jeudi 30 avril 2020

Un 1er mai sans manif’ ni muguet ? – Chronique du 1er mai

Le calendrier ne nous trompe pas : nous sommes bien le jour de la fête du travail et de la cueillette du muguet. Et pourtant ce jour est inexorablement identique aux jours précédents, au point que le muguet restera à se faner dans les bois et que les rues resteront aussi désertes que d’habitude : la Grande Manif’ des travailleurs, n’y pensons plus.

Le trouble qui nous saisit alors devant cette banalisation des jours qui se suivent et se ressemblent, au point que chacun se superpose aux précédent aussi exactement que deux feuilles de papier vierges, nous montre que le temps n’est pas seulement une durée structurée par notre cerveau et découpé selon des habitudes, des souvenirs et des attentes.
Le temps est aussi structuré par des représentations collectives, propres à telle ou telle société, qui informent le rapport au temps des individus – bref il est ce qu’on appelle un « temps social », qui est objet de représentations collectives.
Ça parait bien compliqué dit comme ça, mais c’est le fait d’expériences vécues fort simplement. De même que Monsieur Jourdain découvrait avec étonnement qu’il parlait sans le savoir en prose, nous ressentons sans y penser la durée selon les occupations qui nous paraissent naturelles tant elles sont collectives, comme les vacances, les fêtes ou les moments spécifiques au travail. Il est en effet évident que nous attendons et ressentons l’écoulement du temps comme scandé par le calendrier de notre société, au point que nous n’imaginerions pas sans effroi une semaine de 7 jours de travail ou un 1er mai sans promenade dans les bois – et que nous n’y mettions pas les pieds nous-mêmes n’y change rien, puisque ce qui compte, c’est la représentation du temps et non notre activité propre. Après tout, que je n’aille pas moi-même cueillir du muguet ne change rien au fait que je trouve normal que les bois soient plein de gens qui le fassent, au point que je sache que nous sommes le 1er mai parce que j’imagine que ça se passe comme ça.
- Si depuis un mois et demi beaucoup dissertent sur la psychologie du renfermement et sur les troubles de la perception de la durée qu’elle implique, je n’ai trouvé personne qui s’émeuve du bouleversement que produit l’effacement des cadres sociaux du temps. Car voilà le problème : ces cadres ne sont pas simplement modifiés ou déplacés. Ils sont carrément éradiqués. On ne pourrait comparer ce phénomène qu’à celui des vacances si ces dernières ne mettaient en place des habitudes collectives nouvelles et spécifiques à ce moment, comme le « bbq-rosé » ou l’apéro du soir. Il est vrai qu’on voit aujourd’hui des gens qui s’efforcent de réactiver de telles habitudes, mais le collectif manque et l’usage de Skype n’y change rien.



mercredi 29 avril 2020

Coronavirus : le remdesivir du laboratoire Gilead redonne espoir, Wall Street applaudit

Selon l'une des études menée par le National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID), les patients traités avec remdesivir ont vu leur état s'améliorer plus vite que ceux qui ont reçu le placebo.
La deuxième étude (menée cette fois par l'entreprise) visait à comparer l'administration d'un traitement sur 5 jours comparé à 10 jours, un enjeu important, car davantage de personnes pourraient être traitées si 5 jours suffisaient. Et c'est justement la conclusion de l'essai : au bout de 14 jours, il n'y avait pas vraiment de différence entre les deux groupes totalisant quelque 400 patients graves (mais non ventilés). Voir ici.

- Enfin une bonne nouvelle ! 
- Oui, mais pour qui ? 
- Comment, pour qui ? Pour les malades tiens !
- Cher ami, prenez le temps de lire jusqu’au bout : les malades traités par ce médicament guérissent ni plus ni moins que le groupe témoin qui reçoit un placebo. Seulement ils guérissent plus vite : 5 jours au lieu 10. 
- Et alors ?
- Alors on peut les renvoyer au boulot 5 jours plus tôt. C’est tout bénéfice pour les actionnaires.
- Vieux schnock ! Vous êtes un paléo-marxistes, vous réinventez la lutte des classes, vous attribuez aux américains des reflexes vieux de 40 ans.
- Oui-oui… sauf que vous devrez aussi nous dire pour quoi Wall Street applaudit, si c’est par philanthropie ou par joie financière.

Mais du coup, dites-moi, cher ami, comment comprenez-vous les propos angoissés de nos ministres depuis qu’on parle de déconfinement ?
- Bah… Ils voudraient bien être réélus après 2022.
- Ça, c’est bien sûr. Mais c’est aussi que dès maintenant ils voient le spectre de la banqueroute s’approcher, et avec lui le cataclysme financier, le FMI etc. D’où l’idée de remettre tous ces gens au boulot, tandis qu’on explique que pour les vieux improductifs on peut les laisser au rancart encore 10 mois.
Essentiellement, il n’y a pas de malades du covid ; il n’y a que des travailleurs malades du covid.

Faudrait-il réinventer la société pour une durée de 6 mois ? – Chronique du 30 avril

Bonjour-bonjour

C’est un effort formidable qui nous est demandé : réinventer tout – notre façon de vivre avec nos compatriotes ; notre façon de prendre nos loisirs et d’accomplir notre travail ; notre manière de consommer, que sais-je encore ? Et tout ça, pour en finir une bonne fois avec le virus, ou du moins pour permettre à la société de durer jusqu’à la découverte du vaccin salvateur, ce qui pourrait prendre 1 an ou un peu plus (on n’écoutera pas les oiseaux de malheur qui nous susurrent qu’on n’a toujours pas découvert celui qui devrait éradiquer le VIH).
Et alors ? Alors on laisse tomber tout ça (sauf ce qui nous est apparu si agréable qu’on le conserve, comme on le disait ici même hier) : retour aux transports bondés, aux magasins où on s’arrache les soldes et les boulevards envahis du samedi après-midi.

