivre au sentiment de lassitude de la vie qui s’écoule comme l’eau dans le creux de la main.

Voilà je crois le sens qui nous saisit en voyant le pochoir de Miss.Tic : à quoi bon cette immensité de l’éternité si on n’en fait rien ? 
- Oui, mais comment faire quelque chose de l’éternité, nous qui ne sommes fait que pour la durée d'une vie mortelle, comme dirait Pascal ? La question, posée en termes plus clairs, s'énonce ainsi : "comment trouver une vie qui se renouvellerait éternellement sans jamais nous décevoir par un écoulement insignifiant ?"
Pour un mortel, l’immortalité disait Platon c’est de se reproduire, laissant derrière lui un être qui lui ressemble. C’est dans ce renouvellement à l'identique, cet « éternel retour du même » comme disait Héraclite que nous pouvons nous situer. Mais à quoi bon se multiplier si ce n’est que pour se reproduire ? Faut-il être narcissique à ce point ?

- Maintenant, supposons que vous soyez Beethoven et que vous veniez de signer la partition de la 31ème sonate pour le piano. Alors vous commencez la 32ème : d’abord, vous évincez le second mouvement - nous sommes en 1822, et Beethoven n’a plus que 5 années à vivre : pas le temps de le faire. Et puis vous attaquez le dernier mouvement – une arietta avec variation – et voilà que, chemin faisant, vous inventez le ragtime (2) ; rien que ça : si vous ne me croyez pas, écoutez le passage ici. Allez-vous sauter en l’air en vous disant que c’est vraiment quelque chose d'incroyable et qu’il faut continuer ? Pas du tout : tous les musicologiques vous diront que ce mouvement est vraiment l’ultime avancée de la sonate pour piano telle que conçue à l’époque et que pour Beethoven, c’était juste une façon de mettre le mot « Fin » après l’ultime mesure. 
Mais pfuittt… Nous ne savons pas ce que nous avons fait : c’est aux siècles futurs de le dire. 
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(1) Sauf à être Sisyphe bien entendu.
(2) C’est que Scott Joplin a affirmé lui-même. Écoutez ce passage ici.

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