Oui, on se prend la tête à deux mains quand on évoque toutes ces mesures qui vont bouleverser notre vie intime, familiale, sociale ou encore de travailleur : on en a tous la tête farcie, pas besoin d’y revenir. Mais rappelons-nous deux choses : 1 – ces bouleversements qui d’habitude lorsqu’ils se produisent demandent une génération, vont survenir en quelques mois : par exemple, les enfants à l’école devraient arrêter de jouer ensemble, de travailler ensemble de manger ensemble comme ça, d'un coup. C’est énorme ; mais ensuite ? 2 – Eh bien, en septembre : fini tout ça. Alors dans les écoles on démonte les cloisons en plexiglas, on efface les flèches de sens unique dans les escaliers, on rappelle aux instituteurs le b-a-ba du métier et on autorise les petits à faire un bisou à la maitresse – Horreur !!!
On dira que ce ne sont que des enfants qui s’habituent très vite aux changements, surtout quand ils vont dans le sens d’une plus grande liberté.
- Oui, mais des gens comme moi, le vieux retraité ? Moi, qui pendant tout ce temps devrai m’habituer à prendre mon apéro uniquement en tête à tête avec la tablette si je veux voir mes vieux amis, moi qui devrai continuer à faire une croix sur les spectacles « vivants » et renoncer à mes activités de bénévole : oui, je devrai m’accoutumer à tout ça et puis être disponible pour reprendre mes anciennes coutumes ?
- Bon. Ça ferait problème ?
- Je vais vous dire quel est le problème : il faut quand même s’interroger si tous ces vieux seront encore en état de reprendre leur vie d’avant, selon qu’ils soient ruinés physiquement par l’inactivité ou moralement par la réclusion. Surtout si, comme le pronostique l'Institut Pasteur il leur faudra supporter tout ça jusqu'en ... février 2021 !

mardi 28 avril 2020

Qu'est ce qui ne changera pas le 12 mai ? – Chronique du 29 avril

Bonjour-bonjour

Au lieu de vous demander « Qu’est-ce qu'on fera illico dès que de déconfiné », demandons-nous « Qu’est qu’on continuera de faire comme les jours d’avant, comme si de rien n'était ? »
Vous considérez peut-être que c’est là une question oiseuse, qu’elle consiste à prendre le contrepied de l’opinion, juste pour se rendre intéressant ?
Peut-être – mais peut-être pas, si c’est l’occasion de voir et de comprendre ce qui nous aurait échappé autrement. Et puis, réfléchir à ce qui va à rebrousse-poil des opinions, c’est suivre ce précepte de la sagesse médiévale : « Pour néant pense qui ne contre pense ».
Contre-pensons donc.
1 – D’abord, le 12 mai j’aurai encore peur du virus qui rôdera toujours dans les parages. J’en serai donc toujours à éviter les attroupements et, derrière mon masque, je continuerai de surveiller mes contemporains, des fois qu’ils éternuent un peu trop fort. 
2 – Et puis encore ? Pourquoi renoncer au « farniente vertueux » ? Je veux dire que depuis le 17 mars j’ai accepté l’idée que ne rien faire n’est pas un vice mais une vertu. Rester chez moi, ne pas réaliser les démarches qui nécessiteraient des déplacements et la rencontre de gens éventuellement désagréables, ce n’était pas une lâcheté mais au contraire une manière de me protéger, moi et mon voisinage – vice hier, réserve honorable demain.
3 – Et encore ? Ai-je entamé une introspection qui scrute mon ego profond et qui, de proche en proche, s’est enfoncée loin dans ses racines sans toutefois en arriver aux ultimes radicelles qu’il faudrait encore examiner ? Rappelons-nous Descartes qui ouvre ainsi son Discours de la méthode : « J'étais alors en Allemagne, où l'occasion des guerres qui n'y sont pas encore finies m'avait appelé́ ; … le commencement de l'hiver m'arrêta en un quartier où, ne trouvant aucune conversation qui me divertit, et n'ayant d'ailleurs, par bonheur, aucuns soins ni passions qui me troublassent, je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle, où j'avais tout le loisir de m'entretenir de mes pensées. » A supposer que  le printemps soit arrivé avant qu'il ait fini d’examiner les racines de la vérité, croyez-vous qu’il se serait déconfiné, qu’il aurait quitté son « poêle » ? Non, il aurait dit que sa retraite n’était pas terminée et qu’il devait la prolonger jusqu’à ce qu’il jugeât qu’il était temps d’en finir.
4 – Et puis, plus simplement, il y a peut-être des habitudes que vous avez eu le temps de contracter, comme l’apéro virtuel relié à vos amis par visio-conférence et que vous souhaitez prolonger au-delà de la lutte anti-covid ? Peut-être ce procédé qui assure une distanciation amicale (je dis bien « amicale » pas « sociale ») rendrait les échanges plus réfléchis, plus pondérés et donc finalement plus authentiques? 

Qu’il faille en passer par là pour toucher à l’authenticité, voilà une leçon qu’il ne faudrait pas oublier, si du moins elle s’était manifestée.

lundi 27 avril 2020

Objectif survie – Chronique du 27 avril

Bonjour-bonjour,

On le sait, je me refuse à mêler mes commentaires aux autres commentaires sur l’épidémie coronavirus. Mais je ne m’interdis pas de jouer les pythonisses pour deviner ce que notre Premier Ministre va dire à l’Assemblée nationale : dans la mesure où ça peut être vérifié, c’est plutôt honnête.

Que va dire Édouard Philippe ? Que le déconfinement sera réel qu’il sera pour tous mais qu’il sera progressif. Progressif ? Oui, on desserrera la contrainte en suivant la courbe de l’occupation des services d’urgences des hôpitaux.
- Et voilà l’essentiel : j’ai en effet remarqué que, depuis le début, le confinement et le déconfinement obéissent à une logique rigoureuse : celle des statistiques (où plus élémentairement des grands nombres), faisant de la saturation des hôpitaux l’objectif que ces mesures doivent permettre d’éviter. Autrement dit, on va déconfiner alors que le virus est toujours actif, mais que sa « rareté » relative ne risque pas de déclencher un nouveau pic d’épidémie. Et ça, ça me « fout les chocottes » pour dire les choses un peu brutalement. Car j’imagine mon médecin me disant : 
« - Monsieur Hamel, vous pouvez sortir de chez vous, et aller dans votre librairie favorite. Oh, bien sûr vous pouvez encore attraper le virus et à votre âge il vaudrait mieux pas. Mais rassurez-vous, vous n’avez que 5 chances sur 100 de l’attraper.
- Oui, docteur, mais vous voyez, quand bien même il n’y aurait qu’une chance sur mille, je ne voudrais pas être celui-là qui va crever alors que les 999 autres continuent de danser le samedi soir. »
Voyez le malentendu : les uns pensent en termes de statistique, les autres en termes d’individu. C’est comme à la guerre, où l’on estime que 50% de pertes humaines est un risque valable si la victoire est à ce prix. Mais chaque soldat n’accepte d’y aller que parce qu’il espère sauver sa peau.
Il reste quand même une différence entre le Général en chef et le Premier Ministre : c’est que le premier est un quasi-Dieu quand il faut décider de l’opération à mener ; tandis que le second doit, pour être suivi, démontrer que son option est la bonne. Et moi, je veux avoir des certitudes dans le domaine de ma santé, et pas des probabilités.

dimanche 26 avril 2020

Ce plaisir qui nous « met les poils » – Chronique du 27 avril

Bonjour-bonjour,

Un souci de chacun durant cette période, c’est d’éprouver un plaisir sans fin qui nous ferait oublier la contrainte du confinement.
Certains vous diront : « Le confinement ? Moi, j’aime » ; et après vous avoir asséné cette affirmation désespérante (= désespérante pour vous, qui n’appréciez pas du tout) ils vous expliquent (par exemple) qu’ils gardent toujours la même émotion en lisant ou en écoutant de la musique ; et même en faisant du ménage ou la vaisselle ? Pourquoi pas ?
Vous allez penser que ce sont des menteurs, que le plaisir est forcément lié à la nouveauté, que c’est « toujours mieux la première fois » et que confinés comme nous le sommes, nous sommes au contraire condamnés à la répétition, forcément ennuyeuse ? 
Peut-être (?) mais pas forcément. Car il y a une forme de plaisir qui peut se répéter indéfiniment, toujours avec la même charge émotionnelle. Je veux parler de ces émotions carrément physiologiques suscitées sans aucune participation intellectuelle comme par exemple avec la musique (je ne parle pas des réactions physiologiques charnelles dont un connait le circuit par cœur) lorsqu’un passage vous émeut immédiatement, vous donne la chair de poule – vous « met les poils » comme on dit aujourd’hui.



Vous voyez cette image ? C’est cela que je veux dire.
Les compositeurs connaissent forcément très bien cette forme de plaisir inusable et ils s’en servent dans la forme de leurs compositions musicales. On pense immédiatement aux refrains dans les chansons : il ne s’agit pas seulement de revenir par des paroles déjà connues sur le rythme du conte, mais aussi de réactiver l’émotion déjà éprouvée à la reprise du leitmotiv. Les compositeurs classiques en usent aussi et je dirai qu’il y a même dans la forme classique, outre les variations, des réexpositions du thème qui s’expliquent par ce jeu avec l’attente de l’auditeur, retour précédé par une ritournelle qui n’a pour effet d’aiguiser l’impatience : « Vite que ça revienne ! »
Ceux qui voudraient en avoir une illustration pourraient écouter le trio opus 100 de Schubert, en particulier le second mouvement resté dans toutes les mémoires par l’usage qu’en a fait Stanley Kubrick dans Barry Lyndon (c’est à écouter et à voir ici
Restez confiné encore un mois avec Schubert vous ne vous en lasserez pas. Mais si d’aventure ça se produisait, il y a encore une autre forme de plaisir musical inusable : c’est celui de l’attente impatiente d’une réjouissance. Certains vont chercher ça dans les gâteaux au chocolat : « Vivement 4 heures que le moelleux de maman soit cuit ! » Mais à ce rythme vous ne passerez plus par la porte quand il faudra sortir lors du déconfinement ! Là encore tournez-vous vers la musique et écoutez le concerto pour violon de ce farceur de Beethoven.
Ce petit malin vous fait languir dans l’attente du nouveau thème au début du dernier mouvement du concerto pour violon : combien de fois vous fait-il croire que ça va partir et puis, pfuittt ! rien ne se passe, jusqu’au coup d’archet décisif qui lance le thème du rondo final
Vous pouvez réécouter tant que vous voudrez ce concerto, vous allez toujours trépigner d’impatience.

samedi 25 avril 2020

L’éternité c’est long… surtout vers la fin – Chronique du 26 avril

Bonjour-bonjour,

Oui, je sais : cette citation de Woody Allen n’est probablement pas de lui (en tout cas il la récuse), mais en plus elle est éculée tant elle a servi. Mais si je la reprends aujourd’hui, c’est qu’elle risque bien d’être une fois de plus vérifiée.
Car, ce que nous dit cette phrase, c’est que l’attente est une expérience de l’éternité – la seule peut-être qu’il soit permis de faire à des êtres mortels comme nous. Car l’éternité, c’est du temps immobile : il ne s’écoule pas, rien n’advient dans sa durée, il est comme un instant suspendu et distendu qui n’aurait ni commencement ni fin. Et c’est dans l’ennui et dans son proche parent l’impatience qu’il advient. Donc plus nous sommes impatients d’en finir, plus le temps parait figé ; et c’est dans une période comme celle de notre actuel confinement que cette expérience peut être faite. 
Rappelez-vous du début de votre propre renfermement : encore novice dans cet isolement, tout était matière à expérience nouvelle : s’habituer aux gens co-confinés avec vous ; découvrir les petits plaisirs qui restaient possibles (et peut-être jouir de ceux qui en étant nouveaux apportaient quelque délice dans la situation) ; apprendre à trouver des substituts à la présence des autres, comme la pratique quotidienne des vidéo skype ou zoom ; savoir jouir en solitaire de ce qui normalement appelle la présence d’autrui (ne froncez pas les sourcils : je parle de l’apéro du soir, bien entendu !). Puis est venue l’époque où ces plaisirs sont devenus des routines, usés jusqu’à la corde par la répétition – car voilà le problème : quand on est avec les autres il y a toujours quelque chose d’imprévu qui peut survenir, du fait des comportements jamais absolument identiques, alors que tout seul on sait parfaitement comment ça va se passer avant même que ça ait commencé. Ça peut être agréable au début – et puis mortellement ennuyeux en suite.
Plus ça va et plus l’impatience d’en finir est grande ; plus l’impatience est grande et plus la durée s’étire lentement : d’où l’expression « l’éternité c’est long surtout vers la fin » est donc vérifiée.
CQFD

Ah !... Je sens comme une impatience de votre part : vous vous attendiez peut-être à ce que je vous donne une recette pour vous en sortir ? Eh bien il faudra attendre jusqu’à demain.

vendredi 24 avril 2020

Ausweis ! – Chronique du 25 avril 2020

Bonjour-Bonjour

Les gens sont quand même feignants : voulant lancer une rumeur selon laquelle les services de police actuels seraient les héritiers de la gestapo allemande de 1941 ils ont publié une fac-similé d’ausweis copié-collé de l’autorisation de sortie et mentionnant la date de … 2020.
On pourra évaluer ce bidonnage minable en le comparant (à droite ci-dessous) au document authentique (à gauche) : 



Mais bien que très mal fait ce faux document révèle un besoin profond de trouver des origines à ce que nous éprouvons aujourd’hui, voulant de plus que ces origines comportent une source bien personnifiée. Que notre ennemi ne soit pas un virus qu’on ne peut penser que de façon symbolique, mais un individu, ou une communauté d’individus contre lesquels nous pourrions bander notre volonté.
Ceux qui ont fait ce faux voulaient manifestement montrer que notre gouvernement actuel ne vaut pas mieux que les occupants de la France de 1941. L’attaque est énorme. Mais elle ne vaut que si on a une idée de ce que fut cette époque, et comme personne (ou presque) ne l'a réellement vécue, c’est à travers des récits ou des légendes, véhiculées par le cinéma qu’on peut le faire. 
- Bref, on a simplement la représentation de deux groupes : l’un fait d’odieux barbares qui tuent sans pitié hommes femmes et enfants, jeunes ou vieux, sans aucune justification – et d’ailleurs quelles justifications pourraient être à la hauteur de tels crimes ; l’autre fait de résistants héroïques qui risquent leur vie pour sauver le maximum de gens. Ce sont ces héros que l’on va applaudir chaque soir à 20 heures.

Je sais que ma comparaison peut choquer, mais je crois qu’elle comporte une part de vérité : c’est que, même en pensant aux héros de 1941, nous nous référons à un modèle encore plus mythique, qui voit s’affronter les forces du bien et celles du mal ; et pour être un héros il faut se battre quand bien même on aurait conscience de devoir être finalement vaincu. Nos héros de la première ligne lutent ainsi, non pas dos au mur, mais face à un présent intenable.

Trump propose des traitements aux UV et des injections de désinfectant à l’intérieur des bronches






Les propos de Donald Trump laissent sans voix : il propose ni plus ni moins de soigner la maladie du covid’ en faisant subir aux poumons du malade les traitements qui permettent de tuer le virus quand il est exposé sur une surface lisse. Comme d’injecter de l’eau de javel dans les bronches ou bien d’y faire pénétrer des UV.
Inconscience ? Naïveté ? Simple volonté de paraitre maitriser la situation quand personne n’y parvient ?
Bien sûr il y a certainement de la naïveté, sincère comme celle des petits enfants, qui diraient « Ce serait bien si… » ou « On dirait que… ». Et puis il y a aussi cette tranquille assurance d’un homme, si sûr de sa puissance qu’il peut se permettre des délirer sans retenue, avec la certitude que personne ne viendra le contredire. Une anecdote pour illustrer cette situation : nous sommes en 1843, la reine Victoria est en visite officielle en France et elle arrive à l’Opéra de Paris en compagnie du roi Louis Philippe. Au moment de s’asseoir le roi se retourne pour vérifier que son fauteuil est au bon endroit, ce que la Reine ne fait pas, certaine qu’il y a eu quelqu’un pour mettre ce fauteuil là où il fallait. La presse britannique se moque du roi de France qui n’est pas sûr de son pouvoir. Hé bien Trump est comme la Reine Victoria.
Et pourquoi ? Parce qu’il sait que les Américains ne lui tiendront pas rigueur de ses bourdes et qu’ils n’attendent pas de lui des preuves d’intelligence, mais des actes de puissance au service de ce qu’ils croient – à tort ou à raison – être au service de leurs intérêts.

jeudi 23 avril 2020

La mort n’est pas un concept : c’est une convulsion des tripes. – Chronique du 24 avril 2020

Bonjour-Bonjour

Quand le Président Macron a déclaré qu’on était en guerre dans un de ses premiers discours consacré au coronavirus, on l’a vertement critiqué, parce que cette « rhétorique guerrière » n’était pas de circonstance, l’heure étant plutôt aux câlins.
Et puis chemin faisant, nous apprécions certes les câlins mais nous observons aussi qu’ils ne suffisent pas à représenter ce que nous éprouvons.
En témoigne ce sentiment (ou plutôt cette sensation ?) que nous ressentons lorsque la mort s’approche de nous. Quand on veut faire de la rhétorique, la mort est un objet bien pratique : on peut se donner beaucoup d’importance et beaucoup de gravité en en parlant. « Il faut l’accepter comme liée à la vie » ; « elle est son horizon » ; « nous devons le considérer comme ce qui donne du sel à l’existence » ; ou encore « profiter de cet « en-deçà » de la mort pour songer à ce que fut notre vie »…
J’en ai des kilomètres comme ça, des propos qui ne nous engagent pas plus que l’instant où ils sont proférés. Par contre, si la mort vient frapper tout près de vous, un peu comme (j’imagine) en temps de guerre avec l’obus qui volatilise le soldat voisin, alors la mort ce n’est plus un concept : c’est une convulsion des tripes.
Ça c’est justement ce qui se passe à la guerre. Mais aujourd’hui, en temps de covid’ c’est aussi ce qui vous arrive lorsque votre voisin vous annonce que sa grand-mère est morte emportée par la maladie en l’espace d’une heure et demie, alors qu’elle allait plutôt bien le matin. « Vieille femme, elle n’avait plus grand-chose à attendre de la vie » ? Ou alors, « à 89 ans (c’était son âge) sa vie n’était plus qu’une flamme vacillante sur une chandelle consumée » ?
La rhétorique revient vite fait, mais là elle peut repartir l’oreille basse : car la boule au ventre n’est pas partie, elle. 

mercredi 22 avril 2020

Un peuple de moutons engendre un gouvernement de loups – Chronique du 23 avril 2020

Bonjour-Bonjour

Mon cerveau est fait de sorte que, dès qu’une citation passe à sa portée, elle est immédiatement captée, analysée, classée et conservée. Tout ça parce que j’ai pendant une douzaine d’années fabriqué des commentaires de citations chaque jour, jusqu’à en avoir près de 4000. Tout ça, c’est accessible ici.

- Du coup, quand hier en lisant mon nouveau Télérama, je tombe sur celle-ci :
« Un peuple de moutons finit par engendrer un gouvernement de loups » - Agatha Christie, Dix petits nègres, je me suis mis instantanément en fonction, relevant que tout cela permet sans doute de comprendre les régimes autoritaires (« illibéraux ») tels que la Hongrie ou le Brésil. Ou plutôt qu’on pourrait tenter de renverser la formule : partout où il y a des loups qui gouvernent, c’est qu’il y a des peuples de moutons, c’est à dire des gens qui se sont placés sous la protection des dirigeants furieux et sanguinaires. Façon de reprendre un peu l’idée de La Boétie rendant les esclaves responsables et non victimes de leur état.

En même temps, je tique un peu devant cette citation : car à supposer que les loups puissent prendre la place du berger, pourquoi ne dévoreraient-ils pas les petits moutons bien tendres qui bêlent entre leurs pattes ? Et du coup, comment resteraient-ils bergers puisque très vite ils auraient digéré le troupeau entier ? Il faut donc supposer que les loups en question soient rationnels, qu’ils prévoient une gestion de leur férocité, et qu’ils conservent toujours un lot de moutons-reproducteurs pour assurer le remplacement des agneaux qu’ils ont mangés.
Au fond, on voudra que les loups soient comme les virus qui ne peuvent se propager qu’à condition de ne pas tuer l’organisme qu’ils parasitent ; car pour chaque individu tué, c’est pour eux une source de vie et de reproduction en moins. Les virus qui tuent le plus comme celui de la fièvre ébola, se propagent moins vite et moins loin que celui… du covid’.
Nous avons donc à espérer que ce dernier s’adapte mieux encore qu’il ne l’a fait à l’organisme humain de sorte qu’il soit parfaitement compatible avec la vie humaine.
Moi, je veux bien trimbaler des covids’ dans mon intestin, comme je le fais pour des milliers d’autres micro-bestioles, mais à condition que ça ne fasse pas de vagues.

mardi 21 avril 2020

Laisser-aller ou liberté retrouvée ? – Chronique du 22 avril 2020

Bonjour-Bonjour

Mon oreille encore ensommeillée a capté ce matin une information selon laquelle les hommes seraient moins nombreux à prendre une douche quotidienne et resteraient en pyjamas toute la journée ; simultanément des femmes ne mettraient plus de soutien-gorge, et l’une d’elle déclarait même au journaliste que c’était pour elle un plaisir. (Lire l'article détaillé ici)

Sélection subjective de l’information ? Peut-être – mais qu’importe ? Il n’en reste pas moins que le laisser-aller parait gagner du terrain, suivant la déstructuration des actes sociaux. Car ne l’oublions pas, si la « distanciation sociale » impose d’éviter des gestes tels que serrage de mains, accolade, baisers etc. (1), alors il serait logique que les autres attitudes prises spécialement pour répondre à une attente culturelle soient à leur tour abandonnées. D’autant que, symétriquement, ces gestes ou manières sociales correspondent à une contrainte qu’on abandonne avec plaisir, comme lorsqu’en vacances on se libère peu à peu du respect de l’horloge, du calendrier et même des habitudes d’hygiène : le bain de mer remplace alors la douche quotidienne.
« Le respect est : Incommodez‑vous. » disait Pascal qui tenait ces obligations pour arbitraires – et rappelons qu’à son époque les gestes sociaux de respect devant les « Grands » étaient infiniment plus contraignants que de nos jours – mais en même temps très utiles car elles permettent de percevoir la hiérarchie sociale. Dans les tableaux du 17ème siècle représentant des salons, le Roi est facile à localiser c’est celui qui porte son chapeau à l’intérieur de la pièce, où il ne lui sert à rien sauf à montrer qu’il est le chef. On a aussi plus prosaïquement décrit le comportement agressif des poules dans les poulaillers de plus de 50 animaux parce qu’elles ne peuvent plus au-delà de ce chiffre mémoriser la « hiérarchie du coup de bec » c’est-à-dire de quelle poule elle doit le supporter et à quelles autres elle peut l’infliger sans réaction.
Aujourd’hui, plus de relation sociale (in praesentia du moins) : du coup plus besoin de marqueurs sociaux ; et donc laisser-aller qui permet d’abandonner ces gestes, ces vêtements qui les manifestent. Plus d’hygiène ? Plus de soutien-gorge ? Ce ne seraient que de marqueurs sociaux alors ?
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(1) On fait aujourd’hui une distinction entre distance physique (ne pas approcher, ne pas toucher même par promiscuité dans un ascenseur) et la distanciation sociale qui correspond comme il est dit ici aux gestes imposés par le savoir vivre. 

lundi 20 avril 2020

De quoi le covid est-il le nom ? – Journal du 21 avril 2020

Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.


Bonjour-Bonjour

C’est avec effroi qu’on voit – et qu’on entend – les américains manifester dans les rues contre les mesures de confinement prises pour enrayer la propagation du virus, clamant que l’on porte atteinte à leur liberté de citoyen et faisant de ces mesures restrictives des choix politiques et non des décisions sanitaires – tout cela relayé par le Président Trump qui réfère explicitement ces mesures, État pat État, à la gouvernance démocrate. On se trouve alors dans la même situation que les mollahs iraniens qui refusent de porter un masque parce que, disent-ils, la maladie est envoyée par Allah pour punir les mauvais musulmans, ce qu’ils ne sont pas bien entendu.
« Je voudrais bien que » ma volonté de vivre suffise à m’épargner la maladie ; et que du coup je ne sois plus astreint à ces mesures barrières. Mais non : le virus continue à envahir les organismes sans tenir compte de la personnalité qui l’habite. D’ailleurs, où loger une volonté dans cette cellule qui n’est même pas capable de se reproduire toute seule ?

Ce qui malgré tout ne lui enlève pas cette finalité de reproduction : si le virus infecte les cellules du corps humain cela a pour effet de lui permettre de se multiplier : y a-t-il une intention là-dedans ? Faut-il y voir une loi de la vie qui voudrait que chaque être vivant transmette ses gènes à travers une succession indéfinie de générations ?
Déjà Platon (dans le Banquet) disait que la reproduction sexuée permettait à un être humain de laisser après lui un autre être qui lui ressemble et qui propage ses caractéristiques : telle était selon lui la seule possibilité pour un mortel d’accéder à l’immortalité.
Qu’est-ce qu’un virus ? Une petite machine fabriquée par Dieu pour châtier les hommes de leur immoralité ? Un effet mécanique des souffrances subies par la Nature du fait des abus commis par les hommes ? Ou plus simplement une voie empruntée par la vie au cours de son évolution ? 
C’est cette dernière hypothèse qui parait la seule valable, non seulement du fait qu’elle rende compte de la situation actuelle, mais encore parce que l’évolution elle-même n’a pu se produire que du fait de l’existence des virus, qui en « infectant » à travers les cellules le génome de l’espèce leur a apporté certaines caractéristiques indispensables à leur développement.
Après tout, ne nous hâtons pas de ridiculiser ces naïfs qui voient une intention maligne derrière tous les malheurs qui arrivent. Pouvons-nous nous débarrasser si facilement de la finalité qui nous fait voir une intention partout où quelque chose se produit ?

dimanche 19 avril 2020

La femme est-elle l’avenir de l’homme ? – Journal du 20 avril 2020

Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.


Bonjour-Bonjour

Certains pensent très-fort au « jour d’après », et d’autres au « monde d’après ». Personne ne réfléchit vraiment à « l’homme d’après », mais ça vaudrait peut-être le coup ?
- Mais non ! Qui pourrait imaginer que l’espèce humaine va muter comme un vulgaire virus simplement pour faire face à une pandémie ? D’ailleurs si vraiment une nouvelle société est nécessaire, peut-être la verrons-nous apparaitre portée par des comportements qui feront surface, venus du fin fond de nos gènes, alors qu’elle avait été mise en jachère par les nouvelles formes d’organisations. Et donc, selon ce que nous croyons avoir été le passé de la vie humaine, on va se réjouir ou au contraire trembler. Sommes-nous aux origines de l’espèce, lorsque des hordes s’affrontaient pour ravir un territoire ou pour le rapt de femmes, qui étaient violées sur les dépouilles sanglantes de leurs anciens compagnons ? Ou, plus récent, verrons-nous le gentil berger qui joue du flûtiau à ses brebis à moins que ce ne soit aux pieds de la belle bergère ?  



 Tableau de Boucher

De toute façon on est dans ce cas à la recherche d’instincts ancestraux jamais révolus simplement recouverts par des millénaires de civilisations. Mais la culture ne détruit jamais la nature, elle ne fait que la masquer.
- Alors : que nous faudrait-il comme type d’être humain pour surmonter la crise qui s’est ouverte devant nous ? On parle beaucoup du care (1) et du rôle des femmes dans cette situation : cette attention aux autres, cette nécessaire bienveillance et cette empathie que nous recherchons, nous regrettons que les femmes seules en fassent preuve, sans doute en raison des maternités pour lesquelles elles sont préparées. Mais qui nous dit que les hommes, convenablement éduqués, ne feraient pas aussi bien ? Et d’ailleurs ne trouve-t-on pas déjà ces qualités « féminines » dans des soignants, des accompagnants, ou autres auxiliaires médicaux, comme on voudra les appeler ? 
Faudrait-il de tels hommes – et bien sûr de telles femmes – pour révolutionner la société ? Et si nous faisons jouer l’hypothèse de la sélection naturelle, l’espèce sera-t-elle sauvée par les qualités féminines de l’espèce humaine, reléguant la brutalité et la violence au rang de source de plaisir incapable d’assurer la vie sociale ?
« L’avenir de l’homme, c’est la femme » disait ce fou d’Aragon.
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(1) Le terme care, mot d'origine anglaise, regroupe des valeurs éthiques au sujet de la relation avec l'autre. Basé sur des notions telles que l'empathie, la prévenance, la sollicitude ou les qualités de cœur, le care offre une appréhension morale de l'individu. Le care replace également au centre de la vie sociale cette capacité (souvent décrite comme liée au côté maternant des individus ou de la société) à faire attention à l'autre, à en prendre soin ou simplement à en tenir compte, dans son contexte social, en déterminant son impact sur la société. » (Lire ici)

samedi 18 avril 2020

Pouvoir performatif de la parole présidentielle – Journal du 19 avril 2020

Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.


Bonjour-Bonjour

Vous savez combien gagne un Président de la république ? Non ? Voilà : 15200 euros mensuels. Pas plus ? – Non pas plus. Quand on sait ce que gagnent les traders ou même des ingénieurs de pointe en informatique, on reste éberlué.
Vous feriez le taf, vous, pour 15200 balles par mois ? Oh, bien sûr il y a des avantages en nature : loger à l’Élysée et partir en vacances à Brégançon. Mais quand même : savoir que quand vous aller prendre la parole à la télé il va y avoir des dizaines de millions de gens qui vont vous écouter en préparant les tomates qu’ils se proposent de vous lancer à la tête dès que possible, ça ne fait pas envie.
Sérieusement, qui serait prêt à prendre la place du Président, sachant que son pouvoir est immense et que chaque parole l’engage au-delà même de ce qu’il peut imaginer quand il les prononce ? « Je décrète que 65 millions de personnes n’ont plus le droit de sortir de chez eux » : et voilà 65 millions de confinés. Comme pouvoir performatif, c’est quelque chose ! Oh, certes quand Narendra Modi prononce le même confinement, c’est 1300000000 de personnes qui s'immobilisent. Oui, vous lisez bien : un milliard trois cents millions d'êtres humains, figés par quelques mots prononcés par le premier ministre indien – voilà ce qu’est le pouvoir de cet homme.
Certains, parmi ceux qui lisent ces lignes, auront peut-être envie de posséder un tel pouvoir : « Je stipule que mon Smartphone soit le flagship d’Apple ! » bien sûr…
Mais attention : sachez que ça ne marche pas toujours comme le montre ce petit poème de Maurice Fombeure : « Je stipule dit le roi, /Que les grelots de ma mule / Seront des grelots de bois » ; suit toute la cour, et chacun décrète qu’on lui fasse également des grelots dans des essences excentriques comme du palissandre, du frêne ou du houx. Oui, « Mais, quand on appela le menuisier, /Il n’avait que du merisier. »
Finalement le roi est un sage, car il ne prend pas le risque que sa parole soit démentie par les faits. Et si, comme le Roi du poème, le Président avait déclaré : « Tous les français seront déconfinés le 11 mai » parce qu’il savait que quoiqu’il dise tout le monde sera déjà dehors à ce moment ?

vendredi 17 avril 2020

Vivent les vieux ! – Journal du 18 avril 2020

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Bonjour-Bonjour

Ça y est ! Ouais : On a gagné ! On a gagné !
Euh… Gagné quoi ? 
Le Président vient de le dire : il n’a pas du tout l’intention de garder les vieux confinés après le 11 mai. Il fera appel à la responsabilité individuelle. Pas de discrimination !



Je suis comme tout le monde : l’idée de pouvoir sortir de chez moi le 12 mai sans avoir des argousins sur le paletot, ça me convient tout à fait.
Mais imaginer que les virus vont obéir à la volonté du Président et éviter d’infecter les vieux sous prétexte qu’ils sont désormais munis d’un permis de plein air, ça fait bien rire. 
De même que l’indignation des défenseurs des droits de l’homme estimant que ces mesures de confinement sélectives étaient liberticides me paraissent un peu tardives : car le confinement généralisé ne nous soumet-il pas depuis 5 semaines à des restrictions de déplacement, ce droit fondamental dont seul le détenu de droit commun a été par châtiment privé ? Et le fait que cette privation ne soit pas sélective ne change rien, bien sûr, à son caractère de sujétion.
En fait ici encore on mélange tout et la distinction entre le droit et le fait qui parait si élémentaire échappe à beaucoup d’esprit embrumés par la passion. Car que nous soyons soumis à des lois votées par le pouvoir législatif, lois établies comme étant des expressions de la volonté générale, voilà qui place l’obéissance aux lois dans le registre de la liberté du citoyen. En revanche qu’une situation exceptionnelle dûment identifiée, soumette l’ordre politique à l’ordre des choses, voilà qui devrait aussi paraitre parfaitement clair. D’ailleurs personne n’a manifesté contre la privation de liberté de sortir. Certains on bien essayé de justifier leur désobéissance par l’impossibilité de supporter d’avantage le confinement ; mais ça revenait à opposer un état de fait à un autre état de fait.
Bref. Moi qui du haut de mes 78 ans ai le droit de parler de ma vieillesse je vais dire ceci : « Oui, je préfère choisir moi-même si je suis capable de sortir ou pas. Mais je ne vais quand même pas négliger les mises en garde : « Sortez tant que vous voudrez, car, sachez-le : maintenant nos services de réanimations sont désengorgés et quand vous tomberez suffoquant sur le trottoir, nous pourrons vous intuber ».

jeudi 16 avril 2020

L’éternel retour – Journal du 17 avril 2020

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Bonjour-Bonjour

Trouvé ça dans mes mails : « Marre de ces journées qui ramènent toujours les mêmes choses, les mêmes gestes, les mêmes actes. Marre de cette vie confinée et sans imprévu. Ohé ! le philosophe ! tu n’aurais pas quelque chose de bien consolant pour supporter ça ? »

- Le philosophe fouille alors sa besace d’historien de la philosophie où sont entassés les vieux systèmes qui ont fait leurs preuves autrefois, pour voir si par hasard il n’y aurait pas quelque chose qui pourrait lui servir à interpréter le présent.
Pour notre période confinée pas besoin d’aller bien loin, car beaucoup de cas envisagés dans le passé se répètent aujourd’hui : ainsi de la nature dont on subit les sautes d’humeurs sans avoir d’autre possibilité que de les endurer et de les aimer (Stoïciens) ; ou bien de l’enfermement dans notre chambre qui nous empêche de fuir le face à face avec nous-mêmes (Pascal) ; mais plus encore le retour indéfini des mêmes évènements qui justement font le désespoir de nos compatriotes. Quel sens à donner à ces journées monotones dont chacune répète inlassablement les banalités des précédentes ? Tournons-nous vers Nietzsche et son « éternel retour » - ou plus précisément l’éternel retour du même
En quoi cela nous concerne-t-il ? Faudrait-il se convertir aux philosophies orientales et à leur cycle de réincarnations ? Pas du tout, car pour Nietzsche, l’éternel retour n’est pas celui de l’existence mais celui des évènements qui la jalonnent ; et puis nul besoin d’être sûr que la vie nous ramènera les mêmes faits, mais il suffit de pouvoir le souhaiter, car là est le critère qui nous permettra de les évaluer. Mais ce n’est pas rien car on peut en déduire une règle d’existence : « Mène ta vie en sorte que tu puisses souhaiter qu’elle se répète éternellement. »
--> Qu’à chaque moment on soit en mesure de dire : « Oui, cela je souhaite que ça se répète à l’infini. » Et qu’est-ce qui pourrait se répéter ainsi sinon les émotions qui nous submergent de bonheur et dont le retour est l’objet de nos prières les plus intenses ? Qu’importe ce qui les provoque, puisqu’elles seules incarnent la valeur de notre vie. On comprend par exemple que l’amoureux qui jure qu’il aimera toujours n’est pas en train de croire qu’il va revivre indéfiniment mais plutôt que ce qu’il vit et si sublime qu’il peut souhaiter que ça recommence indéfiniment.
- Or voici qu’aujourd’hui ce recommencement nous n’avons pas à le souhaiter, car nous le vivons effectivement dans ce retour des évènements de la journée sempiternellement les mêmes. Mais il y a bien de la différence entre ce que nous souhaitons et ce que nous vivons sans l’avoir espéré. Et puis je ne peux pas dire que « je mène ma vie » puisque je la subis plus qu’autre chose. Du coup, cette situation si particulière où l’émotion ressentie peut renaitre dès qu’elle cesse, avec la même intensité et le même affect est loin d’être présente dans le quotidien : lorsque j’allume ma télé ou que je m’assois devant mon ma tasse de café du petit déjeuner, est-ce que je me dis « Ah… Si seulement ça pouvait être comme ça tous les jours ! » ?
Le sage est celui qui répondra : Oui.

mercredi 15 avril 2020

Le test de désirabilité -Journal du 16 avril 2020

Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.


Bonjour-Bonjour

Les chroniqueurs télé, les prophètes de tout poil qui trônent devant les micros nous demandent : « Quand le déconfinement sera là, qu’est-ce que vous ferez en premier ? Qui vous irez voir tout de suite ? Le monde d’après : sera-t-il le même ? Qu’est-ce qui ne sera plus comme avant ? » Etc.
Ils nous en bassinent les oreilles ! Ras la casquette !

Mais comme souvent après ce mouvement d’humeur se profile une réflexion.
Après tout se dit-on, il y a là quelque chose de plus sérieux, comme de profiter de cette situation extraordinaire pour en faire un test de « désirabilité ». Sans se poser la question du sens du désir, comme Nietzsche, comme Freud, on pourrait se demander simplement "Qu’est-ce qu’on désire vraiment ?" 
- Est-ce que je sais à quoi je tiens absolument ? Et si le jour d’après, je découvrais qu’il y a bien sûr des choses auxquelles je tiens vraiment et avec lesquelles je vais faire la fête lors du déconfinement, mais aussi d’autres choses dont je suis privé en ce moment et auxquelles je ne tiendrai alors plus autant que ça – des situations qui vont me devenir inessentielles. Refaire la belote avec les amis, est-ce que ça m’a manqué ? Est-ce que je suis si pressé de la retrouver ?
Et puis – plus étonnant encore – si de la routine de ces journées confinées venait à apparaitre, peu à peu, des choses dont je viendrais à avoir besoin ? Si le matin au lever, passant en revue les étapes de la journée, j’en venais à me réjouir : « Tiens il va y avoir telle occupation, telle personne au téléphone, tel nouveau moment d’intimité avec mon épouse » ?

Bref, le jour d’après peut servir de test de désirabilité, en révélant 3 situations bien définies : 
1 – Ce qu'on aimait et dont on va raffoler le jour du déconfinement.
2 – Ce qu'on aimait avant et puis finalement plus du tout après
3 – Ce qu'on n'aimait pas autrefois et puis maintenant oui

Et voilà ce qu’on est en train de vivre.

mardi 14 avril 2020

Journal d’un vieux confiné – 15 avril 2020 (Aujourd’hui : Albert Camus et Maria Casarès)

Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.


Bonjour – Bonjour,

Pour passer le temps, quoi de mieux qu’un bon livre ? Je sais bien que les bibliothèques sont fermées et les librairies aussi, mais si vous n’êtes pas allergique à la lecture sur écran, votre tablette ou votre ordi fera parfaitement l’affaire. A vous les classiques de plus de 70 ans en lecture gratuite sur une appli ad-hoc. A vous les ouvrages récents téléchargés contre un peu d’agent (moins cher quand même que l’exemplaire papier) – à moins que vous soyez adeptes de certains sites qui, sans vergogne, vous permettent de charger et de lire gratos ? C’est condamnable, mais en ces temps de fermeture des bibliothèques, il y a des circonstances atténuantes.
Maintenant il reste à choisir le bon livre, celui qui va vous déconfiner en vous faisant entrer dans des univers parallèles où vous retrouvez ces personnages avec lequel vous allez passer de longs moments surtout si, comme moi, vous êtes adeptes des pavés, ces livres de plus de 500 pages qui vous assurent une lecture interminable.
Dans le genre, celui que je viens de lire est exemplaire : la correspondance 1944-1959 entre Albert Camus et Maria Casarès : 1500 pages en Folio de poche. Qui dit mieux ?

Certains d’entre vous auront peut-être un doute : « Comment s’intéresser à une telle correspondance, qui dure 15 ans et sur tant de pages ? Je-t’aime/Tu-m’aimes ? et blablabla. Même entre des personnes aussi respectables que Camus et Maria Casarès, on doute de pouvoir s’y intéresser. Et si le bouquin nous tombe des mains, 1500 pages sur le petit orteil, ça risque de faire mal. »
Le fait est, mais je rappellerai que la correspondance entre Diderot et Sophie Volland s’étend sur 25 ans et qu’elle se lit avec passion. Car voilà le mot lâché : la passion amoureuse, quand elle est vécue à travers de telles séparations (car ne l’oublions pas : les amants qui s’écrivent sont des amants séparés) est d’une lecture captivante. D’ailleurs, il existe des romans d’amour – tout le monde le sait ! Pourquoi une telle passion serait-elle … passionnante lue dans une fiction et pas dans des échanges épistolaires ? Bien entendu c’est tellement vrai que les romans par lettre ont fait florès (à commencer par la Nouvelle Héloïse) à une époque où c’était un véritable genre littéraire.
J’ajouterai, concernant mon cas particulier : j’ai moi-même vécu une histoire d’amour par correspondance, à l’époque où ma future épouse et moi-même étions séparés par une longue distance. C’est la même histoire avec Camus : son amour avec Maria s’est constitué, s’est développé par cette correspondance, en dehors de brèves rencontres. Puis évidemment vient plus tard l’époque où ils vivaient plus rarement séparés, l’évènementiel prenait le dessus et on peut être intéressé par tous ces personnages connus qui ont fait la trame de leur vie (Camus et la polémique autour de l’Homme révolté ; Maria avec tous ces comédiens dont elle a partagé l’existence).
Oui : 1500 pages de la vie de ces deux personnages si exceptionnels qu’on se demande s’ils ont vraiment existé !